Guerre au Liban : la liberté de la presse en péril

نوشته Inès Gil
Nov 15, 2024 در Liberté de la presse
Liban

Depuis le début de la guerre entre le Hezbollah et Israël, six journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction. Les acteurs de l’information font face à des dangers importants qui entravent la couverture du conflit.

“L’attaque des journalistes à Hasbaya a été un choc immense. Ce n’était pas une zone de combat, Israël a clairement visé les médias.” Mohammad Farhat, journaliste pour la chaîne libanaise al-Jadeed, se souvient avec amertume du bombardement israélien sur le village de Hasbaya, dans le sud-Liban, qui a tué trois journalistes libanais. Le 25 octobre dernier, en pleine nuit, l’aviation israélienne a pris pour cible un complexe de maisons d’hôtes où “séjournaient 18 journalistes de sept médias différents” selon le ministre libanais de l’Information intérimaire, Ziad Makari. L'attaque a tué le caméraman Ghassan Najjar et le producteur Mohamed Reda qui travaillaient pour le média pro-iranien Al-Mayadeen, ainsi que Wissam Qassem, un caméraman d’Al-Manar, le média du Hezbollah. Pour l’Etat hébreu, il s’agissait de “cibles légitimes” et non de journalistes. Mais selon Mohammad Farhat, “les Israéliens attaquent les journalistes pour les faire partir de la ligne de front. Israël ne veut pas qu’ils témoignent de la situation.”

  

Les médias pris pour cible

Depuis le début de la guerre entre le Hezbollah et Israël le 8 octobre 2023, 12 journalistes ont été tués par l’armée israélienne, dont six dans l’exercice de leur fonction, et huit ont été blessés. Après le 23 septembre, date de l’intensification des bombardements israéliens au Liban, les journalistes font “face à un danger et des pressions accrus”, indique Reporters sans frontières, “leur sécurité est désormais menacée dans l’ensemble du Liban.”

Les bombardements israéliens sont parfois précédés d’avertissements invitant les civils à quitter la zone, “les journalistes savent alors qu’ils doivent partir” indique le photojournaliste Mohammed Yassin, qui travaille pour le média L’Orient-Le-Jour, “mais il arrive que les Israéliens ne préviennent pas. On ignore alors quand ils vont bombarder. Début novembre, j’étais à Nabatieh (sud-Liban), quand ils ont frappé le marché central sans avertissement préalable. J’étais à quelques mètres, ça aurait pu me tuer.”

Les fixeurs, qui travaillent avec les journalistes comme accompagnateurs, réalisant une mission d'interprète et de guide, courent aussi des risques importants. “Il n’y a pas de ligne de front claire à cause des bombardements intenses dans tout le pays” indique Rami (son prénom a été changé à sa demande), fixeur au Liban depuis 10 ans, “le 25 septembre, je travaillais à Ghazieh, où nous devions rencontrer le directeur d'un hôpital. Soudain, deux missiles ont frappé l'autre côté de la route. C'était le moment le plus effrayant que j'ai vécu depuis le début de la guerre, d'autant plus que nous étions les seuls à circuler sur l'autoroute. Nous ne savions pas quoi faire : Devions-nous rouler et continuer ? Devions-nous faire marche arrière sur le chemin du retour ? Finalement, nous sommes entrés dans une petite rue à côté de l'autoroute.”

Les difficultés des journalistes sont renforcées par la méfiance de la population locale, “les habitants des régions affiliées au Hezbollah sont désormais plus hostiles car ils pensent que les journalistes étrangers sont des espions” regrette Rami, “cela me rend encore plus anxieux : premièrement, je dois penser à d'éventuelles frappes aériennes ; deuxièmement, je dois trouver un moyen de faire face à des habitants en colère.”

Le manque de justice

Selon Legal Agenda, un organisme de recherche sur les droits humains et la justice basé à Beyrouth, en vertu de l’article 79 du protocole 1 de la Convention de Genève, “les journalistes engagés dans des missions professionnelles dangereuses dans des zones de conflit armé sont considérés comme des civils et doivent être protégés en tant que tels.” L’organisme de recherche ajoute que selon le droit international, l’attaque israélienne sur des journalistes à Hasbaya pourrait être considérée comme “un crime de guerre.” Un an plus tôt, le 13 octobre 2023, Israël avait déjà ciblé une équipe de sept journalistes dans le sud-Liban, tuant Issam Abdallah, vidéaste pour Reuters, et blessant grièvement Christina Assi, photojournaliste à l’Agence France Presse. Dans un rapport publié en décembre 2023, Amnesty International affirme que l’attaque du 13 octobre “doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre.”

Les attaques contre les médias se multiplient à cause de l’impunité, “à chaque fois que des journalistes sont ciblés, il n’y a pas d’enquête” s’insurge Jad Sahrour, responsable de la communication à la fondation Samir Kassir, un organisme libanais de défense de la liberté de la presse qui organise des formations de pratique du journalisme en zones hostiles, “les responsables ne sont presque jamais arrêtés ou jugés.” Pour assurer leur sécurité, “les professionnels de l’information doivent porter des équipements de sécurité, suivre des formations et utiliser des moyens de communication sécurisés” explique Jad Sahrour. Mais malgré le respect des règles de sécurité, les journalistes “courent un grave danger au Liban.”

 


Photo de Sara Calado sur Unsplash