Les images générées par intelligence artificielle (IA) ont fait l'objet de controverses ces dernières années, et la décision de Midjourney, un outil d'IA populaire, d’interrompre ses essais gratuits a suscité des débats parmi les journalistes sur la question de savoir qui doit contrôler l'utilisation de l'IA.
"En raison d'une demande extraordinaire et d'une utilisation abusive des essais gratuits, nous désactivons temporairement cette fonctionnalité jusqu'à ce que nous ayons déployé nos prochaines améliorations du système," déclare David Holz, fondateur de Midjourney, en mars.
Bien que M. Holz n'ait pas précisé quels abus avaient motivé sa décision, celle-ci est intervenue quelques jours après qu'une série de fausses images aient été largement partagées sur Internet, notamment celle montrant l'ancien président américain Donald Trump en train d'être arrêté et une autre montrant le pape François portant une veste à la mode.
Cette décision d'annuler l'accès gratuit à Midjourney met en évidence le rôle des images générées par IA dans la propagation des informations trompeuses et de la désinformation en ligne, ainsi que les défis auxquels les journalistes sont confrontés avec les nouvelles technologies de l'IA. Voici ce que les journalistes doivent savoir :
L’utilisation par les journalistes d'outils générateurs par IA
Les journalistes utilisent des outils générateurs via IA pour créer des illustrations et des visualisations susceptibles d’enrichir leurs articles et de captiver leur audience. Par exemple, un journaliste peut recourir à Midjourney pour donner vie à un personnage à partir d'une description issue d'une critique littéraire, ou générer un paysage correspondant à un scénario hypothétique, tel qu'une planète extrasolaire, à partir d'un rapport scientifique.
"Pour la plupart, les utilisations d'images générées par IA pour le journalisme que j'ai vues sont plutôt une valeur ajoutée. Elles sont utilisées dans les cas où les images sont agréables à avoir et coûteraient cher à créer, mais ne sont pas essentielles au travail journalistique lui-même," déclare Brandon Roberts, un journaliste indépendant spécialisé dans les données et basé aux États-Unis.
Toutefois, bien que la plupart des journalistes utilisent les images générées par IA de manière responsable, certaines utilisations ont suscité la controverse. Ainsi, Eliot Higgins, fondateur de Bellingcat, un collectif de journalistes d'investigation, a utilisé Midjourney pour créer des images d'hommes politiques afin de raconter des histoires hypothétiques mais fictives.
Le 20 mars, M. Higgins tweete une série d'images qu'il avait réalisées à l'aide de Midjourney. Les images représentaient Trump résistant à son arrestation et étaient accompagnées de la légende suivante : "Je fais des photos de Trump en train de se faire arrêter en attendant l’arrestation de Trump". Quatre jours plus tôt, il avait également tweeté une photo de Vladimir Poutine, le président russe, au tribunal pour une inculpation. Les images sont rapidement devenues virales et, bien qu'il ait déclaré qu’elles étaient fictives et générées par IA, Midjourney a réagi en excluant M. Higgins du serveur Discord de la plateforme.
"L'image montrant l'arrestation de Trump n'était en fait qu'une manière de montrer à quel point Midjourney était à la fois bon et mauvais dans le rendu de scènes réelles", déclare M. Higgins dans un courriel adressé à Associated Press.
Les impacts des générateurs d'images par IA sur le journalisme
La décision de Midjourney de mettre fin à ses essais gratuits est le dernier épisode en date du débat sur l'utilisation éthique de l'IA dans le journalisme, qui s'est accéléré avec la popularisation d'un autre outil d'IA, ChatGPT. Si certains journalistes considèrent Midjourney comme un outil utile, d'autres y voient une menace potentielle. Ils soutiennent que Midjourney et d'autres générateurs d'images par IA comme DALL-E compliquent la tâche des vérificateurs de faits chargés d’authentifier et de vérifier l'exactitude des images.
Cela est d'autant plus pertinent que le contenu visuel résonne davantage auprès du public, écrit Marilín Gonzalo, chroniqueuse technologique chez Newtral, une organisation espagnole de vérification des faits, en réponse aux fausses images du pape François et de Donald Trump. "Vous pouvez parler à une personne pendant une heure et lui avancer 20 arguments en faveur d'une chose, mais si vous lui montrez une image qui a du sens pour elle, il sera très difficile de la convaincre que ce n'est pas vrai", déclare Mme Gonzalo.
Cependant, si les yeux humains peuvent facilement être trompés, les images générées par IA peuvent être détectées à l’aide d’outils spécifiques, affirme Mme Gonzalo.
"Si [la technologie] est utilisée pour les créer, elle peut également l'être pour les détecter", écrit-elle.
Selon Felix Simon, journaliste et chercheur au Reuters Institute for the Study of Journalism, les défis posés à la vérification des faits par l'émergence des nouvelles technologies ne sont pas nouveaux. "La relation entre l'image et la vérité a toujours été instable", déclare-t-il. "On pourrait dire que ce que nous voyons avec l'IA générative n'est qu'une continuité de cela. Beaucoup de gens s'y habitueront."
Les effets du mode payant
Étant donné que la version payante de Midjourney est toujours disponible, Charlie Beckett, professeur et expert en journalisme par IA à la London School of Economics and Political Science, estime que la décision d'interrompre l’accès aux essais gratuits n'aura pas un impact aussi important que certains journalistes le pensent.
"Je ne pense pas que [la décision de Midjourney] aura beaucoup d'impact sur les journalistes responsables qui veulent expérimenter. Il se peut que cela soit trop cher pour certains, mais comme on dit, si un produit est gratuit, alors vous êtes le produit," déclare M. Beckett.
Cependant, avec la décision de mettre fin à l'essai gratuit, des questions subsistent quant à l'utilité de Midjourney pour les journalistes à l'avenir. Comparé à d'autres outils d'images générées par IA, comme DALL-E d'OpenAI, dont les politiques interdisent aux utilisateurs de créer certaines images violentes ou des images de personnalités politiques réelles, les experts considèrent Midjourney comme plus permissif. Mais la décision d'interrompre sa version gratuite prouve que tout est en train de changer.
Dans une interview accordée à The Verge, M. Holz déclare que Midjourney avait déjà interdit certains mots "liés à des sujets dans différents pays sur la base de plaintes d'utilisateurs dans ces pays." En raison des fausses images de Donald Trump, le terme "arrêté" a été ajouté à la liste des mots restreints qui ne peuvent plus être utilisés pour générer du contenu sur la plateforme.
Kunle Adebajo, responsable éditorial en charge des enquêtes à HumanAngle, estime qu'il est préférable que des outils tels que Midjourney, qui sont susceptibles de propager de la désinformation, ne soient pas gratuits pour tout le monde. "Il faudrait payer pour les utiliser, car cela nous inciterait à être plus prudents en sachant que nous dépensons de l'argent et à faire preuve de plus de vigilance dans leur utilisation,” déclare-t-il.
"Mais bien sûr, les personnes qui diffusent délibérément de la désinformation ne verront pas d'inconvénient à dépenser de l'argent pour accéder à ce service. Midjourney doit donc prendre des mesures supplémentaires pour garantir que cette possibilité soit minimisée au maximum.”
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