Pourquoi est-il contre-productif de récompenser les grosses audiences

par James Breiner
22 avr 2022 dans Engagement des lecteurs
Analyses statistiques

Les chiffres ne mentent pas, mais les gens, oui. Et le pire, c'est que les gens se mentent à eux-mêmes sur la signification des chiffres.

Pendant des années, le grand mensonge des indicateurs médias était “Le plus gros chiffre”. Les éditeurs de médias se sont longtemps vantés du nombre total mensuel de pages vues ou de visiteurs uniques, décrivant ainsi leur "audience". Pourtant, c'était un peu comme dire que leur audience était constituée des personnes qui passaient devant un kiosque à journaux et jetaient un coup d'œil aux titres en Une.

J’ai saisi le problème il y a une dizaine d'années, lorsque j'ai constaté que la grande majorité des visites sur les sites web de mes clients duraient 10 secondes ou moins. Les utilisateurs cliquaient mais ne lisaient pas.

Et mes conclusions ont été confirmées dans un célèbre article du magazine Time de 2014, What you think you know about the web is wrong.

L'auteur, Tony Haile, y déclarait que des recherches menées par son cabinet de conseil en métrologie avaient révélé que 55 % des quelque 2 milliards de visites sur le web duraient 15 secondes ou moins. Les gens cliquaient sur les articles de ses clients, mais n'y prêtaient pas attention. Les éditeurs garantissaient des vues à leurs annonceurs, mais ces spectateurs n'étaient peut-être pas attentifs ou jetaient un simple coup d'œil aux publicités.

M. Haile conseille des indicateurs alternatifs qu'il a appelés le "Web de l'attention", dans lequel les mesures qui comptent sont le temps qu'un utilisateur passe sur un élément de contenu, s'il fait défiler le texte et les images, et la fréquence à laquelle il retourne sur le site Web.

L’offre est infinie, pas la demande

M. Haile a utilisé des données pour montrer comment les articles sur lesquels les lecteurs passaient le plus de temps étaient les moins fréquemment partagés sur les réseaux sociaux. En d'autres termes, les partages et les "j'aime" ne sont pas une indication de la valeur d'un article pour les lecteurs.

Il explique qu'en utilisant des indicateurs de l'attention, plutôt que des clics, les annonceurs seraient incités à produire des publicités plus créatives et non plus des contenus criards et intrusifs. Les consommateurs seraient gagnants car les éditeurs seraient incités à produire du contenu de qualité, et non des articles de clickbait sensationnels en quantité.

Au cours des huit années qui ont suivi, M. Haile a poursuivi sa vision du "Web de l'attention" en concevant "un modèle économique durable de la qualité sur le Web". Il a fondé Scroll, un service d'information par abonnement sans publicité, conçu pour distribuer les revenus entre les éditeurs en fonction du temps que les lecteurs passent sur leurs sites. Scroll a depuis été racheté par Twitter, qui souhaite proposer un service d'abonnement.

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La loyauté, l’indicateur-clef

Ces dernières années, j'ai écrit à plusieurs reprises sur l'importance de l'attention et de l'engagement, plutôt que du nombre total d'utilisateurs et de pages vues, en tant qu’indicateurs-clefs de l'édition d’actualités.

Dernièrement, j'ai rassemblé des articles qui expliquent plus en détail comment mesurer, analyser et agir sur les données liées au Web de l'attention. Ils mettent l'accent sur la fréquence de visite d'un utilisateur sur un site Web, sur sa dernière visite et sur le temps qu'il y passe. L'objectif de ces indicateurs est d'identifier les utilisateurs qui semblent tirer le plus de valeur du contenu et qui pourraient être disposés à s'abonner, à faire un don, à assister à un événement ou à acheter des produits ou des services à un éditeur.

  • Le Membership Puzzle Project a préparé un excellent guide sur les indicateurs importants et sur la manière dont les éditeurs peuvent les utiliser, dans son article Définir des métriques. Il commence par les bases : comment créer de la valeur pour vos utilisateurs et comment convertir des lecteurs fidèles en membres, et cite quelques études de cas pertinentes.
  • DBS Interactive propose des définitions claires de la récence, de la fréquence et de l'engagement des utilisateurs dans Google Analytics Made Easy: Frequency and Recency. Cet article comprend des captures d'écran de pages Google Analytics et explique comment trouver les données pertinentes. Il explique comment analyser les informations et les transformer en un plan d'action.
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Exemple d’une infographie de DBS Interactive.
  • Une équipe internationale de journalistes, travaillant avec la London School of Economics et soutenue par la Google News Initiative, a élaboré un guide complet sur la façon de mettre les indicateurs au service de l'intelligence artificielle : How can AI help build audience engagement and loyalty.
  • Le Reader Revenue Playbook de la Google News Initiative vous guide pas à pas à travers un processus de réflexion, d'analyse et d'exécution d'un programme de revenus issus des lecteurs. Il s'agit en grande partie d'une formation de base en marketing que les journalistes ne suivent généralement pas à l'école ou dans leur rédaction.
  • Kristopher Crockett couvre les bases dans son article Measuring Web Visitor Loyalty if Your Site Offers Pure Content. Il explique également très bien comment interpréter ces données pour améliorer les performances.

Se féliciter pour la mauvaise chose

De nombreux éditeurs et rédacteurs en chef se trompent encore. Trop souvent, ils félicitent les journalistes pour le nombre d'articles produits quotidiennement, le nombre de partages sur les réseaux sociaux et d'autres mesures traditionnelles de quantité et non de qualité (voir Elizabeth Anne Watkins : Journalists are rightly suspicious of ad tech: they also depend on it).

Mais les indicateurs d'audience ne sont même pas le plus gros problème des médias en ce qui concerne leur mauvaise utilisation et interprétation des chiffres. Ils mesurent le succès par la croissance des revenus alors qu'ils perdent peut-être de l'argent sur chaque vente qu'ils font. Ou encore, ils ne mesurent pas la quantité de carburant qu'ils ont dans le réservoir (leur liquidités pour l’opérationnel) jusqu'à ce qu'un prêteur ou un investisseur décide de se désengager.

Mais nous traiterons cette question dans un prochain article.


Ce billet a d’abord été publié sur le blog de James Breiner, et a été republié sur IJNet avec son accord.

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