Cette émission de radio alerte sur les violences sexistes au nord du Nigeria

19 janv 2022 dans Journalisme multimédia
Un micro de radio, avec en fond, l'inscription "On air"

Nanji Nandang venait d'obtenir son diplôme de journalisme et travaillait bénévolement pour une station de radio dans la ville de Jos, au nord du Nigeria, lorsqu'elle a entendu parler de Musa*, un enfant de 9 ans qui avait survécu à des abus sexuels. Lorsqu'elle a pris connaissance de son calvaire, elle s’est dit que les médias pouvaient l'aider.

Dans le nord du Nigeria, les violences basées sur le genre ont augmenté de manière significative. Cela comprend les mariages forcés et précoces, ainsi que les agressions physiques, mentales et sexuelles sur les femmes et les enfants. Selon le Fonds des Nations unies pour la population, près de trois Nigérianes sur dix ont subi des violences physiques avant l'âge de 15 ans. Les deux tiers des enfants survivants de violences et d'abus n’en parlent jamais. Moins de cinq enfants sur 100 reçoivent une forme quelconque de soutien.

En 2020, Mme Nandang a lancé Silent Voices, une émission de radio visant à sensibiliser aux violences sexistes, en collaboration avec la Fédération internationale des femmes juristes (FIDA), une ONG engagée dans la promotion, la protection et la préservation des droits des femmes et des enfants. "Depuis son lancement, nous avons pu non seulement sensibiliser et donner une voix aux sans-voix, mais notre partenariat avec la FIDA nous a permis de poursuivre en justice certains des auteurs de ces actes", se félicite Mme Nandang, ajoutant : "Ce qui m'a inspirée, c'est l'histoire de Musa* ; il ne méritait pas ce qui lui est arrivé".

Tous les jeudis soirs, Mme Nandang prend l'antenne pour parler à plus de 100 000 auditeurs de Jay 101.9 FM à Jos. "Lors des appels téléphoniques, certains auditeurs appellent sous couvert d'anonymat pour faire part de leur détresse, tandis que d'autres appellent pour partager leur expérience. La parole se libère maintenant", dit-elle.

Silent Voices gère un podcast qui compte plus de 41 000 auditeurs mensuels et collabore également avec des organisations de la société civile pour sensibiliser et aider les enfants et les femmes sur ces questions.

S’assurer que justice soit rendue

En juin 2021, Silent Voices et FIDA ont pris en charge le cas de Mafeng*, une jeune fille de 13 ans qui a été violée par son voisin. Ils ont informé la police de l'incident, et FIDA a fourni des services juridiques pro bono pour Mafeng. Actuellement, l'auteur du viol est derrière les barreaux, en attente de poursuites.

La violence sexiste est une violation des droits humains. Le Bureau national des statistiques du pays a indiqué qu'en 2017, 2 279 cas de viols et d'agressions ont été signalés à la police. Malheureusement, la majorité des incidents de violences sexuelles et sexistes restent impunis au Nigeria.

Entre 2019 et 2020, seules 32 poursuites pour viol ont abouti, ce qui est alarmant, selon l'unité de lutte contre la traite des personnes du Nigeria, la National Agency for Prohibition of Trafficking in Persons. Cette agence, qui publie un registre fédéral des délinquants sexuels sur son site web, ne dispose pas de données concernant spécifiquement les viols d'enfants.

En 2020, le président nigérian Muhammadu Buhari a déclaré qu'il était "particulièrement bouleversé par les récents incidents de viols, notamment de très jeunes filles". Les gouverneurs de tout le Nigeria ont également déclaré l'état d'urgence en juin de la même année sur la question des violences sexuelles et sexistes contre les femmes et les enfants. Les cas n'ont cependant cessé d'augmenter, en particulier dans le nord du Nigeria.

Lors de la deuxième conférence annuelle du Forum des femmes de gouverneurs nigérians, début décembre, Aisha Buhari, la première dame du Nigeria, a critiqué le gouvernement fédéral pour son incapacité à lutter davantage contre les violences sexuelles et sexistes au Nigeria.

Mary Izam, présidente de la section de FIDA dans l'État du Plateau, a témoigné de ces chiffres inquiétants. "Nous nous sommes associés à l'émission de radio Silent Voices pour appuyer nos efforts visant à offrir des conseils et monter des actions en justice pour les victimes d'abus sexuels, d'abus d'enfants et d'autres violences sexuelles/sexistes", explique-t-elle. "Nous avons également dû nous occuper de plusieurs affaires, dont certaines sont actuellement devant les tribunaux. Grâce aux services aux victimes offerts pro bono par nos membres professionnels, nous veillons à ce que justice soit rendue."

Les difficultés rencontrées

Diriger Silent Voices n'est pas une mince affaire. "Souvent, les victimes abandonnent en cours de route par manque de moyens financiers", explique Mme Nandang. "Lorsqu'une affaire est portée devant la police nigériane, les victimes doivent souvent payer les factures médicales et d'autres frais, et il m'est arrivé que les parents des victimes, des personnes pauvres pour la plupart, touchent des pots-de-vin des auteurs pour retirer la plainte après que nous l'ayons portée devant les tribunaux."

Selon Mme Izam, les pratiques traditionnelles néfastes sont un grand facteur du silence des femmes et des enfants. "Même lorsque les victimes essaient de s'exprimer, certains des auteurs sont puissants dans la société et essaient d'utiliser leur influence pour étouffer nos actions. Dans une affaire, le juge a refusé de se prononcer pour des ‘raisons personnelles’. La victime recevait continuellement des menaces et, à la fin, elle s'est retirée du procès", déplore-t-elle.

Pour Silent Voices, le reportage ne se limite pas à raconter les histoires de ces survivants. Malgré les difficultés rencontrées, l'émission continue à éduquer ses auditeurs sur la manière de traiter légalement les questions d'abus et d'agressions sexuels.

Lorsque les survivants sont en mesure de partager leurs histoires, Mme Nandang et son équipe s'assurent que les récits et les preuves sont authentiques. Ensuite, ils facilitent l'accès aux services juridiques et aux aides de leurs partenaires. Dans de nombreux cas également, ils coordonnent les examens médico-légaux à effectuer et participent à identifier les traitements et le soutien psychologique nécessaires.

*[pseudonymes] les sources ont demandé à rester anonymes.


Photo de Fringer Cat sur Unsplash.