Journaliste du mois : Ruth Kutemba

1 févr 2024 dans Journaliste du mois
Ruth Kutemba

La journaliste Ruth Kutemba s'est lancée dans le journalisme en 2017 alors qu'elle était étudiante à l'université de Lubumbashi, dans sa République démocratique du Congo (RDC) natale. Sa première démarche a été de rejoindre un groupe de jeunes journalistes talentueux à la station de radio de l'université.  

"Les gens m'ont dit que j'avais une très belle voix. On m'a même surnommée ‘Ruth RFI’ parce que les gens disaient qu'on aurait dit que j'étais à Radio France Internationale", raconte-t-elle. 

Mme Kutemba a également travaillé pour le magazine de l'école, "Phoenix 40", où elle a raconté des histoires de femmes et amplifié les voix sous-représentées dans une rubrique intitulée "Dans la peau d'une femme".

Après avoir obtenu son diplôme en 2019, elle est devenue reporter et productrice pour Héritage TV.  Elle a également travaillé pour Congo Check, Habari RDC et Global Infos, où elle gère la rubrique “Desk Femme".

Être journaliste en RDC n'est pas facile. Les restrictions imposées aux médias sont nombreuses et l'incertitude financière est grande. Dans le pays, des journalistes ont été détenus pour leurs enquêtes et accusés de diffuser des "fake news". Un rapport publié en 2022 par le Département d'État américain a révélé que l'autocensure parmi les journalistes est également courante. 

Mme Kutemba est membre du Forum francophone de reportage des crises mondiales de l'ICFJ et a écrit pour IJNet en français. Je lui ai parlé de son expérience en RDC, de la façon dont elle a bénéficié d'IJNet et du Forum, et plus encore :

 

Qu'est-ce qui vous a d'abord attiré vers le journalisme ?

Depuis toute petite, je rêvais de faire ce métier ; beaucoup me disent que mon don est inné, que j'ai été destinée à être journaliste. C'est d'abord une passion car je ne gagne pas beaucoup. Sans la passion, j'aurais abandonné. Je m'inspire de Dominique Tchimbakala, journaliste à TV5 Monde, qui, en tant que doyenne, m'a motivée à suivre cette voie.

Beaucoup m'ont découragée en me disant que je n'allais rien gagner, que les journalistes n'ont pas d'argent. Mais je suis toujours optimiste. L'argent vient après le travail. Quand les gens me disent : "Ruth, c'est grâce à toi que je suis entrée dans le journalisme. Vous êtes ma source d'inspiration", cela me motive.

C'est un métier noble que je ne regrette pas d'avoir choisi.

Quelle a été votre expérience en tant que femme dans le journalisme ?

Je me souviens avoir été contactée par Global Infos, un média en ligne qui recherchait une journaliste responsable de la rubrique "Desk Femme". J'ai pu décrocher cette opportunité parce qu'ils avaient besoin d'une femme journaliste. 

Je suis également membre de la communauté WanaData, un réseau panafricain de femmes journalistes de données basé au Sénégal.

 

Comment les évolutions technologiques ont-elles influencé la manière dont vous interagissez avec votre public ?

Il est vrai que notre profession évolue avec les progrès technologiques, et actuellement il y a une rupture dans la manière dont l'information est consommée par le public.

Nous devons nous adapter pour répondre aux besoins de la société. Nous proposons des contenus qui touchent à la vie sociale de la population, et au-delà de la télévision, nous les diffusons en ligne. Plusieurs chaînes de radio et de télévision l'ont compris, la plupart ont des chaînes YouTube, des sites, des pages, des comptes Facebook pour toucher une grande partie de la population ici en RDC.

Un autre aspect est que les rédactions doivent former les journalistes à la vérification des faits car, avec les progrès technologiques, beaucoup de fausses informations sont diffusées. Un constat amer est que même les journalistes tombent dans ce piège à la recherche de scoops, et c'est un danger.

 

Y a-t-il des histoires dont vous êtes particulièrement fière ?

Une fois, j'ai réalisé un reportage sur le manque d'électricité dans un quartier de la ville de Lubumbashi. Après mon reportage, le quartier a été électrifié. Quand les habitants me rencontrent, ils me disent qu'ils sont heureux parce que j'ai apporté une solution à leur problème.

J'ai également réalisé un reportage sur une femme qui a donné naissance à des triplés. Elle et son mari n'avaient pas d'argent, mais grâce à mon reportage, ils ont pu obtenir de l'aide. Mon reportage a eu un effet tangible sur la communauté locale et a permis d'apporter des changements significatifs.

Quelles sont vos principales préoccupations en tant que journaliste en RDC ?

En RDC, la sécurité des journalistes n'est pas vraiment garantie, surtout lorsqu'ils enquêtent sur des sujets sensibles comme les mines. Certains de nos collègues ont perdu la vie. Le conseil que mes aînés me donnent toujours est le suivant : un bon journaliste est un journaliste vivant. 

Ma carrière n'a qu'une dizaine d'années. J'essaie toujours de me référer à un code de déontologie afin de faire mon travail correctement. Je comprends également que les partenariats entre les médias et les institutions gouvernementales restreignent la liberté de la presse. L'indépendance financière des journalistes est importante pour jouir de la liberté de la presse.

 

Comment avez-vous bénéficié du Forum de reportage des crises mondiales de l'ICFJ et d'IJNet ? 

Le Forum a renforcé mes capacités et m'a armée en participant à divers webinaires. L'un de ces webinaires portait sur la manière d'augmenter ses chances d'être embauché comme journaliste. Parmi les conseils partagés lors de l'événement, le panéliste a suggéré, entre autres, de se spécialiser afin de se démarquer de la foule. 

J'ai suivi le conseil du panéliste et me suis spécialisée dans les questions relatives aux femmes, ce qui m'a permis d'obtenir un emploi chez Global Infos, où je suis responsable du bureau des femmes. Sans les conseils du Forum partagés lors de ce webinaire, je n'aurais jamais eu cette opportunité. Le Forum m'a formée, continue de me former et je continue d'apprendre. Je suis fière d'être membre du Forum francophone de l'ICFJ. 

Poussée par mon désir de démystifier la désinformation, j'ai écrit un article pour IJNet, qui m'a permis d'être recrutée par la plateforme de vérification des faits en ligne, Congo Check. Je n'avais jamais eu cette opportunité jusqu'à ce qu'IJNet m'offre la possibilité d'écrire cet article sur les conseils pour combattre la désinformation dans les zones de conflit.

 

 


Photo avec l'aimable autorisation de Ruth Kutemba.

Cet entretien a été édité pour plus de clarté et en termes de longueur.