Les sites web qui véhiculent la désinformation ont souvent différentes sources de revenus. En les repérant, les journalistes peuvent trouver les acteurs impliqués et remonter aux réseaux responsables du financement des faux contenus en ligne. Identifier ceux qui perpétuent la désinformation est essentiel pour corriger les mensonges et découvrir la vérité.
"On pensait autrefois que la désinformation était organique, mais nous nous rendons compte aujourd'hui qu'elle est organisée et poursuit des objectifs très précis", explique Rosental Alves, directeur fondateur du Knight Center for Journalism in the Americas, lors du discours d'ouverture de Disarming Disinformation, nouveau programme de l'ICFJ.
Dans la première des quatre masterclasses organisées en partenariat avec le Knight Center, Craig Silverman, journaliste chez ProPublica, a partagé les bases de l'identification des publicités en ligne liées à la désinformation et de la cartographie des bailleurs qui les financent.
Les sources de revenus des éditeurs de désinformation
Les annonces display et textuelles sont les deux types de publicité numérique les plus courants. Les premières sont les bannières figurant sur la bordure d'un site web, tandis que les secondes sont celles qui sont formatées pour ressembler à un élément du contenu du site. Ces dernières sont souvent structurées comme un article avec un titre et une photo.
Les deux types d'annonces sont placés grâce à un processus automatisé d'achat et de vente aux enchères appelé publicité programmatique, où les annonces ciblent les utilisateurs en fonction des informations recueillies dans leurs historiques de recherche. Le résultat de ce système intermédiaire, explique M. Silverman, est que "les annonceurs ignorent souvent où leurs contenus peuvent apparaître."
Le contenu sponsorisé est un type de publireportage traditionnel ; il est présenté comme un article classique, mais contient une mention “publicité” avec un bailleur de fonds affiché. Les annonces affiliées, que l'on trouve fréquemment dans le contenu sponsorisé, renvoient à des sites Web où l'on peut acheter des produits. Le site sur lequel la publicité apparaît est rémunéré, ce qui crée une relation basée sur des commissions. "Cela diffère de la publicité programmatique en raison de la relation directe entre le contenu sponsorisé et l'éditeur", précise M. Silverman.
Les sites Web, dont ceux qui colportent la désinformation, s’appuient généralement sur d'autres sources de financement. Il s'agit notamment de l’e-commerce, grâce auquel les sites vendent des marchandises et des produits de santé, des dons des lecteurs et de l'adhésion, qui offre au public un contenu exclusif moyennant paiement. Cette dernière source peut faciliter la diffusion de contenus qui échappent aux fact-checkeurs car il s’agit de revenus obtenus sans intermédiaire.
Enfin, grâce aux financements cachés, les particuliers, les entreprises et les États peuvent financer une cause sans révéler leur identité. Cela ne laisse aucune trace permettant aux enquêteurs de remonter à la source. "Ce dernier type de revenus, les financeurs anonymes, est le plus difficile à suivre car il est caché", souligne M. Silverman. "L'argent provient de sources inconnues".
Conseils d’enquête
Lorsqu’on commence à chercher les personnes qui financent la désinformation en ligne, il faut d'abord identifier les publicités présentes sur les sites en question et déterminer leur origine, explique M. Silverman.
Pour les annonces display, "recherchez un petit triangle dans le coin supérieur droit de la bannière et cliquez dessus pour voir le réseau publicitaire qui l'a placée", dit-il. "C'est avec lui que le site web travaille pour générer des revenus".
M. Silverman poursuit : "Les dons peuvent être examinés en notant le service de traitement des paiements utilisé (PayPal, par exemple), en cliquant sur le lien de don pour voir si apparaissent des informations complémentaires sur le nom, la société ou l'individu qui demande de l'argent, permettant ainsi de rassembler les contacts possibles pour construire un réseau d'enquête." Pour l’e-commerce, examinez les liens vers des produits. Une fois que vous les avez trouvés, creusez davantage pour découvrir "qui fournit la boutique en ligne et quels produits sont vendus", ajoute-t-il.
Les bailleurs de fonds non divulgués constituent un défi majeur, avertit M. Silverman. Il note toutefois qu'il existe des moyens de détecter les financements secrets. Les sites dont les sources de revenus ne sont pas affichées peuvent ne pas être monétisés ou ne pas bénéficier d'un soutien financier suffisant pour maintenir leur production, leur personnel et leurs opérations. Cette "inadéquation des ressources", comme le dit M. Silverman, "indique que le financement provient de sources moins évidentes".
Il conseille aux enquêteurs de parler à d'anciens employés, sous-traitants ou contributeurs qui pourraient avoir des informations précieuses, afin d'obtenir plus de détails sur le financement d'une organisation donnée. Trouver de la documentation, tels que les registres d'entreprise, permettra aux journalistes d'identifier les entités ou les propriétaires qui peuvent être liés ou identifiés comme financeurs.
Pour en savoir plus sur les origines d’une publicité, les enquêteurs doivent vérifier le fichier ads.txt d'une publicité et prêter une attention particulière à la catégorie “Direct records” pour voir quels partenaires sont répertoriés. M. Silverman explique également que certains outils de navigation analysent les sites et détectent le type de technologie publicitaire utilisée, ce qui peut accélérer le processus d'enquête. Il s'agit notamment du plug-in de navigateur Ghostery, qui permet d'identifier les publicités et leurs liens monétaires, et Blacklight de The Markup, qui analyse les partenaires publicitaires d'un site Web et la technologie qu'ils utilisent.
Les enquêteurs doivent désactiver leurs bloqueurs de publicité durant ces recherches afin de pouvoir visualiser toutes les publicités sur un site. Sinon, certaines seront filtrées. M. Silverman leur conseille également d'utiliser les profils en ligne de leurs collègues ou d'autres personnes pour prendre en compte les publicités qui leur sont proposées. Leurs navigateurs Web et leurs historiques de recherche personnalisés font apparaître des publicités uniques, ce qui élargira l’échantillon de données.
M. Silverman a conclu par quelques points clefs supplémentaires. Lors de l'enquête, il est essentiel de noter ce qu'un site Web vend ou promeut, de faire la distinction entre la relation directe et les publicités intermédiaires, et d'identifier si des efforts sont mis en place pour cacher les sources de revenus. Soyez attentifs, aussi, aux tendances qui permettraient de créer des liens et prouver que certains financeurs de la désinformation travaillent de manière concertée.
Disarming Disinformation est mené par l’ICFJ grâce au soutien de la Fondation Scripps Howard, une structure liée au fonds Scripps Howard Fund, qui gère les actions caritatives de la E.W. Scripps Company. Ce projet sur trois ans donnera aux journalistes la capacité aux journalistes et aux étudiants en journalisme de lutter contre la désinformation dans les médias.
Photo de lucas Favre sur Unsplash.