Contenu de fact-checking en langue locale : ces médias d'Afrique francophone partagent leur expérience

13 août 2024 dans Lutte contre la désinformation
Jeunes africains

Depuis l'avènement du fact-checking déclenché par la flambée mondiale des fausses nouvelles, en Afrique francophone, ces contenus sont souvent disponibles en format écrit et en français. Pourtant, les publics ne sont pas tous alphabétisés et n'ont pas toujours accès à Internet pour accéder à ces contenus de vérification des faits.

La consommation des fact-checks en est de fait limitée alors que la désinformation et ses conséquences n'épargnent personne. Conscients de cette réalité, des médias de vérification des faits en Afrique ont décidé de rendre leurs contenus disponibles en langues locales et aux formats diversifiés afin d'atteindre de nouvelles couches de la population.

Lire le contenu écrit pose problème

La majeure partie du public ne souhaite pas de lire le contenu de fact-checking. Lors d’un sondage, plusieurs ont cité préférer les vocaux ou les vidéos dans les langues locales, explique Abdoulaye Guindo, journaliste et coordinateur de la plateforme Benbere au Mali, dont l'une de ces composantes est consacrée à la vérification des faits.

Lancé depuis 2019, ce média malien fait usage de cinq langues, dont le bambara, la plus parlée au Sud, le fulfulde et le dogosso touchent le centre et le sanghoï, qui est plus parlée au Nord.

"Ici, les langues locales sont plus consommées et le médium le plus écouté est la radio, donc, on sait toucher le plus grand nombre des maliens qui ne sont pas connectés," raconte M. Guindo.

La Voix de Mpoti, un média de Bamako, fait usage de podcasts depuis fin 2023, dans deux langues locales. Ses contenus sont partagés ensuite dans des groupes WhatsApp, raconte Dramé Yacouba, son directeur de publication. "Au Mali, les groupes WhatsApp sont des terrains favorables à la circulation des fausses informations. Nous collaborons avec certains administrateurs pour débusquer tout infox," explique-t-il.

Chaque pays d'Afrique francophone a ses réalités. En République Centrafricaine, la majorité du public n'a pas accès à Internet et vit au rythme des rumeurs. "Pour atteindre cette couche, nos contenus sont diffusés sur les chaînes de radio dans l'une de nos langues locales, le Sango," déclare Britney Ngalingbo, directrice Exécutive à Centrafrique Check.

Au Bénin, le média, Badona, appelé également Banouto, avait lancé son initiative pendant environ sept mois entre 2021 et 2022, dans le cadre d'un projet de jumelage des initiatives de fact-checking appuyées par l'Organisation internationale de la Francophonie. Une initiative qui n'existe plus, pour manque de moyens financiers, raconte son directeur de publication Olivier Ribouis. "Nous diffusons nos contenus au sein des radios partenaires, offrant un forfait. Le projet est arrivé à son terme, nous n'avons plus les fonds, mais l'une de nos radios partenaires, a gardé l'initiative."

Impact des contenus en langue sur le public

"Les fausses informations qui surviennent de façon récurrente ne sont plus crues, » se réjouit Abdoulaye Guindo de Benberé.

Comparativement à l'ancien style (format écrit), M. Guindo ajoute que cet impact se traduit également par l'augmentation des vues de contenus vidéo et podcast disponibles sur la page Facebook, le compte X (anciennement Twitter) et la chaîne YouTube du média.

Même si le projet Badona n'a duré que quelques mois, M. Olivier Ribouis, pense que le feedback des auditeurs est un bon indicateur : "Même si nous ne parvenions pas à couvrir l'ensemble du public touché par la désinformation, le retour est positif. Une fois écoutée la version vérifiée, les auditeurs nous remercient," précise-t-il.

À Ouagadougou, Faso Check fait usage de quatre langues locales depuis quatre ans, dont, le moré, le fulfulde, le dioula, et le gourmatchema. Ses contenus sont livrés à travers des capsules radio diffusées sur les radios partenaires : "Parfois, ce sont les communautés qui nous interpellent sur des sujets qu'elles souhaitent vérifier," témoigne Ange Lévi Jordan Meda, responsable du pôle éditorial et coordinateur des productions d'articles de fact-checking ainsi que de leur adaptation en langues locales.

À Centrafrique Check, le grand public a pu développer un esprit critique et se tourne de plus en plus vers les travaux de vérification : "Cela fait déjà trois ans, et grâce aux interactions, nous recevons des messages d'encouragement du grand public," précise sa directrice exécutive.

Mécanisme d'évaluation de cet impact

"C'est un impact qualitatif, nous ne pouvons pas le quantifier, il est difficile d’en évaluer l’audience," souligne M. Ribouis.

"Nous mesurons cet impact, grâce au retour du public à travers les clubs d'écoute des radios. Avec les événements politiques et sociaux qui secouent le Burkina-Faso, les gens prennent de plus en plus conscience que la désinformation peut nuire à chacune des communautés," poursuit M. Lévi Jordan Meda de Faso Check.

De son côté, le média malien Benbéré dispose d'un formulaire Google en ligne et d'une base des données de ses abonnés : "Notre suivi évaluateur fait des sondages après avoir diffusé nos contenus et interagit avec le public," raconte M. Abdoulay.

Malgré ce travail de vérification, il reste une population qui croit toujours à la fausse information parce qu'elle est largement diffusée. Il y a aussi ceux qui y croient par méconnaissance.

"Le fact-checking ne suffit pas. Il faut une éducation aux médias pour aider les communautés à faire attention aux contenus qui circulent sur les réseaux sociaux," complète M. Dramé Yacouba, directeur de publication à la Voix de Mpoti.

Ces initiatives devaient se multiplier, insiste Olivier Ribouis, directeur de publication du média béninois Badona : "Là où le vrai est absent, c'est le faux qui fait la loi," conclut-il.

 


 

Photo de Joshua Oluwagbemiga sur Unsplash