Comment photographier les communautés vulnérables avec éthique et compassion

24 mai 2023 dans Journalisme multimédia
Deux femmes photographes

À l'ère de l'accès sans précédent à l'information via internet et les réseaux sociaux, la représentation honnête et précise par le biais d'images doit être une priorité. Dans cette optique, les photojournalistes doivent prendre des précautions pour éviter de publier des images susceptibles de nuire aux communautés vulnérables ou de les exploiter.

Voici quelques conseils de photojournalistes africains.

Le contexte juridique et la sécurité

Lorsque vous travaillez avec des communautés vulnérables, tenez compte du contexte juridique et de la possibilité que la sécurité de vos sujets photographiés soit mise en danger par votre travail.

Par exemple, en Ouganda, il est illégal de s'identifier comme LGBTQ. Les peines encourues peuvent aller de la prison à vie à la peine de mort. La publication de photographies exposant l'identité de personnes LGBTQ pourrait mettre la vie de ces personnes en danger.

" Bien que certaines personnes soient prêtes à prendre tous les risques pour défendre leur liberté, il est essentiel de se rappeler que la publication d'un article dans une langue étrangère ne signifie pas nécessairement que les Ougandais ne pourront pas y accéder. Je conseille toujours les photos anonymes [qui cachent l'identité du sujet]", déclare Sofi Lundin, une journaliste basée en Ouganda.

Luke Dray, un photojournaliste qui a récemment documenté une communauté LGBTQ en Ouganda, partage son expérience sur la manière dont il a établi une relation de confiance et de transparence essentielle pour mener à bien ce projet. "Je me suis présenté à toutes les personnes présentes dans le refuge et je leur ai expliqué pourquoi j'étais là. Je leur ai montré mon travail antérieur avec des communautés marginalisées et des personnes menacées par des acteurs étatiques", raconte-t-il. "Je leur ai également montré les photos que j'avais prises tout au long de la journée, afin qu’ils voient comment j'utilisais la lumière et la composition pour dissimuler leur identité. Leur sécurité était ma priorité absolue.”

Lors de la capture d'images, il est primordial de ne jamais compromettre le droit à la vie privée et à la sécurité des individus. Veuillez prendre en compte les éléments suivants lorsque vous photographiez votre sujet :

  • Est-il réellement nécessaire de divulguer son identité, ou est-il plus sûr de raconter son histoire de manière anonyme ?
  • Votre sujet a-t-il pleinement conscience des conséquences liées au partage de son histoire et de l'impact que cela peut avoir sur sa communauté et sa famille ?
  • Les personnes concernées ont-elles la possibilité d'accéder aux images et de donner leur avis sur celles-ci avant leur publication ?

Les dynamiques de pouvoir

Tenez compte de la dynamique de pouvoir qui existe entre vous en tant que photographe et la personne qui est photographiée. 

Lorsqu'un photographe se rend dans une communauté défavorisée avec son appareil photo en bandoulière, il se retrouve inévitablement dans une position de pouvoir : il détient le contrôle sur la manière dont le sujet est perçu. C’est le photographe qui raconte l'histoire, qui décide de ce qui doit être raconté et comment cela doit être fait.

"Lorsque l’on travaille avec des communautés vulnérables, il est primordial d'établir dès le début une relation de confiance, de confort et de consentement, afin de garantir que les personnes se sentent responsabilisées et en mesure de faire entendre leur voix tout au long du processus", explique Luis Tato, photographe travaillant pour l'Agence France-Presse. "Je place l'échange avec les membres de la communauté au premier plan en initiant un dialogue et en conversant avec eux autant que possible avant de commencer à prendre des photos. Cela me permet d'expliquer clairement mes intentions et le but des photos, tout en comprenant leurs préoccupations et leurs points de vue. J'accorde également une grande importance à l'écoute de leurs opinions et de leurs suggestions, ainsi qu'au respect de leurs limites et de leurs choix. Je leur laisse notamment le pouvoir de décider ce qui convient d'être photographié."

Il est important de s'efforcer de comprendre comment les personnes que vous photographiez aimeraient être représentées. J'aime demander à mon sujet où il aimerait être photographié, s'il a un endroit préféré chez lui ou sur son lieu de travail, ou s'il a besoin de temps pour se préparer pour les photos. Vous pouvez également leur demander de choisir les images qui, selon eux, les représentent le mieux. En offrant à votre sujet la possibilité de participer à la manière dont il est photographié, vous lui accordez un certain degré d'autonomie et ouvrez la voie à une narration plus nuancée.

La production

La manière dont nous produisons des images a un impact sur les histoires que nous racontons. Photographier un enfant depuis une position élevée, par exemple, peut transmettre un message de vulnérabilité et d'impuissance. Photographier une mère tenant son bébé contre un tas d'ordures peut la dépeindre comme impuissante et sans espoir. Méfiez-vous des images qui ne rendent pas compte des contextes plus larges de la vie des gens.

Il est acceptable de montrer des personnes dans une situation de besoin si c'est la réalité qu'elles vivent, mais cela ne doit pas être la seule façon de les voir. Les images qui se concentrent uniquement sur les besoins d'un sujet n'aident pas le public à comprendre les problèmes qui sont derrière ces besoins. 

Nous devons nous efforcer de comprendre et de transmettre la complexité des situations des personnes que nous photographions, en tenant compte à la fois des besoins et de la capacité d’agir de chacun. Les questions que je me pose lorsque je photographie sont les suivantes :

  • Est-ce que je serais satisfait de me voir moi-même ou de voir des membres de ma famille représentés de cette manière ?
  • Est-ce la seule histoire que je peux raconter ?

La représentation

Lorsque nous incorporons des images dans nos reportages, nous détenons un pouvoir significatif sur la perception des personnes que nous photographions par les spectateurs. Il est primordial d'en être conscient et d'éviter d'utiliser des images qui renforcent les stéréotypes négatifs préexistants.

Gordwin Odhiambo est un photojournaliste originaire de Kibera, un quartier densément peuplé et à faible revenu de Nairobi, au Kenya. Il estime que le récit visuel entourant sa communauté perd souvent contact avec la réalité. Il a tendance à accentuer ce qui manque et néglige les aspects positifs que les habitants apprécient : un fort sentiment de communauté, une vie sociale dynamique, la chaleur des personnes et le caractère abordable de la nourriture et du logement. "Kibera est en train de changer. Il ne s'agit pas seulement de pauvreté. Faites vos recherches, voyez ce que les gens font pour la communauté, ayez une vue d’ensemble", souligne-t-il.

M. Tato, de son côté, accorde la priorité au contexte afin d'éviter toute représentation erronée. "Cela implique de mener des recherches approfondies et d'engager des conversations avec les membres de la communauté pour mieux comprendre les réalités sociales, culturelles et historiques qui façonnent leurs expériences", explique-t-il. "Il est essentiel d'écouter le point de vue des personnes concernées et d'être pleinement conscient de l'impact que mes photographies peuvent avoir sur les individus et les communautés que je documente."

Le contexte, la légende et la publication responsable

Chaque fois que nous produisons et partageons des images, il est de notre devoir de nous assurer que nous fournissons autant de contexte que possible par le biais de légendes bien écrites et informatives. Sans ces légendes, les spectateurs risquent de se faire une fausse idée de ce qui se passe sur la photo. 

La rédaction de légendes de qualité commence sur le terrain. Voici quelques conseils à garder à l'esprit :

  • Soyez curieux de tout ce qui se passe autour de vous et recueillez autant d'informations que possible.
  • Ne faites aucune supposition sur les émotions ou les pensées des personnes figurant sur vos photos, ainsi que sur les facteurs ayant pu contribuer à leur situation actuelle. Posez-leur plutôt des questions directes.
  • Munissez-vous d'un carnet de notes ou d'un enregistreur vocal pour recueillir des citations. Cela vous aidera à rédiger des légendes précises et détaillées.
  • La première phrase de la légende devrait décrire qui ou quoi est représenté sur la photo, ainsi que le lieu et le moment où elle a été prise. La deuxième phrase devrait fournir des informations sur le sujet et expliquer pourquoi la photo revêt une importance particulière.

La compassion

L'objectif de la documentation visuelle devrait être d'humaniser nos sujets photographiés, plutôt que de les déshumaniser. Nous avons la responsabilité de représenter les individus de manière respectueuse et digne.

En tant que journalistes, nous sommes des êtres humains dotés de préjugés inconscients qui peuvent influencer notre jugement des personnes et des situations. Ces préjugés peuvent altérer notre façon de couvrir les sujets et de les dépeindre. Il est essentiel de les reconnaître et de mettre en place des stratégies pour les éliminer de nos récits. Cette étape est cruciale pour garantir une couverture équitable et empreinte d'empathie.


Photo par Tam Nguyen sur Unsplash.