Traquer les fausses informations sur la nouvelle fonctionnalité Channels de WhatsApp

15 déc 2023 dans Lutte contre la désinformation
Logo de WhatsApp

En septembre, Meta a dévoilé la disponibilité de sa nouvelle fonctionnalité, Channels de WhatsApp, dans 150 pays. Cette caractéristique offre une diffusion à sens unique, permettant aux administrateurs de partager des informations avec ceux qui les suivent.

Meta a souligné que “les canaux de WhatsApp ont été conçus comme une méthode simple, fiable et privée pour recevoir des mises à jour importantes de la part de personnes ou d’organisations, directement au sein de WhatsApp”, selon l'annonce officielle.

WhatsApp demeure l'application de messagerie la plus populaire dans de nombreux pays africains. Malheureusement, la plateforme est également propice à la prolifération d'informations fausses ou trompeuses. Le déploiement de ces canaux suscite des inquiétudes parmi les journalistes africains, craignant que cette nouvelle fonctionnalité ne contribue davantage à la propagation de fausses nouvelles sur le continent et au-delà.

"Le fait que n'importe qui puisse créer une chaîne et atteindre de nombreuses personnes en un coup d'œil présente un risque élevé d'abus de la part des utilisateurs", déclare Lois Ugbede, chercheuse chez Dubawa, une organisation de vérification des faits d'Afrique de l'Ouest.

L'impact des influenceurs

Certains journalistes africains expriment des inquiétudes quant à la possibilité que les canaux, gérés par des influenceurs renommés, deviennent une importante source de désinformation. Ceci s'explique par le fait que bon nombre de ces influenceurs ne vérifient pas les faits dans les contenus qu'ils diffusent.

Semilore Adelola, vérificatrice de faits chez Africa Check, explique : "Les influenceurs ont une grande quantité de followers, et leurs messages peuvent se propager rapidement. Certains ont atteint le statut quasi divin auprès de leur audience, et toute information qu'ils partagent est perçue comme crédible, qu'elle soit vraie ou fausse. Plus leur 'fanbase' est étendue, plus les fausses informations qu'ils diffusent deviennent virales, et personne ne sait qui peut être exposé aux dangers résultants."

Au cours de la pandémie de COVID-19, les Nigérians ont manifesté une réticence à se faire vacciner, principalement en raison de la propagation de fausses informations par le biais de comptes populaires sur les médias sociaux. En 2021, Dino Melaye, alors sénateur en exercice, a déclaré sur Twitter que le vaccin AstraZeneca acquis par le gouvernement nigérian était "le moins reconnu parmi les vaccins existants" et présentait une "faible efficacité". Peu de temps après, un influenceur Instagram vérifié du nom de Tunde Ednut a relayé cette affirmation.

Mme Ugbede a vérifié les faits et a révélé que les allégations concernant les effets secondaires négatifs de l'AstraZeneca étaient infondées. Lorsqu'elle a constaté que M. Ednut avait créé un canal sur WhatsApp et gagné plus de 238 000 abonnés en l'espace de deux semaines, elle a exprimé des inquiétudes quant à la possibilité que cette plateforme devienne un autre moyen pour l'influenceur de propager des informations trompeuses.

"Il n'est pas difficile de vérifier les informations [partagées] par les influenceurs des réseaux sociaux, selon le type d'information", déclare Mme Ugbede. "Ce qui est difficile, c'est d'amener le public à accepter le démenti comme un fait et à agir en conséquence.”

Les défis de la vérification des faits sur Channels

Mme Adelola souligne la difficulté de vérifier les informations partagées par les influenceurs des réseaux sociaux, en notant : "Certains privilégient la préservation de leur réputation et vérifient la précision de leur contenu, tandis que d'autres favorisent l'engagement plutôt que l'exactitude, mettant en avant des informations qui maintiennent l'attrait de leurs plateformes pour les visiteurs." 

Les influenceurs qui négligent l'exactitude posent un défi particulier aux vérificateurs de faits. "La difficulté [de vérifier leur contenu] dépend de l'engagement de l'influenceur envers l'exactitude", explique Mme Adelola.

Une autre préoccupation évoquée concerne l'utilisation des canaux pour lancer des attaques contre d'autres personnes. Mme Adelola a partagé un incident impliquant une chaîne WhatsApp gérée par l'influenceuse Mariam Oyakhilome, qui a divulgué les coordonnées d'une personne en prétendant que cette dernière avait critiqué sa tenue dans un message sur Facebook. Mme Oyakhilome a encouragé ses plus de 1,1 million d'abonnés à harceler la personne en question par des appels téléphoniques et des messages.

L’absence d’une réglementation

Caleb Ijioma, directeur exécutif de RoundCheck, une organisation de vérification des faits dirigée par des jeunes au Nigeria, exprime des inquiétudes quant à l'absence de réglementation concernant la fonctionnalité Channels sur WhatsApp, craignant que cela ne contribue à la propagation de fausses informations sur la plateforme.

"Certains influenceurs créent des canaux WhatsApp pour exprimer leurs opinions, alimenter des programmes et influencer le débat public. Il est probable que les fausses informations se propagent plus largement sur WhatsApp, car les utilisateurs peuvent désormais recevoir directement des informations de ces influenceurs", souligne-t-il.

Malgré la présence de canaux WhatsApp gérés par des organisations de vérification des faits en Afrique, telles que Dubawa, Africa Check, The Cable et le Centre international pour le journalisme d'investigation, la prolifération de canaux promouvant la désinformation risque de noyer ces efforts et de rendre plus difficile l'accès aux informations vérifiées pour les utilisateurs.

"La désinformation sur WhatsApp est particulièrement difficile à surveiller car elle se propage dans des cercles très proches, augmentant ainsi les chances d'atteindre des individus ayant un niveau de connaissance des médias faible ou moyen", explique Olatunji Olaigbe, expert en désinformation et en cybersécurité chez CybAfriqué. "Il ne s'agit pas simplement de les exposer à la désinformation, mais cela contribue également à élargir l'écosystème de la désinformation, le rendant plus accessible qu'auparavant."

Recommendations

Toutes les utilisations des canaux ne sont pas nécessairement négatives. Contrairement aux groupes WhatsApp, dont l'accès est réservé à leurs membres et dont le chiffrement de bout en bout peut compliquer l'identification des sources de désinformation, les informations partagées sur un canal peuvent être consultées par n'importe qui, qu'il soit membre ou non. Selon M. Olaigbe, cela pourrait faciliter la tâche des experts pour repérer, suivre et analyser la désinformation sur WhatsApp par rapport aux méthodes précédentes.

Pour atténuer la désinformation sur les chaînes, une mesure positive pourrait consister à instaurer un système d'évaluation et de notation similaire à celui mis en place pour Facebook, suggère-t-il. Cela permettrait aux vérificateurs de faits de signaler si une affirmation est trompeuse ou fausse, contribuant ainsi à renforcer la fiabilité des informations circulant sur ces canaux.

M. Ijioma souligne l'importance pour les utilisateurs de WhatsApp d'être conscients des risques de propagation de fausses informations et d'encourager le signalement des canaux diffusant activement de la désinformation. Il estime que les journalistes peuvent jouer un rôle crucial dans la sensibilisation au potentiel de diffusion de fausses informations via ces canaux.

Il ajoute : "Peu d'organisations ont abordé l'aspect négatif des canaux WhatsApp. Elles devraient se pencher sur cet aspect et le dénoncer." 

Un exemple de cette approche proactive est l'initiative de Dubawa, qui a récemment créé un groupe WhatsApp dédié à l'identification de la désinformation sur les canaux, comme l'explique Temilade Onilede, responsable de programme au sein de l'organisation. 

"Toute personne qui repère des fausses informations sur WhatsApp peut les partager avec nous via le groupe, et nos vérificateurs de faits prendront en charge la vérification", précise-t-elle. "Cela signifie que la vérification de l'information n'est plus uniquement notre responsabilité, car notre public est également suffisamment informé pour reconnaître une fausse affirmation et promouvoir nos vérifications au sein de son réseau."

 


Photo de Deeksha Pahariya sur Unsplash.