À un peu plus de 300 kilomètres à l'ouest de Nairobi, la capitale du Kenya, sur les rives du lac Victoria, se trouvent les Suba ou Abasuba, une petite communauté bantoue kényane qui parle olusuba. Ils vivent dans une région occupée majoritairement par les Luo, communauté nilotique, dont la langue principale est le dholuo.
L'assimilation de la communauté Suba à la culture Luo a contribué à la disparition progressive de leur langue maternelle, explique Arphaxad Mugambwa, président de l'Abasuba Community Association et un des Aînés de la communauté. Cette langue est désormais considérée comme l'une des 300 langues africaines menacées d'extinction, selon l'Atlas des langues en danger dans le monde de l'UNESCO.
"Actuellement, moins de 10 000 personnes parlent couramment olusuba sur une population totale de 158 000 Suba", dit M. Mugambwa. Les autres Suba qui parlent encore olusuba vivent sur l'île de Mfangano, une destination touristique majeure au sud du lac Victoria.
L'émergence de la religion moderne et de l'éducation formelle dans la région a poussé le peuple Suba à utiliser le dholuo, raconte Ochieng Omollo, un Aîné Suba de 74 ans. Les bibles ont été écrites en dholuo, et l'éducation était également dispensée dans cette langue. "Lorsque les colons sont arrivés, les Luo étaient majoritaires ici et [les colons] ont engagé des interprètes issus de la communauté Luo. Cela a obligé notre peuple à apprendre le dholuo pour faciliter la communication", dit M. Omollo. "Notre identité est menacée car la majorité des personnes nées à partir des années 1980 ne savent pas parler olusuba."
Pour éviter la perte d'une autre langue africaine, et dans l'espoir de préserver la riche culture et l'histoire du peuple suba, un groupe de journalistes kényans a fondé Ekialo Kiona Suba Youth Radio Station (EK-FM) en 2009. EK-FM diffuse des programmes en olusuba sur des sujets comme la santé, le changement climatique, l'agriculture durable, la pêche, l'autonomisation des jeunes et la culture Suba.
Préserver une langue en voie d’extinction
"Il nous a fallu trois ans pour lancer la station", raconte Richard Magerenge, fondateur et directeur d'EK-FM, soulignant que leurs ressources limitées ont retardé le projet. L'aide d'une équipe d'étudiants en master de l'école de design de l'université de Pennsylvanie et une subvention de Google leur ont permis de le finaliser. Aujourd'hui, EK-FM est gérée par une équipe de 10 présentateurs et producteurs bénévoles.
Grâce à cette initiative, le peuple suba retrouve les racines de sa culture. "Cette station de radio est en train de changer les choses. Beaucoup de gens commencent à s'approprier la culture suba et à l'adopter", se félicite M. Magerenge. "Les jeunes, en particulier, trouvent intéressant d'apprendre la langue olusuba, comme ils s’enthousiasmeraient à découvrir des langues étrangères telles que le français ou l'allemand."
Engager les publics jeunes
EK-FM a mis en place un programme de développement à destination des jeunes qui consiste à accompagner les élèves du secondaire dans l'élaboration de programmes radio et la présentation de reportages en olusuba. "La jeune génération est la clef de la réussite de ce projet car l'avenir leur appartient. Si nous parvenons à amener les jeunes à parler olusuba, nous pouvons être sûrs que l'avenir de notre langue est assuré", souligne M. Magerenge.
EK-FM diffuse également de la musique suba et organise des discussions avec les Aînés de la communauté suba afin de ressusciter cette langue en voie de disparition. "Nous organisons toujours des cours à la radio qui font découvrir à notre public les pratiques culturelles suba comme le mariage, la circoncision et la langue", explique Nancy Sungu, une présentatrice de la station.
La jeune génération semble plus intéressée par l'apprentissage de la langue olusuba et de la culture Suba que les générations qui la précèdent, remarque Mme Sungu : "Grâce à nos programmes, les jeunes générations s'identifient davantage comme des Suba contrairement à la génération plus âgée qui se voit comme Luo."
Les Aînés de la communauté donnent également des cours d’olusuba, ce qui aide les présentateurs à développer leur vocabulaire pour les émissions. Les reporters d'EK-FM interrogent également les membres de la communauté sur les traditions et l'histoire des Suba.
Unir la communauté
La station de radio agit comme un créateur de liens, dit Samwel Karan, le coordinateur de cette radio. "C'est la voix de la communauté. La radio fournit une plateforme [pour] rassembler la communauté de Suba à certains cours chaque fois que le besoin s'en fait sentir", explique-t-il.
La station recueille actuellement des informations qui serviront à l'élaboration d'un dictionnaire numérique trilingue olusuba-dholuo-anglais à destination des générations futures.
L'objectif pour la prochaine décennie ? Que la communauté suba utilise l'olusuba comme langue principale, déclare M. Karan.
Photo de Jacob Hodgson sur Unsplash.