Le journaliste guinéen Facely Konaté a commencé à faire du reportage à l’âge de 23 ans. Il attribue à son père, un passionné de radio, le mérite de lui avoir inculqué une passion pour le journalisme.
Ayant grandi à N'Zérékoré, une ville située dans une région forestière à environ deux heures de vol de la capitale Conakry, son père lui fournissait un récepteur radio pour qu'il puisse écouter les informations et lui en faire part. Au début, M. Konaté trouvait cette tâche difficile, mais il s'y est habitué : “Je me couchais et me réveillais avec ma petite radio.”
M. Konaté travaille dans le journalisme depuis une décennie maintenant, période au cours de laquelle il est devenu un reporter primé. En 2020, il a été finaliste du prix Ghislaine Duport et Claude Verlon de Radio France Internationale. Plus tôt cette année, il a remporté le Prix d'excellence du journalisme en Guinée, décerné par l'ICFJ et l'ambassade des États-Unis en Guinée.
Il a également été mis sous pression pour ses enquêtes. En janvier, il a été la cible d'une tentative de cambriolage à son domicile, après avoir collaboré avec un journaliste français pour révéler un scandale de corruption dans le secteur pétrolier guinéen. Il soupçonne que l'incident a été motivé par des raisons politiques en raison de ses reportages.
Inquiet pour sa sécurité, M. Konaté a fui la Guinée pour la Côte d'Ivoire, où il est resté près de deux mois. Il n'est revenu fin mars qu'après le limogeage du directeur de la Sonap, Amadou Doumbouya, objet de son enquête .
Mais M. Konaté n’a jamais cessé de faire des reportages. “Je suis convaincu que j’ai encore une contribution significative à apporter dans ce secteur dans mon pays”, déclare-t-il.
J’ai parlé avec M. Konaté de sa carrière, de son dévouement au journalisme et de sa vision positive du domaine malgré les menaces auxquelles il a été confronté.
Quel type de journalisme pratiquez-vous ?
Je contribue à ma manière à la promotion de la démocratie et d'un journalisme de qualité dans mon pays. Je m'emploie à donner la parole aux sans-voix, à communiquer des faits cachés, à démystifier les fausses informations, à demander des comptes aux personnes au pouvoir et à révéler des scandales de corruption comme le récent cas de la SONAP et l'acquisition d'une villa au Texas par son ancien directeur général, Amadou Doumbouya.
En outre, je m’efforce de dénoncer les violations des droits humains ou les injustices sociales. C’est à mon avis la plus belle réussite. Ma mission en tant que journaliste est de continuer à informer, à sensibiliser et à construire une presse véritablement libre et indépendante.
Quel avenir envisagez-vous pour le journalisme ?
Le journalisme est un domaine en constante évolution, façonné par les avancées technologiques et les changements sociétaux. Cette évolution a des conséquences importantes, notamment la prolifération de fausses informations et de manipulations qui érodent la crédibilité des médias traditionnels, l’effondrement des modèles économiques traditionnels et l’évolution des habitudes de consommation de l’information.
La polarisation des réseaux sociaux, qui favorise la création de “bulles de filtres” renforçant les opinions préexistantes, et le développement de l’intelligence artificielle sont également des facteurs à prendre en considération.
Malgré ces défis, le journalisme reste essentiel car la société a besoin d’informations fiables et de qualité. Il suffit de s’adapter au contexte actuel en innovant tout en gardant à l’esprit nos missions fondamentales : informer, analyser et donner du sens à l’actualité.
La défense de la liberté de la presse est un combat que vous menez. Pourquoi est-ce important pour vous ?
Aujourd’hui, en Guinée comme ailleurs dans le monde, la liberté de la presse est gravement menacée. Il suffit de regarder la carte de la liberté de la presse 2024 de Reporters sans frontières.
En Guinée notamment, les journalistes sont régulièrement confrontés à la censure, aux arrestations et même aux violences. Ce climat de répression m’a conduit à mener ce noble combat.
En 2019, j’ai cofondé l’Association des Professionnels des Médias de Guinée Forestière (APROMED-GF), et depuis juin 2023 ce combat est également mené au niveau international avec mon élection au conseil d’administration de Reporters Sans Frontières.
Pour moi, défendre la liberté de la presse signifie renforcer la démocratie et garantir le droit des citoyens à être informés de manière libre et impartiale. Le combat continue.
Comment IJNet vous a-t-il aidé dans votre carrière ?
IJNet est un outil extrêmement utile pour trouver des opportunités, des bourses et des prix auxquels postuler. Ma participation, par exemple, au Prix “Claude Verlon et Ghislaine Dupont” de Radio France Internationale s’est faite grâce à IJNet, et j’ai fait partie des 10 finalistes dans la catégorie “Jeunes Reporters”.
En mars 2024, j’ai reçu le “Prix d’excellence du journalisme en Guinée” dans la catégorie “Rédaction éditoriale” de l’ICFJ. J’ai également récemment reçu une bourse de formation en reportage de l’ICFJ Guinée, tout cela grâce à cette plateforme.
Je recommande souvent IJNet lors de mes formations auprès de jeunes journalistes et je continue d’en bénéficier. C’est l’une des meilleures plateformes pour accompagner les journalistes dans leur développement personnel. Il est essentiel de maintenir et de soutenir cette plateforme.
Vous êtes membre du Forum francophone sur le reportage des crises. Comment avez-vous bénéficié de votre implication ?
En 2020 j’ai vu un post sur “Comment démarrer un bon podcast”, ce qui a attisé ma curiosité. J’ai donc assisté à la session de formation qui était animée par Abèdjè Sinatou Saka et modérée par le directeur du Forum, Kossi Elom Balao.
Je m'abonne à la newsletter du Forum et je ne manque jamais une mise à jour. J'ai même organisé des webinaires avec le Forum pour partager mon expérience de couverture de la pandémie de COVID-19.
Ce qui me fascine au Forum, c'est la pertinence et la diversité des thématiques et des invités. J'apprends beaucoup grâce aux différents webinaires organisés par le Forum. Mais ce qui est encore plus intéressant, c'est le networking. Aujourd'hui, j'ai des amis partout grâce à ce groupe de plus de 3 500 membres.
Quelle est votre plus grande peur en tant que journaliste ?
Lorsque nous décidons de révéler des faits cachés et de dénoncer des violations des droits humains et des injustices sociales, il est évident que nous nous exposons à des risques. Les menaces et les intimidations font partie de notre quotidien.
Dans le contexte actuel de restrictions des libertés individuelles et collectives, de fermeture des médias indépendants, d’enlèvements et de disparitions forcées en Guinée, la peur est omniprésente. Chaque jour, nous nous disons que cela pourrait être notre dernier. Je me suis préparé psychologiquement à cette éventualité.
Quels conseils donneriez-vous à vos collègues journalistes ?
Dans le contexte actuel de transformation numérique qui bouleverse le secteur des médias, j’invite les journalistes à cultiver une curiosité sans limites et à s’engager dans un apprentissage continu. L’évolution rapide de notre secteur nécessite une mise à jour constante des connaissances pour rester pertinent et compétitif.
De plus, la spécialisation est devenue essentielle pour développer une expertise approfondie dans un domaine précis et se démarquer de la concurrence. Je conseillerais également aux autres journalistes d’être patients et professionnels. Respecter l’éthique et distinguer le bien du mal est essentiel, tout comme développer un réseau solide.
Le journalisme est un métier passionnant mais exigeant. Avec de la curiosité, du travail et une formation continue, il est possible d'atteindre ses objectifs.
Photos avec l'aimable autorisation de Facely Konaté.