Six conseils pour les journalistes qui souhaitent apporter un changement positif

13 mars 2025 dans Sujets spécialisés
Femme sur son ordinateur

Il n’est pas rare que les journalistes aspirent à ce que leurs reportages aient un impact positif. Mais comment peuvent-ils défendre des causes essentielles à travers leur travail tout en préservant leur intégrité professionnelle et en assurant la pérennité de leur carrière ?

Plusieurs approches sont possibles, comme le démontrent les journalistes d’aujourd’hui.

En 2020, deux chercheurs israéliens ont identifié ce qu'ils ont appelé des journalistes “obsessionnels-militants,” animés par un profond sens de la justice et œuvrant pour le changement de deux manières. D'abord en tant que journalistes, en continuant à couvrir avec obsession les sujets qui leur tiennent à cœur ; ensuite à titre personnel, par des activités telles que le lobbying auprès des responsables politiques ou l'aide aux personnes dans le besoin. Tant que ces journalistes restent professionnels, ils peuvent rendre un important service public, déclare Zvi Reich, professeur au département de communication de l'université Ben Gourion du Néguev, co-auteur de l'étude avec le Dr Avshalom Ginosar.

Parallèlement, au London College of Communication, les étudiants ont la possibilité de poursuivre un master en journalisme de justice sociale, défini comme “un journalisme qui cherche à rendre le monde meilleur.” Ce cursus a été créé en réponse à l'intérêt pour des questions telles que le changement climatique, les migrations et les droits humains, selon Vivienne Francis, directrice de One World Media et maître de conférences à l'école.

Harriet Grant est une journaliste indépendante basée au Royaume-Uni qui couvre les questions sociales et les droits humains, en particulier les droits de l'enfant. Elle a été nominée pour la première édition des Tenacious Journalism Awards, qui récompensent les journalistes ayant un impact social positif au Royaume-Uni. Harriet Grant ne se considère pas comme une militante, mais elle a des objectifs de changement social en tête pour son travail. “J'essaie d'aborder ces objectifs avec ouverture d'esprit,” déclare-t-elle. “Par exemple, lorsque je traite des enfants et de leurs jeux, je constate qu'ils ont besoin d'une meilleure protection dans le droit de l'urbanisme. Je recherche donc des articles qui m'aideront à examiner cette question et à envisager des solutions.”

Mme Francis, Mme Grant et M. Reich ont partagé des conseils sur la manière dont les journalistes peuvent aborder leurs reportages afin d'impulser un changement positif. Voici quelques points saillants :  

(1) Respecter les principes clés

Il est essentiel que les journalistes qui défendent des causes adhèrent aux principes fondamentaux de la profession.

“Ils doivent se rappeler les principes fondamentaux du journalisme [...] la vérité, l'exactitude, poser des questions critiques [...] Nous ne pouvons pas perdre cela de vue,” déclare Mme Francis. 

M. Reich, qui a travaillé comme journaliste pendant 14 ans avant d'entrer dans le monde universitaire, déclare que faire résonner la vérité est sans doute “le plus grand intérêt public” aujourd'hui : “L'environnement médiatique est inondé d'intérêts personnels et de fausses nouvelles, nous devons donc être très stricts sur tout ce qui va au-delà du simple engagement envers les faits.”

(2) Reconnaître les préjugés et adopter la transparence

Nous prenons tous régulièrement position sur des questions, que nous en soyons conscients ou non, note Mme Grant.

“On peut être perçu comme radical et militant si l'on rapporte des faits qui remettent en question le statu quo,” déclare-t-elle. “Il est important de se rappeler que supposer que le statu quo est la bonne chose revient à prendre position.”

Dans le même ordre d'idées, nous apportons tous nos préjugés à un article, souligne M. Reich ; l'essentiel est d'être transparent sur nos positions. “Aujourd'hui, on n'autoriserait pas dans un supermarché un aliment dont la composition n'est pas très claire,” déclare-t-il. Les journalistes devraient faire preuve de la même transparence dans leur couverture. “C'est une nouvelle norme de consommation d'information,” ajoute-t-il. 

Pour identifier vos préjugés, Mme Francis recommande de sortir de votre chambre d’écho. Lisez des sources variées et échangez avec des personnes aux opinions divergentes. Cela vous aidera non seulement à prendre du recul, mais aussi à tester la solidité de vos propres convictions.

Il est important de rechercher des points de vue qui pourraient ne pas correspondre aux vôtres pour mieux vous informer et renforcer votre récit. “N'hésitez pas à exprimer clairement le point de vue de l'autre dans votre article,” déclare Mme Grant. “Recherchez l'équilibre et laissez les gens juger sur la base des faits.”

Lorsque vous définissez une position dans un article, demandez-vous :

  1. Qu'est-ce qui ne va pas dans mon argument ? 
  2. Que diraient les autres ?

(3) Parlez aux personnes directement concernées et effectuez des recherches rigoureuses 

Si vous débutez dans le journalisme de justice sociale, parlez aux personnes directement touchées par le problème en question, conseille Mme Francis : “Vous ne pouvez pas avoir de meilleur point de départ que les personnes sur le terrain, les personnes qui vivent et respirent ces problèmes.”

Les journalistes qui se consacrent à une cause particulière doivent toujours s'efforcer d'apporter des analyses ou des informations nouvelles dans leurs reportages, et chercher régulièrement à perfectionner leur expertise, déclare M. Reich. “C'est un défi de taille. Il ne s'agit pas de faire du journalisme régulier et routinier [...] Je parle d'un engagement ambitieux, constant et d'une soif d'apprendre.” 

(4) Construisez des relations solides — mais n'oubliez pas que vous êtes le journaliste 

Créer des relations solides avec ses sources et ses contributeurs est essentiel dans le journalisme. Cependant, cela peut s'avérer plus difficile pour un spécialiste qui couvre le même sujet depuis de nombreuses années, car il sera souvent en contact avec les mêmes personnes, ce qui créera parfois des liens d'amitié, déclare Mme Grant. 

“C'est difficile. Parfois, il faut prendre du recul et dire : ‘C'est moi le journaliste, et c'est moi qui décide de la manière dont le sujet est présenté et écrit.’ ”

(5) Soyez conscient des défis 

Les journalistes militants obsessionnels sont très rarement des débutants, déclare M. Reich. Il s’agit le plus souvent de professionnels aguerris, désillusionnés par le journalisme traditionnel. Aujourd’hui, ils “maîtrisent les règles et possèdent les ressources nécessaires pour les contourner et les réinventer à leur manière.”

Bien que ce parcours professionnel puisse être très enrichissant, il n'est pas facile. “Il n'existe pas de manuel pour construire une carrière de journaliste obsessionnel-militant,” déclare-t-il. 

Traiter des questions de justice sociale peut susciter le scepticisme des autres médias et l'hostilité des lecteurs. Il est crucial de pouvoir compter sur un réseau de soutien face aux réactions négatives, déclare Mme Francis. “Même au sein du secteur, le journalisme de justice sociale est perçu comme indigne ou inapproprié, ce qui le rend souvent sujet à des critiques plus virulentes.” 

(6) N'oubliez pas que cela fait la différence

À condition d’être transparents et d’admettre les faits qui contredisent leur point de vue, les journalistes désireux de mettre en lumière un problème peuvent rendre un service public précieux, affirme M. Reich.

“Cela peut paraître un peu idéaliste, mais je pense que le journalisme de justice sociale, bien mené, a le pouvoir de provoquer le changement,” déclare Mme Francis. Il peut améliorer notre façon de couvrir des sujets de toutes sortes, par exemple en luttant contre les stéréotypes, en s'attaquant à la sous-représentation ou en travaillant avec des personnes vulnérables de manière éthique.


Photo via Pexels de Marcus Aurelius.