La presse papier en Haïti est presque éteinte

15 juil 2024 dans Pérennité des médias
Homme lisant un journal devant un mur de journaux

La version papier du journal Le Nouvelliste, vieux de 126 ans, qui a traversé toutes les crises en Haïti, a été suspendue suite aux attaques perpétrées contre ses locaux et d’autres institutions au centre-ville de Port-au-Prince au cours du mois d’avril 2024. La suspension de la version papier de ce journal souligne une quasi-extinction de la presse papier en Haïti, car jusqu’à sa fermeture, il était le seul journal imprimé du pays.

Max Chauvet, directeur général du journal Le Nouvelliste, exprime son inquiétude par rapport à cette situation. "La presse papier est presque éteinte, il n’y avait que Le Nouvelliste. Et nous souhaitons pouvoir recommencer avec la version papier du journal. C’est très inquiétant pour un pays de ne pas avoir de presse papier," explique-t-il. Selon lui, l’inexistence de la presse papier en Haïti va avoir des répercussions sur la transmission du savoir dans le pays.

La presse papier constitue également les archives du pays, fait remarquer le secrétaire général de l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH), Jacques Desrosiers. "Si l'on a besoin de se renseigner sur un évènement qui s'est passé dans le pays il y a longtemps, il faut se tourner vers un journal imprimé. La technologie offre des opportunités pour l'archivage, mais nous ne sommes pas encore à ce niveau en Haïti. La presse papier est importante même pour les archives du pays," insiste Jacques Desrosiers soulignant qu’il sera difficile de remonter les archives du pays pour l’année 2023. Si on veut les consulter, on n’aura pas d’autres choix que les colonnes du Nouvelliste. "À l’avenir, nous ressentirons la nécessité d'encourager la production de la presse papier."

La fragilité des archives numériques  

Jacques Desrosiers reconnaît l’impact de la technologie sur l’accès à l’information. Toutefois, il rappelle que le numérique a ses contraintes en matière de conservation des données. "Je vais prendre l'exemple du journal Le Matin, qui publiait en ligne, mais maintenant que le journal n'existe plus, son contenu n’est plus disponible sur le Web." La presse papier a quasiment disparu, elle doit bénéficier d’un accompagnement pour se relever car la situation économique du pays ne permet pas à la presse papier de résister, a-t-il prôné, disant plus loin que la presse en général doit bénéficier du support de l’État pour subsister tout en suivant un cadre réglementaire bien ficelé.

"Pour l’instant nous sommes dans l’incapacité de produire la version papier. Cela ne veut pas dire qu’on l’a abandonnée complètement. Si un jour l’ordre est rétabli et qu’on peut à nouveau descendre dans nos lieux historiques, on redescendra, mais cela prendra quand même du temps parce qu’on sera obligé de procéder à des réparations, et recommander des matières premières avant de remettre la machine en branle. Mais après, comment pourra-t-on atteindre les abonnés qui se sont déplacés, que ce soit à Martissant, Carrefour-Feuilles ? Ce sont tous ces problèmes qui font que la version papier est suspendue temporairement," précise M. Chauvet. 

L’administration du journal Le Nouvelliste et la salle des nouvelles ont été délogées à Pétion-Ville, mais c’est trop coûteux de déplacer l’ensemble du matériel du journal du Centre-Ville. L’attaque par des hommes non identifiés des locaux du Nouvelliste a été la goutte de trop qui a poussé les responsables à se tourner uniquement vers le web. "Ces derniers temps, avec les territoires perdus, nous avions eu beaucoup de difficultés pour livrer le journal aux abonnés. Non seulement beaucoup d’entre eux se sont déplacés, mais aussi les facteurs ne voulaient pas prendre le risque de livrer les journaux." En ce qui concerne la production du journal, "les camions ne pouvaient plus nous livrer du diesel, les camions ne pouvaient plus livrer de papier, nous ne pouvions pas recevoir les intrants, nos employés ne pouvaient pas se rendre sur place," détaille M. Chauvet.   

L'adaptation au numérique

Avant cette décision, le tirage du Nouvelliste avait été réduit parce que beaucoup d’abonnés avaient fui leur domicile. Certains ont changé leur mode de consommation d’information, préférant s’informer en ligne. "De plus en plus, la demande en ligne nous pousse à nous focaliser sur cette version. Et maintenant, comme nous n’avons plus de revenus, étant donné qu’on n’a plus d’abonnés, nous sommes en train de travailler sur une façon d’avoir un paywall, pour que l’accès en ligne, pour le moment gratuit, soit payant," avoue le DG du Nouvelliste. Il précise que le journal fermera si les responsables n’arrivent pas à implémenter une formule pour facturer les abonnés en ligne.

M. Chauvet estime que la mutation vers le numérique n’a pas que des mauvais côtés. Selon lui, le passage vers le numérique offre l’opportunité au journal d’être plus indépendant. "Le bon côté, lorsque tu as un site et que les abonnés paient, c’est aux abonnés que tu dois rendre des comptes."

Port-au-Prince compte aussi des journaux hebdomadaires provenant de la diaspora, mais avec un tirage réduit, et quelques-uns sont vendus exclusivement aux États-Unis, au Canada et en France.

 


Photo de Ian Maina sur Unsplash