Au Mexique​​, ce réseau soutient les journalistes indépendants face à l’insécurité et la violence

24 mars 2023 dans Sécurité physique et numérique
Un officier de police, en second plan, d'autres membres des forces de l'ordre

En mai 2017, un groupe d'une centaine d'individus armés a volé sept journalistes dans l'État mexicain de Guerrero, s'emparant de leurs appareils photo, téléphones portables, ordinateurs, argent et voiture. Ne pouvant plus réaliser les reportages pour lesquels ils s'étaient rendus dans la région, et n'ayant donc plus d'article, les journalistes indépendants ont perdu les revenus qu'ils auraient pu obtenir.

À la suite de cette attaque, la journaliste Andalusia Knoll Soloff a fondé Frontline Freelance Mexico (FFM) dans le but d’aider les journalistes indépendants dans le pays à s’unir et défendre leurs droits. Inspiré par l'organisation internationale Frontline Freelance Register, FFM compte aujourd'hui 250 membres, dont des journalistes, des documentaristes, des fixeurs, des dessinateurs, des professionnels de la radio, des responsables éditoriaux, des designers et des ingénieurs du son.

"Beaucoup de nos collègues du secteur des médias courent toutes sortes de risques et ne sont pas protégés, mais les journalistes indépendants le sont encore moins. Nous n'avons pas d'organisation médiatique pour nous soutenir, pas d'avantages sociaux, pas de salaire fixe", souligne la journaliste Analy Nuño, coordinatrice générale de FFM.

En raison des licenciements massifs dans la profession, et dans l'espoir de diversifier leurs revenus et de bénéficier d'une plus grande flexibilité éditoriale, les journalistes du pays se tournent de plus en plus vers le statut de freelance, comme l'explique le site web de FFM. Mais aujourd'hui, selon Mme Nuño, les freelances mexicains travaillent dans des conditions extrêmement précaires.

À titre d'exemple, Mme Nuño cite le cas de Moisés Sánchez, un journaliste assassiné dans l'État de Veracruz en janvier 2015. "Nous avons été alertés sur le fait que Moisés était payé 50 pesos mexicains par article [ndlr: entre 2 et 3 dollars]. Voilà le niveau de précarité dont nous parlons. Certains de nos collègues ne se reconnaissent même pas comme journalistes indépendants ; et comme ils n'ont pas de média dans leur région, ils publient leurs articles sur leurs propres sites web, et certains médias achètent leur travail pour 50 pesos", raconte-t-elle.

L'instabilité, la corruption et le trafic de drogue ajoutent à l'insécurité des reporters indépendants. "Dans tout le pays, tous les jours, il peut y avoir des fusillades et des meurtres, et nous sommes au milieu de tout cela", déplore Mme Nuño. "Nous voulons décentraliser la question [de la protection des reporters] parce qu'en dehors de la bulle de Mexico, c'est là que la majorité de nos collègues sont en danger.”

Le Mexique est, en effet, l'un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes : depuis 2000, plus de 150 journalistes ont été assassinés dans le cadre de leurs reportages dans le pays, selon le groupe de défense de la liberté d'expression Article 19.

L'un des principaux objectifs de FFM est de donner de la visibilité et de la reconnaissance aux freelances pour le travail important qu’ils effectuent. Cela passe notamment par mettre en lumière la valeur du travail des fixeurs, ces journalistes locaux qui conseillent, informent et accompagnent d'autres journalistes, souvent étrangers, en reportage dans leurs communautés.

Dans les ateliers que la FFM propose aux fixeurs, explique Mme Nuño, FFM commence par poser la question suivante : "Qui est fixeur ici ?" Habituellement, seules une ou deux personnes lèvent la main, mais après que l'équipe de FFM a détaillé ce que cela signifie, environ 90 % des participants lèvent la main. "Ils se sont rendu compte qu'ils faisaient le travail sans jamais être payés", dit-elle.

Certains collègues s'organisent eux-mêmes, remarque Mme Nuño. Dans le sud du Mexique, par exemple, les pigistes se sont mis d'accord pour facturer leurs services au minimum 150 dollars US par jour, ce montant variant en fonction du sujet et du lieu du reportage. Les journalistes qui se rendent dans les montagnes pour couvrir le crime organisé, par exemple, courent un plus grand risque et peuvent donc facturer davantage.

FFM a lancé un nouveau projet, "Fixing Journalism" (Réparer le journalisme), avec une subvention de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime, qui cherche à mieux valoriser et faire reconnaître le travail des fixeurs. Le programme propose une formation sur la rémunération équitable des fixeurs, la réalisation de leurs reportages, leur sécurité physique et celle des équipes avec lesquelles ils travaillent. Elle comprend également comment passer du statut de fixeur à celui de producteur, la négociation du crédit d’auteur et la reconnaissance lorsque leurs projets sont publiés ou remportent un prix.

Les mesures de protection des journalistes au niveau fédéral et au niveau des États mexicains ont échoué, constate Mme Nuño. Des solutions telles que celles proposées par FFM sont donc essentielles. "La situation au Mexique nous oblige à créer ces réseaux de soutien et de confiance, afin que nous puissions répondre plus rapidement et de manière plus organisée aux situations d'insécurité et de violence", déclare-t-elle.


Photo de Eddi Aguirre sur Unsplash.

Cet article a d’abord été publié par IJNet en espagnol.