Journaliste culturel, un métier à défendre

بواسطة Sedera Ranaivoarinosy
Jun 3, 2022 في Sujets spécialisés
Un carnet de note, dans un public

La précarité du métier de journaliste est bien connue. Elle semble d'autant plus accrue lorsqu'on parle de critique et de journalisme culturel. La place qu’occupe la culture dans les pages des médias est souvent réduite à peau de chagrin, condamnant l'écriture culturelle à s’exiler vers des médias spécialisés à l'audience plus restreinte et déjà initiée.

Dans les Annales 2020 sur la qualité des médias de l’Université de Zurich, qui déterminent l’importance et la qualité des comptes rendus culturels dans 60 médias d’actualités suisses, entre 2015 et 2019, les chercheurs mettent en avant un “effacement” de la critique culturelle. Ils observent une diminution quasiment de moitié du nombre de critiques publiées entre 2017, où 114 contenus sont recensés, et deux ans plus tard, où seuls 61 contenus sont comptés. Ceci s’ajoute à la pratique grandissante de la publication d’un même contenu dans plusieurs titres d’un groupe médiatique.

"Le journalisme culturel critique menace de se transformer en un bien de luxe que seules pourront ou voudront se permettre des personnes bien éduquées, disposant de ressources financières importantes", met en garde la conclusion de l’étude.

Un métier précaire et pas toujours reconnu

Selon l'art couvert, la situation est d'autant plus difficile. Prenons l’exemple de la danse. "Aux Pays-Bas, le critique est certainement un peu plus protégé. Bien que les critiques ne soient pas très bien payés par rapport à d'autres domaines ou même aux pratiques journalistiques, et que les principaux médias aient également réduit les critiques au minimum, cette idée de ‘presse libre’ est encore très présente, et les plateformes dédiées à l'écriture critique des spectacles ont de l'argent et sont financées afin de payer leurs auteurs", explique Jordi Ribot Thunnissen, qui est critique de danse pour SpringBack Magazine, Movement Exposed et theaterkrant.nl mais aussi enseignant en histoire de la danse, théorie de la danse et improvisation. Il est hispano-néerlandais et basé aux Pays-Bas.

"En Espagne, la situation est plus précaire, sur de nombreuses plateformes, on vous demande de collaborer gratuitement... Pas toutes, mais certaines. Je pense que la différence réside davantage dans le ‘statut’ du journaliste/critique/écrivain, ce qui est bien quand il s'agit de protéger les droits. Mais d'un autre côté, cela maintient une forme de hiérarchie que je trouve très démodée et que je ressens moins quand j'écris pour des médias espagnols", dit-il.

Dans un témoignage poignant pour Dance Magazine, l’autrice Marina Harss raconte cette réalité difficile : "Quelque part au milieu des années 2010, j'ai pris conscience de la situation : écrire sur la danse était devenu quelque chose que je faisais par plaisir et parce que j'y étais poussée, mais c’était au mieux un petit job, un hobby qui rapportait quelque chose, pas tout à fait une profession. J'y travaillais à temps plein, mais je gagnais l'équivalent d'un emploi à temps partiel."

Les conséquences du déclin de la critique et du journalisme culturel

Pourquoi se consacrer à un métier comme celui-ci ? L'écriture sur l'art, la danse en particulier, se distingue par sa singularité : elle mobilise les cinq sens afin de mettre en mots le mouvement, le non verbal et la réponse émotionnelle face aux différentes propositions artistiques.

Commenter la culture est également un moyen unique de parler du monde et de ses problématiques. Le journalisme culturel décortique les messages portés par les artistes mais permet en plus de pousser ces réflexions et les appliquer au secteur artistique et à son économie. Il questionne, par exemple, l'intégration des enjeux de développement durable, de la responsabilité sociale des programmateurs, des représentations, ou de la portée politique des œuvres.

Alors que le débat public nous rappelle qu'une bataille culturelle est en cours pour réussir à combattre le changement climatique ou les crises de désinformation ; alors que l’étalage de faits concernant ces défis mondiaux n'ont pas l'effet escompté d'inspirer un changement massif d’opinion et de comportement, une autre voix est nécessaire pour favoriser de nouveaux imaginaires.

Cependant, comment peut-on avancer si ceux qui partagent les récits portés par l’art n'ont pas de visibilité ou de moyens durables pour faire vivre ces conversations ? Un des objectifs de la critique et du journalisme culturel est de permettre la découverte. C’est donc aussi un élément crucial de la vitalité du tissu artistique, du développement des artistes et de la création en général.

"Comment un artiste est-il censé prouver son éligibilité à un financement si son travail n’est évalué nulle part et s’il n’est pas perçu par le public ?", demande Alex Meszmer, le président de la faîtière SuisseCulture dans les pages de la Tribune de Genève.

Une autre question est soulevée par Marina Harss, pour qui la précarité de ce champ favorise l’entre-soi : "Ce dont nous avons besoin, c'est d'un plus grand nombre de voix, représentant une plus grande partie de notre monde : plus d'écrivains asiatiques, hispaniques et noirs, des écrivains de tous horizons, intérêts et classes sociales. Mais comment les attirer dans une profession qui n'en est pas vraiment une ?".


Photo : John-Mark Smith via Unsplash, licence CC