Amos Abba a grandi à Otukpo, au Nigeria. Son voisin était vendeur de journaux. Il le laissait en emprunter pour s'informer sur les événements qui se déroulaient dans sa ville natale. Ces interactions quotidiennes ont initié M. Abba au journalisme dès son plus jeune âge. Il ne savait pas alors que cela le mènerait à une carrière de journaliste d'investigation.
"Je veux être à l'avant-garde et changer le récit", affirme M. Abba. "C'est ce que je peux faire pour changer la façon dont les gens perçoivent les choses et influencer la société pour le mieux."
Il a commencé l'université en 2012, en tant qu'étudiant en mathématiques, mais ses rêves d'enfance de devenir journaliste ne l'ont pas lâché. À l'Université fédérale d'agriculture de Makurdi, M. Abba était étudiant-reporter pour le journal de l'école. C'est là qu'il a rencontré son mentor, Hannah Ajakaiye, une lauréate du programme Knight de l'ICFJ, et qu'il a su qu'il voulait faire carrière dans le journalisme.
Après avoir obtenu son diplôme en 2015, M. Abba a passé une année au sein du National Youth Service Corps, qui est obligatoire pour les diplômés nigérians. Il a travaillé comme professeur de mathématiques pour les élèves du premier cycle du secondaire. Ce programme de service civique est conçu pour promouvoir l'unité entre les différentes communautés à travers des domaines spécifiques tels que l'agriculture, la santé, l'éducation et les infrastructures.
Pendant sa période de service civique, il a poursuivi sa passion pour l'écriture en tant que journaliste indépendant. Il a écrit pour le média en ligne The Nation, où il couvrait l'agriculture.
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En 2018, M. Abba a commencé un stage au sein de l'International Centre for Investigative Reporting (ICIR), où il a couvert le développement durable et la santé. Peu de temps après la fin de son stage, il a commencé à y travailler à plein temps comme reporter sur le pétrole et le gaz.
La passion de M. Abba pour le journalisme vient du fait que cette discipline lui permet de découvrir des choses que les gens au pouvoir essaient de cacher. Ce qu'il préfère, ce sont les reportages où il peut "trouver et démêler les choses", dit-il. "C'est ce qui rend un sujet intéressant pour moi."
En avril 2019, Nestlé Nigeria a construit une usine à Manderegi, au Nigeria, pour fournir de l'eau potable aux habitants de la ville. Deux ans seulement après sa construction, les habitants subissaient toujours des pénuries d'eau régulières. Une fontaine d'eau potable fournie par Nestlé était cassée et le cours d'eau local était contaminé par les déchets de l'usine.
M. Abba a révélé l'histoire pour l'ICIR, mettant en lumière les promesses non tenues de Nestlé Nigeria. Grâce à son reportage, il espérait permettre la restauration de l'approvisionnement en eau de la communauté. En octobre 2019, Nestlé Nigeria avait réparé les robinets cassés, vérifié la contamination des déchets et construit un barrage pour stopper l'écoulement des déchets dans les cours d'eau.
"À l'ère des fake news et de la méfiance envers les médias, j'écris des papiers qui s'appuient sur des faits concrets pour exposer les individus qui trompent leurs communautés", explique M. Abba. "J'aime demander des comptes aux puissants et j'ai l'intention de le faire pendant les années à venir."
M. Abba a également mis à jour trois entreprises douteuses qui prétendaient avoir trouvé un remède contre le cancer, mais qui ne faisaient en réalité qu'extorquer de l'argent aux habitants d'Abuja. Il s'est rendu incognito dans un petit appartement décoré de façon sommaire avec une table et quelques chaises, qui se faisait passer pour la vitrine de l'une de ces entreprises. Les étagères contenaient quelques produits à base de plantes qui pouvaient être retirés rapidement (si besoin). Après avoir discuté des problèmes du "patient", il a compris que l'entreprise ne cherchait qu'à gagner de l'argent et ne tenait pas compte des diagnostics réels.
L'entreprise de médicaments à base de plantes était en plein essor en raison des coûts de traitement élevés pratiqués mais que les patients ne pouvaient pas se permettre. Malheureusement, les suppléments à base de plantes n'ont donné aucun résultat et les personnes ont dilapidé leur argent. M. Abba a mis en lumière ce commerce clandestin et a poussé à réaliser davantage d'études sur ces (prétendus) médicaments.
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De nombreux journalistes qui dénoncent les méfaits des entreprises et des dirigeants sont souvent victimes de menaces et d'intimidations en raison de leur travail. Conscient de ces dangers, M. Abba met en place des mesures de sécurité et discute de ces problèmes avec son rédacteur en chef, qui a la décision finale sur la manière de gérer la situation.
"Nous publions des articles signalant si j'ai été menacé, juste pour que cela se sache", explique-t-il. "Nous devons nous assurer que nous exposons les personnes qui profèrent des menaces verbales comme preuve afin de voir si quelque chose dégénère ensuite."
M. Abba a plusieurs fois soumis son travail à des concours qu'il a trouvés sur IJNet, ce qui lui a valu de nombreuses récompenses. En 2019, il est arrivé en troisième place des Fetisov Journalism Awards et a été présélectionné pour les Kurt Schork Memorial Awards pour son reportage sur Nestlé Nigeria. Il a également été présélectionné pour le Thomson Foundation Young Journalist Award pour son reportage sur les faux médicaments contre le cancer.
Pour réussir dans le journalisme, M. Abba affirme : "Vous devez avoir une grande considération éthique et une appétence pour les actualités. La curiosité doit être votre moteur en tant que journaliste, mais vous devez faire preuve de retenue afin de ne pas diffuser des informations que les gens considèrent comme des fake news."
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Naomi Ludlow est stagiaire chez IJNet.
Image principale fournie par Amos Abba.