Blocage des réseaux sociaux : les journalistes palestiniens luttent pour partager leurs enquêtes

14 sept 2023 dans Liberté de la presse
Une personne tient le drapeau rouge, noir, blanc et vert

Depuis des années, les Palestiniens font face à des campagnes répétées de limitation de leur liberté d'expression. Cela remonte à la Nakba de 1948, lorsqu'environ trois Palestiniens sur quatre ont été expulsés de leur maison lors de la création de l'État israélien, générant une crise des réfugiés qui n'est toujours pas résolue aujourd'hui.

L'essor des réseaux sociaux a créé des obstacles modernes particuliers à cet égard, notamment lorsqu'il s'agit de plaider en faveur de l'autodétermination de ce peuple et de la création d'un État palestinien. Aujourd'hui, les plateformes de médias sociaux entravent régulièrement la capacité des Palestiniens à partager des informations, à booster les publications, à discuter et à façonner des récits autour des questions qui touchent leurs communautés.

L’impact des restrictions d’accès aux réseaux sociaux

Les plateformes de réseaux sociaux utilisent souvent des événements violents en Palestine, telles que les frappes israéliennes sur Gaza ou le récent raid sur le camp de réfugiés de Jénine en juillet, comme excuses pour restreindre les comptes. Elles peuvent le faire sur la base unique d'une image ou d'un mot qui ne respecteraient pas la politique de l'entreprise.

Les restrictions rétroactives qui pénalisent les messages publiés il y a plusieurs années sont courantes. De nombreux médias palestiniens ont été censurés pour cette raison, dit Amjad Qawasmi, spécialiste des médias sociaux à Raya Media Network

"Les réseaux sociaux, en particulier les plateformes Meta, limitent la possibilité de s'exprimer en tant que journaliste [palestinien] et réduisent votre visibilité auprès des publics intéressés par votre contenu", explique M. Qawasmi.

Un exemple récent est la censure à grande échelle qui a eu lieu en 2021, lors des manifestations de Sheikh Jarrah contre la démolition de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est par les forces israéliennes. Alors qu’en ligne, les Palestiniens plaidaient pour la justice, de grandes plateformes telles que Facebook, X (anciennement Twitter) et Instagram ont suspendu des comptes, supprimé des publications et plus encore pour avoir partagé des contenus qui s'élevaient contre l'expansion des colonies israéliennes, ce qui est considéré comme une atteinte au droit international.

Meta, par exemple, a interdit la diffusion du hashtag "#AlAqsa" sur ses plateformes, que l'entreprise a interprété à tort comme un soutien aux Brigades des martyrs d'Al-Aqsa. Cependant, l'expression était en fait utilisée majoritairement en référence à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. Cet épisode a mis en évidence le caractère vague des normes appliquées par Meta à ses algorithmes de censure, les journalistes étant contraints de s'adapter en temps réel pour éviter les interdictions.

Les restrictions imposées aux informations palestiniennes produites par des Palestiniens réduisent également l'accès du public local et étranger à ces données. Dans ce paysage médiatique difficile, les journalistes palestiniens continuent de s'accommoder de ces limitations en ligne, démontrant leur persévérance à mettre en lumière des récits variés.

"Peut-être qu’une ou deux pages seulement pourront atteindre les communautés arabes et internationales, alors que des centaines d'autres pages et comptes palestiniens sont enfouis", déplore M. Qawasmi. "Peu importe que vous ayez réalisé le meilleur reportage de votre carrière et que votre page ait un million d'abonnés : moins de 10 % de votre public sera en mesure d'accéder à vos articles sans l'aide des réseaux sociaux.”

L'utilisation d'autres plateformes n'est pas non plus très efficace. Telegram et d'autres applications de messagerie, par exemple, n'atteignent pas autant de personnes que Facebook, explique M. Qawasmi. De nombreux journalistes palestiniens se sont ainsi autocensurés pour éviter de déclencher des restrictions.

Soutenir les journalistes palestiniens confrontés aux restrictions

Les journalistes peuvent prendre certaines précautions pour limiter l'impact de ces restrictions sur les réseaux sociaux.

Dr. Mohammad Abu Alrob, professeur de médias numériques à l'université de Birzeit en Cisjordanie, conseille aux journalistes d'utiliser le storytelling narratif pour expliquer les événements et fournir le contexte nécessaire. Pour ce faire, il est impératif de faire preuve de prudence dans le choix des mots : par exemple, éviter d'utiliser des mots tels que "leader" ou "héros" en référence à des personnalités palestiniennes, car cela pourrait déclencher des restrictions.

Dr. Abu Alrob a souligné la manière dont les journalistes peuvent tirer parti des contenus les plus partagés sur les médias sociaux pour accroître la portée et l'engagement de leurs articles. Bien que ces tendances puissent se manifester en dehors du contexte palestinien, elles peuvent néanmoins être pertinentes. Par exemple, une vidéo comparant la réponse de la communauté internationale à l'Ukraine et sa réponse à l'occupation de la Palestine par Israël peut éviter les interdictions tout en favorisant un engagement élevé.

“Ne publiez pas de propos ou d'images incendiaires qui pourraient être mal interprétés par les algorithmes,” ajoute Dr. Abu Alrob. "Évitez d'utiliser des images de sang, de meurtres et d'enfants. Choisissez vos expressions et descriptions avec précaution pour éviter d'être signalé comme un contenu incendiaire", ajoute-t-il.

Les journalistes doivent également privilégier l'exactitude en vérifiant les faits et en s'appuyant sur des sources crédibles. La désinformation peut saper la confiance et conduire à l’augmentation du nombre de contenus signalés. Il est essentiel de garantir la fiabilité des informations pour mieux gérer les restrictions exercées sur les réseaux sociaux.

Pour des raisons de sécurité, il recommande d’installer ses comptes personnels et professionnels sur différents appareils afin d'éviter que les comptes personnels ne soient piratés ou censurés.

Lutter contre les atteintes aux droits numériques

Le 7amleh Centre, dirigé par Nadim Nashif, est en première ligne pour documenter les atteintes aux droits numériques en Palestine. En collaboration avec des organisations internationales telles que Human Rights Watch, 7amleh plaide pour que les gouvernements et les entreprises de médias sociaux prennent leurs responsabilités.

En novembre 2021, 7amleh a lancé 7or pour documenter les atteintes et récupérer les comptes bannis. En 2022, 7or a reçu plus de 1 100 signalements d’atteintes aux droits numériques, principalement sur Meta et X. L'impact de 7or va également au-delà des statistiques : il sert de lueur d'espoir pour les personnes et les organisations touchées par ces attaques, en leur fournissant une plateforme dédiée de soutien et de rehabilitation.

"Nous aidons constamment les journalistes et les organisations médiatiques à récupérer des comptes interdits. Parfois, ils sont piratés, comme cela s'est produit une fois avec Arab 48 [un site d'information palestinien], et nous avons collaboré avec Facebook pour restituer le compte piraté", raconte M. Nashif.

Alors que des organisations comme 7amleh jouent un rôle crucial en documentant les atteintes et en plaidant pour un traitement équitable des utilisateurs de la part des entreprises de médias sociaux, les restrictions qui entravent la liberté d'expression des Palestiniens persistent. Face à cela, les journalistes du pays continuent de chercher des moyens de partager leurs articles et de lutter pour les droits numériques des Palestiniens, dans le but de préserver leur droit à la liberté d'expression.


Photo d’Ömer Yıldız sur Unsplash.