Au Togo, les journalistes agricoles s’adaptent à la pandémie de COVID-19

6 août 2021 dans Couvrir le COVID-19
Un champ vu de haut

Le Togo a connu son premier cas de malade du COVID-19 le 4 mars 2020. Trois semaines plus tard, le pays enregistre un premier décès, celui d’un journaliste. Ce fut la panique générale, les habitudes changèrent au quotidien, dans tous les secteurs d’activités. 

Les médias n’y ont pas échappé. Port de cache-nez presque obligatoire, travail à distance, arrêt de parution de certains journaux, difficile paiement des indemnités et salaires des journalistes, la presse togolaise est profondément touchée par la pandémie de COVID-19

Racontant l’actualité agricole, le quotidien des agriculteurs et des acteurs du monde agricole, les journalistes agricoles sont encore plus touchés. Pour continuer à informer, il a fallu s’adapter à la crise sanitaire. 

La panique 

Ils avaient établi des agendas de reportages dans des milieux ruraux de la région de la Centrale et dans les Savanes au nord du Togo. Pendant qu’ils les ajustaient encore, se signalait le premier cas de malade lié à la COVID-19. Les premières informations créèrent une panique totale au sein de la rédaction. Nous sommes chez Agridigitale, journal d’intelligence économique agricole. Un média agricole de référence au Togo et en Afrique.

"Comment allons-nous faire pour informer nos lecteurs au quotidien ? Nous étions un peu confus et confrontés à un manque d’événements agricoles et donc de l’information. Durant des jours, mes collaborateurs avaient de la peine à rédiger des articles. On ne pouvait plus dérouler notre agenda. Ce fut un grand choc psychologique pour moi et pour toute l’équipe", témoigne Victorien Amedekagnan, directeur de la rédaction d’Agridigitale. 

Difficile de raconter les faits agricoles

La production de l'information agricole par les médias comme Agridigitale et le journal agricole du Togo nécessite la plupart du temps des déplacements dans les milieux ruraux, la rencontre avec des agriculteurs et d'autres acteurs du monde agricole. Des mouvements devenus quasi-impossible avec l’avènement de la pandémie. 

"Avec les mesures restrictives du gouvernement et la propagation de la pandémie, il devenait de plus en plus difficile de se déplacer pour pouvoir rencontrer des personnes-ressources, recueillir des informations, mener des investigations afin de réaliser des dossiers, ou faire des reportages", confie Gilles Podjoley, directeur du Journal Agricole et président du Réseau des Journalistes pour l’Agriculture et le Développement (JTAD). 

Selon Essonana Podjoley, la survenue de la pandémie a tout bousculé. Que ce soit sur le plan financier comme dans la diffusion de l’information.

"Il nous a été difficile de continuer les parutions de façon régulière. Par souci de qualité de l’information, il nous a fallu réduire le nombre de parutions", précise ce membre de la Fédération Internationale des Journalistes Agricoles (IFAJ)

Toujours passionné de mettre sous le feu des projecteurs l’histoire des paysans, les journalistes agricoles ont voulu braver les contraintes. Une demande d’autorisation de sortie de la ville de Lomé introduite sera infructueuse. 

"Les villes de l’intérieur où se trouvaient les agriculteurs avaient été bouclées avec la hausse des cas de contaminations. Nous avons voulu obtenir une autorisation spéciale pour la liberté de circuler mais elle n’a pas été accordée. Nous étions donc empêchés de nos mouvements vers nos sources et notre centre d’intérêt qui est l’agriculteur", raconte Sandali Palakiyem, journaliste à Agridigitale. 

[Lire aussi : En Afrique, ce média s'engage pour l'environnement, mais les moyens manquent]

Ces astuces qui ont permis aux journalistes agricoles de s’adapter 

"On ne pouvait plus bouger de Lomé, on était bloqué à Lomé statiquement. Alors il a fallu changer de façon de faire". Pour s’adapter, les journalistes agricoles ont fait évoluer leurs méthodes de travail. 

Au sein d'Agridigitale, on a instauré les interviews téléphoniques. Les échanges plus généralement en langues locales sont enregistrés puis traduits. Mais pour l’objectivité il fallait confirmer les informations. Pour ce faire, les journalistes demandent à leurs interviewés de prendre des photos et de les transmettre par WhatsApp dans la mesure du possible. 

Une astuce qui sera confrontée très vite à d’autres réalités : problèmes de réseaux, le coût du crédit téléphonique dépensé, la non possession de téléphones portables chez certains ruraux, et le difficile recoupement de certaines informations recueillies chez les paysans. 

Comme réponse, Agridigitale a procédé au recrutement des points focaux/correspondants ou relais par régions. Leurs tâches principales :  prises des images et synthèses des informations. 

Le réseau social WhatsApp a été aussi un outil de travail auquel ont beaucoup recours les journalistes agricoles. 

"Nous avons procédé à la création des groupes WhatsApp. Nous avons rassemblé, région par région, les acteurs du monde agricole ainsi que les experts domaine par domaine", dévoile de directeur de la rédaction d’Agridigitale. Pour le développement de cette stratégie, le carnet d’adresse de la rédaction a été un atout.

De fait, ces plateformes virtuelles de discussions permettent aux journalistes d’interagir avec les acteurs et fournir des informations de qualités. 

"La COVID-19 quoi qu’on dise a chamboulé le monde et nous apprenons de nouvelles méthodes de travail. Nous n’avons pas changé de métier, nous sommes toujours dans le journalisme et plus précisément sur l’axe agricole. Cette pandémie a d’ailleurs mis en valeur la maîtrise des outils de communication. Nous arrivons à recueillir certaines informations via les réseaux sociaux, notamment WhatsApp", confie le directeur du groupe AGRI MEDIA. 

Une réorientation éditoriale

Le monde agricole est aussi impacté par la COVID-19 et pour les journalistes agricoles, il fallait aussi allier informations agricoles et pandémie. Cette nécessité a conduit au changement de ligne éditoriale. 

"Nos contenus ont été réadaptés au contexte de la COVID-19. L’un de nos articles les plus lus depuis le début de la pandémie à ce jour porte sur un sujet sur la pandémie", confie Simon Akpagana d’Agridigitale. 

Au-delà d’une adaptation de la ligne éditoriale, ce média agricole a développé de nouveaux services de communication. Il s’agit de la production des podcasts en langue locale (Ewé, en Kabyè et Moba) et avec la levée de l’interdiction de circuler, des vidéos. Le message de ces podcasts est lié à la pandémie et à l’information agricole. 

L’organisation de webinaires a été aussi l’une des stratégies développement par le média agricole. À travers les visioconférences, des thématiques portant sur le monde agricole sont développées avec des partenaires et experts, et diffusées en simultané sur des radios locales.


Charles KOLOU est journaliste togolais spécialiste de l’environnement/climat et de l’agriculture. Passionné de la recherche scientifique et des thématiques relatives à l’économie, il a aussi un intérêt pour la santé. Il a été lauréat des Lauriers du journalisme d’impact 2020 du Togo et des ACCER Awards 2020. 

Photo, No one cares, via Unsplash, sous licence CC