À Abidjan, face à la pandémie, les journalistes culturels s’adaptent

7 mai 2021 dans Couvrir le COVID-19
Une salle de concert avec des sièges vides

Le COVID-19 secoue le monde entier depuis son apparition en Chine en décembre 2019. Situation de crise sanitaire oblige, les journalistes culturels se sont vus reconvertis dans les rédactions à d’autres tâches. Un an plus tard, comment la presse culturelle ivoirienne arrive à tenir le coup dans ce contexte de crise sanitaire ?

Le premier cas de COVID-19 a été confirmé en Côte d’Ivoire le 11 mars 2020. La crise survint en effet, en pleine tenue à Abidjan, capitale économique ivoirienne, d’un événement culturel de grande envergure qui a réuni près de 500 000 festivaliers venus des quatre coins du monde. Il s’agissait de la 11e édition du Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan, du 7 au 14 mars 2020.

Le 16 mars 2020, le Conseil national de sécurité, présidé par le Président de la République de Côte d’Ivoire s'était réuni pour déclarer l’état d’urgence et d’autres mesures préventives. Ce qui incluait la fermeture des salles de spectacle, et l’annulation par ricochet de plusieurs activités culturelles déjà programmées. 

Comment fonctionnaient les services culture des rédactions avant la pandémie 

"Avant la crise sanitaire, on travaillait comme une entreprise normale", indiquait Koné Sibirinan, journaliste au Group Go Media & Gbich édition, hebdomadaire satirique abonné aux faits de société et à la culture. "Nous avions un emploi du temps hebdomadaire défini et suivi. Tenez, le lundi par exemple était consacré à la réunion de direction, le mardi se tenait une conférence de rédaction où étaient présents tous les journalistes. Enfin le samedi toute la rédaction se réunissait pour le bouclage", s’est-il voulu plus précis.

Mais lorsque survint la crise sanitaire mondiale du COVID-19 en Côte d’Ivoire, il y a un an, ces réunions ne se tenaient plus, Whatsapp et Facebook étaient les outils de remplacement, et seules les réunions de direction avaient lieu mais de façon très irrégulière.

Depuis que les activités culturelles ont repris, la rédaction a repris ses habitudes.

Comment la crise a impacté le fonctionnement des rédactions 

Après une reprise très partielle des activités culturelles et avec des jauges réduites depuis septembre 2020, les événements culturels à Abidjan se donnent une nouvelle figure. Si d’une part les journalistes culturels ont recommencé à se faire remarquer sur le terrain, il ne reste pas moins que certains grands événements culturels qui drainent d’habitude une foule immense et qui mettent en exergue le métier du journaliste culturel ont été reportés.

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On peut citer ici le cas du Femua qui attirait à sa période près de 250 journalistes culturels de tous les horizons, locaux et internationaux, et qui a du mal aujourd’hui à conserver son agenda. Il en va de même du Sara (Salon international de l’agriculture et des ressources animales) et du Sita (Salon internationale du tourisme) pour ne citer que ceux-là. 

Pour les événements qui parviennent à imposer leur date, les conférences de presse se limitent à un nombre réduit de journalistes, les gestes barrières et la distanciation sont respectés. Dans les rédactions, les pages culturelles revivent. Le pays n’est pas en confinement et les événements culturels recommencent à occuper de l’espace.  

La pandémie a aggravé une crise déjà existante 

Nina Kra est la rédactrice en chef de Go Magazine. Elle nous relate ici les réalités vécues au quotidien par sa rédaction depuis les premières heures du COVID-19 à Abidjan. 

"Les entreprises de presse en Côte d’Ivoire étaient déjà frappées par une crise avant celle du COVID-19. Il s’agit de la crise des méventes des journaux due à l’avènement des réseaux sociaux et de la presse numérique qui ont une certaine rapidité et une large audience plus que les journaux papiers. Et la pandémie a eu pour effet que la crise de la presse s'est aggravée." Les espaces culture de son magazine contiennent moins d'articles par rapport aux périodes "pré-COVID".

Après le confinement de 2020, qui a engendré la réduction des contenus à caractère culturel,  et  depuis quelques mois déjà, certaines rédactions recouvrent petit à petit leurs habitudes. Il n’en demeure pas moins que la prudence est de mise, aucun pays n’est sorti du bout du tunnel. 

Mesures palliatives 

Avec la survenue de la crise sanitaire, la peur de la contamination a poussé le personnel des rédactions à rester à la maison. Seulement un noyau restreint était accepté dans les bureaux. Obligé pour certains de faire du télétravail. Egalement, plusieurs rédactions ont opté pour le bouleversement identitaire, le changement partiel de ligne éditoriale en attendant le rétablissement des grands agendas culturels.

Néanmoins, pour ceux des programmes qui se tiennent dans la capitale et à l’intérieur du pays, les journalistes continuent d’être présents sur le terrain malgré que leur nombre soit réduit. D’autres journalistes culturels se sont reconvertis et ont complètement basculé dans les rubriques comme la santé, l’agriculture ou les faits de société. 

Notons que la plupart des interviews se fait aujourd’hui par Internet. Il a fallu pour certains journalistes se réadapter, et surtout s’approprier les nouveaux outils facilitateurs de contacts à distance. L’adoption du numérique et du digital comme outils de travail est désormais de rigueur, les outils comme Zoom n’ont jamais eu autant d’abonnés.

Rendement et efficacité

"Le journaliste est celui qui va sur le terrain à la chasse de l’information. La crise et ses exigences ont bouleversé le rythme de travail de ces derniers. Mais, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous devrons exercer notre métier qui est d’informer. C’est notre sacerdoce", souligne Emmanuel Brou, reporter culturel.

"La crise sanitaire m’a permis de me réorienter vers d’autres centres d’intérêts", nous relate la journaliste Hortense Kla. "J’ai beaucoup appris à travers des webinaires sur comment couvrir des actualités en tant de crise, des apports qui m’ont permis de me rediriger vers d’autres spécialités. Aujourd’hui, je couvre des événements sur la santé alors qu’au départ dans ma rédaction j’animais la rubrique culturelle", ajoute-elle.

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Le directeur de publication Zohoré Lassane, de Go Média quant à lui nous indique : "avec le couvre-feu, il existait des difficultés dans la distribution des journaux. Dans la sensibilisation, les médecins disaient que le contact avec le papier n’était pas conseillé. Ce qui a impacté les chiffres de vente des journaux". 

"Moi, personnellement, je n'étais pas au chômage"

Il faut rappeler ici que la campagne de sensibilisation sur le COVID-19 a été essentiellement portée par les médias. Il ajoute par ailleurs que plusieurs rédactions se tournent aujourd’hui vers le numérique. "Pendant longtemps nous avons considéré le numérique comme notre ennemi, pourtant, c’est une opportunité. Ça nous a permis de scruter d’autres horizons et de se réadapter."

Il faut noter que malgré le fait que le pays ne soit pas sous couvre-feu, malgré le fait que les activités culturelles aient repris dans la capitale économique abidjanaise, la crise sanitaire n'est pas sans impact sur les revenus des médias. La plupart des annonceurs sont dans l'industrie de la consommation, et, avec le ralentissement de l'activité économique, plusieurs partenaires ont retiré leurs annonces dans les tabloïds. 

Pour les pigistes également, l’heure est à la production tous azimuts, la période de confinement passée, il est désormais temps de réchauffer soit des dossiers culturels mis au placard, soit de proposer des articles culturels d’actualité malgré les difficultés liées a la pandémie. Ce profil de journaliste a su garder sa méthode de travail.

"Sur le plan éditorial, le journaliste pigiste a certes rencontré des difficultés vu qu’il n’y avait plus de couverture médiatique à faire, avec la fermeture des salles de spectacle et l’interdiction de rassemblements. Moi personnellement, je n’étais pas au chômage. Avec mes différentes rédactions, je prépare le plus souvent en avance des dossiers de culture que je traite et je laisse au "frigo". En période de pandémie, je ne faisais que ressortir ces sujets et les rendre à mes rédactions. Un sujet comme l’origine d’un peuple ou la migration d’un peuple, qui relève de la culture, pas besoin d’avoir un rassemblement ou être dans une salle de spectacle pour le traiter", indique le pigiste Loukou Raymond.


Edithe Valerie Nguekam est journaliste reporter. Elle a travaillé pour plusieurs de médias de presse écrite au Cameroun et est actuellement basée en Côte d'Ivoire, où elle est représentante du magazine Objectif.

Photo Tyler Callahan pour Unsplash, licence CC