Comment les jeunes reporters au Malawi font face à l’exploitation dans le métier

9 août 2022 dans Sujets spécialisés
La montagne Chiradzulu au Malawi

Lorsque Blessings Kadewere, 28 ans, s'est vu proposer un stage en 2016, tout droit sorti de l'école de journalisme, il était fou de joie : son rêve d'enfant de travailler dans les médias se réalisait. Sa famille n'ayant pas les moyens de payer une formation de journalisme, le chemin de M. Kadewere vers l'obtention de son diplôme a été semé d'embûches. Il a été employé à temps partiel en tant qu’enseignant, et après quelques années, il a pu utiliser ses revenus pour s'inscrire à un programme.

Pour M. Kadewere, qui vit au Malawi, l'avenir semblait bien se présenter. "J'ai commencé à écrire pour différents organes de presse, papier et en ligne, alors que j'étais encore à l'école. Le rédacteur en chef m'a dit que mon travail était impressionnant. Cela m'a donné l'espoir que je n'aurais pas de mal à trouver un emploi plus tard", dit-il.

Peu après la fin de ses études, un rédacteur en chef de l'une des stations de radio pour lesquelles M. Kadewere avait travaillé lui a offert ce qui semblait de prime abord être une opportunité prometteuse. Il lui a dit qu'il était impressionné par ses productions et qu'il avait décidé de l'embaucher. Mais sans rémunération.

Bien qu'il ait travaillé dur et produit plusieurs sujets majeurs pendant huit mois, M. Kadewere n'était toujours pas payé pour son travail.

"Ils ont dit qu'ils allaient m'offrir un emploi après trois mois. Je leur ai demandé comment j'allais survivre pendant ces trois mois. Ils m'ont dit que j'allais assister à des réceptions et recevoir des indemnités, et comme c'était mon premier mois, j'ai accepté", raconte-t-il.

"Je leur ai demandé si ce qu'ils faisaient était légal et faisait partie des conditions dont nous avions convenu. Ils ont répondu qu'aucun contrat n’avait été établi. Ils m'ont même menacé [et dit] que je pouvais aller n'importe où, ou même les poursuivre en justice, et que rien ne se passerait", ajoute-t-il.

L'histoire de M. Kadewere n'est pas un cas isolé. La combinaison de cadres juridiques laxistes en matière d'emploi, d'entreprises de médias en difficulté et d'une culture de l'exploitation a mis les reporters, en particulier les jeunes ou nouveaux journalistes, connus sous le nom de "cub reporters" (ou “bébés” reporters), à la merci de médias qui, autrement, leur verseraient des indemnités. C'est une pratique présente dans toute l'Afrique subsaharienne.

Jimmy Kainja, maître de conférences en médias, communication et études culturelles au Chancellor College de l’université du Malawi, a déclaré que les stages rallongés sont courants dans le pays et ne sont pas propres à l'industrie de l’actualité. "Les médias sont au cœur des questions de gouvernance et des décisions que les gens prennent au quotidien", explique M. Kainja. "Maintenant, quand vous regardez le secteur de plus près, vous commencez à comprendre qu'il a un gros problème." L'absence de paiement n'est pas seulement une question de morale ou de droits des employés : elle contribue également aux pratiques courantes de corruption, ou "journalisme à l’enveloppe brune," dans la région.

"Vous ne pouvez pas payer votre loyer, vous ne pouvez pas acheter de la nourriture, les chances d'être soudoyé sont si élevées. Vous pouvez vous retrouver avec un travail qui n'est pas indépendant mais plutôt un reportage de relations publiques", déplore-t-il.

M. Kainja connaît des journalistes qui ont fait des stages pendant plus de cinq ans. Il remarque que, bien que les entreprises de médias soient en difficulté avec l'avènement des réseaux sociaux et la diminution des revenus publicitaires, les syndicats comme la [Journalists Union of Malawi (JUMA)] doivent intervenir pour protéger les reporters.

"Ce sont des journalistes et on s’attend à ce qu’il puissent nourrir leur famille, travailler et mener une vie normale comme s'ils gagnaient leur vie, mais ce n'est pas le cas. Cela entraîne des problèmes en termes de qualité des reportages et de contenu", souligne-t-il.

Cette pratique a également conduit des reporters prometteurs à quitter le métier pour d'autres activités afin de subvenir à leurs besoins. Efrida Nkhunga, 27 ans, titulaire d'un diplôme de journalisme, dit que passer plus de deux ans en tant que stagiaire dans une station de radio a été difficile. Pendant cette période, elle a survécu grâce aux indemnités qu'elle recevait lorsqu'elle était invitée à des ateliers. Aujourd'hui enseignante dans une école primaire, Mme Nkhunga dit qu'elle est en mesure de subvenir aux besoins de sa famille, ce qu'elle ne pouvait pas faire dans le journalisme, même si elle rêve toujours du métier.

"Nous ne recevions pas d'allocations alors que je travaillais très dur", dit-elle, ajoutant que même la participation aux ateliers était difficile, chaque journaliste se battant pour être sélectionné par sa rédaction.

La JUMA, qui a été créée en 2006 "pour promouvoir le bien-être des journalistes en défendant leurs droits et en assurant un traitement équitable des informations culturelles", n'a pas réussi à enclencher le changement au sein des employeurs. Selon Charles Mkula, secrétaire général de JUMA, le financement est un problème majeur, tout comme la culture de la peur qui fait que les employés ne veulent pas s'opposer à leur hiérarchie.

"Ils pensent que si les employeurs savent qu'ils font partie d'un syndicat, ils risquent d'être licenciés, alors que les lois sont claires : le syndicalisme fait partie de la démocratie et est inscrit dans la constitution ", précise-t-il.

La JUMA a récemment travaillé avec des instituts de formation dans les médias afin de doter les futurs journalistes de connaissances sur le secteur et leur permettre de défendre leurs droits en matière d'emploi. "Les journalistes sont censés être équipés par les écoles afin de comprendre le fonctionnement du secteur au-delà de l'aspect reportage", rappelle M. Mkula.

Malgré toutes ces frustrations, de nombreux jeunes reporters se disent toujours passionnés par le secteur des médias et, s'ils avaient une chance et des conditions d'emploi appropriées, ils y reviendraient volontiers. Mais pour cela, il faut un changement culturel qui considère les “cub reporters” comme faisant partie intégrante de la rédaction, et non comme des ressources dispensables.


Photo de Godfrey Phiri.