Comment assurer sa sécurité lorsqu’on couvre les conflits séparatistes au Nigeria

23 sept 2022 dans Liberté de la presse
Un homme avec le drapeau du Nigéria

L'agitation liée au désir de se séparer d'une nation n'est pas rare ; elle se produit dans le monde entier. Au Nigeria et ailleurs en Afrique de l'Ouest, la montée des conflits résultant de groupes séparatistes qui souhaitent l'indépendance pour leurs régions ou groupes ethniques entraîne des violences.

Au Nigeria, les séparatistes sont connus pour intimider, harceler et proférer des menaces de mort à la fois en ligne et par le biais des milices armées associées aux mouvements. En 2021, les Forces de défense de l'Ambazonie, organisation séparatiste au Cameroun, ont confirmé une alliance avec le Peuple indigène de Biafra (IPOB), groupe séparatiste nationaliste, dans sa campagne parfois violente pour l'autonomie dans le sud-est du Nigeria.

Les dissidents, les non-alignés et les journalistes à la recherche de faits ont régulièrement été les cibles de ces menaces, mettant en péril leur capacité à rendre compte des événements avec précision.

Les journalistes sont menacés

Au Nigeria, il n'est pas rare que les journalistes reçoivent des menaces de mort de la part de groupes séparatistes. Mayowa Tijani, fact-checkeur et journaliste spécialisé dans le développement économique, raconte les messages de menaces qu’il a reçus de la part de partisans du séparatisme. Furieux de l'une de ses vérifications des faits, le leader de l'IPOB Nnamdi Kanu a fait circuler l'article, le lisant à haute voix à ses partisans en ligne tout en menaçant M. Tijani.

"Environ 2 000 personnes regardaient en direct. Bien sûr, des centaines de milliers de personnes ont ensuite vu la vidéo. Il a utilisé un langage très grossier, a proféré de nombreuses menaces, et essayait essentiellement de m'intimider", dit M. Tijani.

Les menaces ont suffi à forcer le journaliste à fuir temporairement son domicile. "J'ai dû quitter l'État de Lagos, j'ai dû aller dans une autre ville pendant un certain temps. Je n’ai plus utilisé les réseaux sociaux pendant un certain temps", se souvient-il. Les menaces persistent aujourd'hui : "Quand je tweete certaines choses, [les partisans de l'IPOB] viennent m'insulter, ou essayer de me faire peur. Mais je suis toujours là."

L'année dernière, lors d'une condamnation au tribunal concernant l'extradition du leader séparatiste Sunday Igboho, des séparatistes de la Nation Yoruba, qui cherchent à obtenir un État indépendant dans le sud-est du Nigeria, se sont jetés sur M. Tijani et ont menacé de le tuer après l'avoir reconnu comme reporter pour le journal The Cable. "Certains d'entre eux m'ont battu, ont essayé de me harceler, m'ont frappé à la tête et une femme a essayé de me gifler", raconte M. Tijani.

Fredrick Nwabufo, un chroniqueur et journaliste populaire, reçoit aussi régulièrement des menaces de mort de la part de membres de l'IPOB. Il a reçu sa première menace de la part du groupe en juin 2019, lorsqu'il a écrit un article recommandant une coopération en matière de sécurité et de dialogue communautaire entre le gouvernement de la zone d'administration géopolitique du sud-est du Nigeria et Miyetti Allah, un groupe de pression qui milite au profit des bergers du nord du Nigeria.

En 2020, M. Nwabufo a déposé une pétition auprès du Département des services de l'État lorsque les menaces se sont intensifiées à la suite d'une interview qu'il a accordée à AFP Fact Check. Il avait déclaré que les partisans de l'IPOB considéraient le président Muhammadu Buhari comme un obstacle à la "réalisation de leurs objectifs séparatistes" et utilisaient le "récit de la doublure", qui prétendait faussement qu'un acteur se faisait passer pour le président alors qu'il était en réalité décédé, dans le but de délégitimer le gouvernement Buhari.

Cela n'a pas plu au groupe, et M. Kanu a menacé le reporter dans l'une de ses émissions.

"C'est la menace de trop", déclare M. Nwabufo, précisant que ses amis et sa famille ont commencé à craindre pour leur propre sécurité lorsque l'IPOB a fait circuler sa photo sur les réseaux sociaux. "Les membres de l'IPOB ont déjà émis des menaces similaires, mais celle-ci est plus ciblée".

Nos conseils aux journalistes

Pour l'instant, les menaces des groupes séparatistes sont destinées à intimider et débouchent rarement sur des attaques directes. "Les menaces sont puissantes, mais l'antagoniste n’a pas forcément la capacité, la possibilité ou l'occasion de les mettre à exécution", explique M. Nwabufo.

Tajudeen Balogun, rédacteur en chef adjoint du journal nigérian The Eagle Online, a décrit les menaces comme un "aspect sérieux" des activités séparatistes. Il a exhorté les journalistes à se rapprocher d’agences spécialisées au sujet de leur sécurité.

"Je conseille aux journalistes de demander une protection totale auprès d’agences de sécurité. [Ils] doivent déposer des plaintes officielles concernant les menaces, afin d'obtenir la documentation nécessaire, une enquête et la surveillance requise des agitateurs", insiste-t-il.

Face à ces menaces, les journalistes doivent rester impartiaux dans leur couverture du sujet de la sécession. "Les journalistes doivent être apolitiques", rappelle M. Balogun.

Selon Segun Akinleye, qui couvre les activités séparatistes pour The Nation, le sentiment de peur qui découle des menaces peut gravement affecter le travail des journalistes. "Même s’ils ne craignent pas d'être touchés par une balle perdue, la peur vient du fait d’essayer de se protéger de la cyberintimidation et des menaces", précise-t-il. "Pour rester en sécurité, je bloque [les harceleurs] sur les réseaux sociaux et, dans la plupart des cas, je les signale également. Je ne le fais pas seulement pour moi : c'est aussi pour protéger le prochain journaliste qui écrira sur eux."

Les ressources utiles

La campagne #TalkYourTruth, lancée l'année dernière par Amnesty International Nigeria, défend le droit à la liberté d'expression face aux menaces des séparatistes et des autorités nigérianes.

"La campagne #TalkYourTruth vise à protéger le droit à la liberté d'expression et à documenter les cas d'intimidation, d'arrestation ou de menaces à l'encontre de ceux qui expriment des opinions que le gouvernement, des personnes ou un groupe de personnes peuvent trouver offensantes", indique Osai Ojigho, directrice d'Amnesty International au Nigeria. "Ceux qui expriment des opinions que d'autres trouvent offensantes doivent être protégés des menaces des acteurs étatiques et non étatiques."

Le Bureau de l'Afrique de l'Ouest de Reporters sans frontières, Article 19, et le Comité pour la protection des journalistes sont d'autres organisations qui soutiennent les reporters menacés dans la région.


Photo d’Emmanuel Ikwuegbu sur Unsplash.