Les ressources culturelles et historiques sont plus facilement accessibles au Nigeria depuis l'arrivée d'Internet dans le pays dans les années 1990. Pourtant, même si les journalistes, les chercheurs et les artistes peuvent aujourd'hui aisément partager leur travail en ligne à un large public, des pans entiers de l'histoire du Nigeria, préservés uniquement en version papier, prennent la poussière dans tout le pays.
Au cours de l'année scolaire 2009-2010, le gouvernement a décidé de supprimer l'histoire du programme des écoles primaires et secondaires du Nigeria. Selon The Guardian, "les raisons officielles invoquées étaient, entre autres, que les étudiants boudaient cette matière, que seuls quelques emplois étaient disponibles pour les diplômés en histoire et qu'il y avait une pénurie de professeurs d'histoire. Un fait regrettable : le Nigeria ne dispose aujourd'hui d'aucun compte rendu officiel de la guerre civile de 1967 à 1970", guerre meurtrière entre le gouvernement nigérian et la République séparatiste du Biafra, dans le sud-est du pays.
L'accès aux documents historiques en ligne peut faire progresser la connaissance du passé et l'érudition, tout en contribuant à éclairer les choix que font les gens dans le présent. De même, cela aide les journalistes à mieux s'adresser à des publics plus larges, y compris ceux qui ont été historiquement marginalisés.
Le manque de ressources historiques disponibles peut conduire à la mésinformation, à des faussetés et à une absence de contextualisation lorsqu’il s’agit d'aborder le passé ou de réimaginer l'avenir. Pour remédier à ce problème, plusieurs projets ont été lancés dans le pays pour faire en sorte que l'histoire du Nigeria soit plus facilement accessible en ligne.
Le projet Nigeria Railway Corporation Endangered Archives
En janvier, Alex Ugwuja, historien et maître de conférences à l’Université Nnamdi Azikiwe, a lancé le projet Nigeria Railway Corporation Endangered Archives, en collaboration avec Legacy 1995, une organisation qui identifie et protège les bâtiments et monuments historiques. L'objectif de cette initiative est de restaurer et de numériser les archives ferroviaires du Nigeria situées à Ebute Metta, à Lagos. "Notre plus grande motivation est de préserver les documents qui ont une importance historique", explique M. Ugwuja. "Nous ne savons peut-être pas à quel point les chemins de fer étaient importants pour le Nigeria colonial, [mais] les documents encore disponibles révèlent plus de détails sur l’industrie ferroviaire en tant que centre économique du Nigeria. Ce contenu nous offre non seulement une connaissance approfondie du passé et des actions du gouvernement britannique [sur le colonialisme], mais nous aide aussi à comprendre l'avenir du pays."
Le projet se concentre sur les archives d'ingénierie mécanique et civile du chemin de fer. Ces documents doivent être manipulés avec précaution en raison de leur âge et de leur état de délabrement. "Dès que vous vous en approchez, ils deviennent poussière", raconte M. Ugwuja. "Mais comme nous avons été formés, nous essayons d’en récupérer autant que possible et de les numériser avant qu'ils ne s'effritent totalement."
Le projet est financé par le Endangered Archives Programme, dispositif de sauvegarde d'archives menacées de la British Library, qui finance des projets d'archivage dans le monde entier et aide à numériser les ressources menacées par l’oubli, la négligence, de mauvaises conditions de stockage et les facteurs environnementaux. Cette initiative permet également de former du personnel, comme M. Ugwuja et son équipe, aux techniques de numérisation.
Selon M. Ugwuja, les ressources numérisées complètes appartiennent à la British Library, au Nigeria Railway et aux Archives nationales du Nigeria, dont le siège se trouve à Abuja, la capitale. "Il y a beaucoup de formalités juridiques que nous devons respecter", dit-il. "Le tout sera hébergé sur le serveur du [Endangered Archives Programme]. Nous espérons que la British Library [publiera ces ressources] avant la fin de cette année."
Archivi.ng
Archivi.ng a été lancé en 2020 avec pour objectif de numériser un journal par jour, du 1er janvier 1960 au 31 décembre 2010. "Google crée un biais de récence", explique Fu’ad Lawal, ancien journaliste et chef de projet chez Archivi.ng. "[Les Nigérians] ont tendance à s'intéresser au Nigeria sans avoir beaucoup de contexte. L’outil le plus important qui tente de saisir tout ce qui se passe dans l'histoire sont les médias."
Ayant travaillé dans des rédactions telles que Pulse et Big Cabal Media, la société mère de Tech Cabal et Zikoko, M. Lawal reconnaît l'importance de la numérisation des informations qui n'existent que dans les journaux. Pour lui, cela se résume à une question : Que se passerait-il si nous pouvions soudainement accéder à chaque jour de l'histoire du Nigeria, en particulier aux événements qui ont fait les gros titres, de 1960 à 2010 ?
La numérisation ouvre de nouvelles voies pour présenter l'histoire à travers les médias. "76 [un film historique nigérian sur un coup d'État militaire en 1976, six ans après la guerre civile du pays] a été réalisé à partir de contenus issus de deux semaines de publication de journaux", explique M. Lawal. "Quel type de films pourrions-nous faire si nous avions accès à 18 000 jours de journaux ?" Il espère que la numérisation de 18 000 jours d'histoire du Nigeria permettra d'éclairer davantage le paysage politique et économique du pays aujourd'hui.
Documenter les violences policières
Un autre projet de numérisation et d'accessibilité est le projet Police Brutality in Nigeria, connu sous le nom de projet POBIN, qui a été lancé en août 2020 par Socrates Mbamalu, Similolowa Akinbode, Ayoola Salako et moi-même.
Ce projet a été créé pour mettre en lumière l'ampleur et l'impact à vie des violences policières au Nigeria, afin que le gouvernement et la police puissent être tenus plus efficacement responsables. Depuis des décennies, un nombre incalculable de cas de violences policières sont restés non documentés dans le pays. De nombreux citoyens sont morts, devenant des hashtags oubliés. Au sein du projet POBIN, nous avons ressenti le besoin de créer une archive pour garder vivant le souvenir de ceux qui ont été tués par la police.
L'équipe du projet POBIN, dont des bénévoles, s'entretient avec des victimes de violences policières et leurs proches. Des témoignages ont également été recueillis dans de vieux journaux, le plus ancien enregistrement sur le site web du projet remontant à 1981. Le projet vise à devenir une ressource de données facilement accessible au grand public pour comprendre la brutalité policière au Nigeria.
Les défis de la digitalisation des archives
La numérisation des archives s'accompagne d'un certain nombre de défis. Par exemple, l'équipe d'Archivi.ng a eu du mal à faire enregistrer son projet auprès de la Corporate Affairs Commission, entre autres difficultés. Après le lancement du projet, l'équipe s’est vite rendue compte que les journaux sont classés dans la catégorie des œuvres littéraires. "On ne peut pas simplement prendre les droits d'auteur d'autres personnes et commencer à scanner", raconte M. Lawal. "Les droits appartiennent à l'éditeur." Trouver ces éditeurs et obtenir leur consentement a été un obstacle supplémentaire.
Le COVID-19 a également posé des problèmes uniques. La numérisation de documents grand format, comme les pages des journaux, nécessite des scanners qui coûtent plus de 30 000 dollars US. "Le COVID-19 a engendré une crise de la chaîne d'approvisionnement. Il a été extrêmement difficile d'obtenir un scanner", précise M. Lawal.
"La culture n'est pas favorable à la production de connaissances au Nigéria", affirme M. Ugwuja. "C’est ce que nous appelons l'insouciance documentaire, ou l'incapacité de voir la valeur des choses qui n’ont pas d'utilité immédiate. Même si [les documents historiques] ne sont pas d'une utilité immédiate aujourd'hui, cela ne signifie pas qu'on en n’aura pas besoin à l'avenir. L'incapacité à trouver ce qui était dans le passé peut nous empêcher de projeter ce qui viendra dans le futur", explique-t'il.
Malgré ces difficultés, les projets d'archives de ce type permettent de préserver des informations qui, autrement, seraient inaccessibles aux journalistes. En replaçant les événements historiques dans leur contexte tout en impliquant davantage les publics, ces initiatives peuvent aider à prendre des décisions plus éclairées à l'avenir.
Photo de Tope. A Asokere sur Unsplash.