Les grandes villes semblent être le centre de tout, y compris dans le secteur des médias. Aux États-Unis, un employé de rédaction sur cinq travaille à New York, Los Angeles ou Washington, D.C. Au Royaume-Uni, 39 % des pigistes et 49 % des journalistes salariés vivent à Londres. Pour les diplômés en journalisme du monde entier, s’installer dans une grande ville pour trouver du travail est presque un rite de passage.
Cependant, les zones métropolitaines sont souvent chères, et les emplois dans les médias sont notoirement mal payés, surtout pour les nouveaux entrants. Le travail à distance étant de plus en plus populaire, beaucoup envisagent de s'installer dans une petite ville ou une banlieue abordable. Mais dans quelle mesure est-ce faisable ?
Cecilia Anesi, reporter à l'International Reporting Project Italy (IrpiMedia), affirme qu'il n'est pas nécessaire de vivre dans une grande ville pour faire carrière dans le journalisme. Basée dans une petite ville du centre de l'Italie, Mme Anesi travaille sur des enquêtes transfrontalières sur le crime organisé, le trafic de drogue et la corruption. "Les grandes villes offrent plus d'opportunités aux freelances, mais seulement si l'on considère le travail de bureau", remarque-t-elle. "Si je fais un reportage sur les migrants, je devrai me rendre à Lampedusa, [une île italienne au large de la côte nord de l'Afrique]. Pour faire un reportage sur la 'Ndrangheta [ndlr : groupe mafieux] et comprendre le phénomène, je devrai passer du temps dans la région en Calabre."
Bien que le manque de liaisons avec les transports publics là où elle vit rende les déplacements plus difficiles, l'endroit l'aide à se concentrer et à se détendre.
La journaliste indépendante Arlene Harris voit également plusieurs avantages à être basée en Irlande rurale : "Le coût de la vie est moins élevé, [et] la qualité de vie est meilleure si vous aimez vous promener dans la campagne avant de commencer à travailler", dit-elle.
Mme Harris écrit régulièrement pour le Irish Times, Irish Independent, et Sunday Times. Elle affirme que travailler en free-lance en dehors d'une grande ville n'a jamais été aussi facile.
"Après avoir travaillé pendant une dizaine d'années dans le centre de Londres, j’exerce depuis la campagne irlandaise depuis à peu près la même période et, en fait, j'ai plus de travail qu'auparavant", affirme Mme Harris. "Tant que vous disposez d'une bonne connexion Internet, il n'y a aucune raison pour que vous ne puissiez pas continuer à travailler exactement de la même manière que lorsque vous habitiez dans un environnement urbain."
Emily F. Popek, basée à Oneonta, dans l'État de New York, qui compte moins de 14 000 habitants, est une professionnelle de la communication et une journaliste indépendante. Elle a signé des articles dans le New York Times et le Washington Post, et a aussi remarqué les nouvelles possibilités offertes par la vie hors de la ville. "Si votre objectif est de faire partie d'une rédaction et de travailler en personne, les offres sont évidemment limitées en dehors des grandes villes", dit-elle. "Cependant, je pense que la pandémie a ouvert la voie à beaucoup plus de travail à distance, même dans des entreprises qui exigeaient auparavant que tout leur personnel soit sur site." Il est désormais possible, par exemple, d'accepter des emplois qui, auparavant, nécessitaient un déménagement.
Mme Popek a vécu dans des zones rurales la majeure partie de sa vie. Elle apprécie la communauté, le calme et la beauté naturelle. Elle ajoute : "J'aime le coût de la vie relativement bas, de sorte que lorsque j’obtiens une commande mieux rémunérée, j’en ai plus pour mon argent."
Alors, vous voulez réussir en tant que journaliste en dehors d'une grande ville ? Voici quelques conseils pour vous aider.
Prévoyez vos déplacements de manière stratégique
Vous aurez peut-être besoin de plus de temps pour organiser votre voyage si vous vivez dans un endroit éloigné et mal desservi par les transports publics. Prenez des décisions stratégiques. "Planifiez vos déplacements [de reportage] à l'avance, et accordez-vous plus de temps pour chaque trajet", conseille Mme Anesi. "Sauter d'un endroit à l'autre comme une balle de ping-pong folle ne vous aidera pas à vous concentrer ou à atteindre votre objectif. Au contraire, accordez-vous le temps de vous renseigner sur les lieux et de parler aux personnes et aux sources sur place.”
Réseautez en ligne
Ne pas avoir de collègues à proximité pour échanger ou même simplement boire un café et prendre des nouvelles peut être difficile. Mme Harris conseille de se mettre en lien avec d'autres journalistes en ligne, même juste pour bavarder sur les réseaux sociaux. "Cette vie peut être assez solitaire par moments. Si vous êtes habitué à un quotidien plus prenant ou plus rapide, l'adaptation peut être compliquée."
Consultez des communautés en ligne comme la Society of Freelance Journalists, et participez à leurs réunions virtuelles et à leurs forums de discussion.
Construisez votre clientèle
Il est plus facile de travailler depuis n'importe où si vous sécurisez vos contrats en amont. C'est d'autant plus vrai si toute la communication se fait par téléphone ou par message. "Si vous envisagez de travailler en dehors d'une grande ville, je vous encourage à consacrer le temps et les efforts nécessaires pour vous constituer une clientèle, peut-être même avant de déménager", explique Mme Harris. "Si vous comptez uniquement sur la prise de contact par e-mail, il pourrait être difficile d'établir un rapport de confiance.”
Rejoignez ou créez un syndicat
Mme Popek souligne que les conditions de travail et de rémunération dans le journalisme ne sont pas toujours excellentes, surtout au début. Le pouvoir de négociation peut être encore plus faible si vous vivez dans une région où il y a moins d'emplois. "Vous pouvez également ne pas bénéficier de la solidarité des autres travailleurs si vous êtes pigiste ou même employé dans une petite rédaction", explique-t-elle.
Son meilleur conseil est d'adhérer à un syndicat ou d'en créer un. Un syndicat est l'un des outils les plus puissants dont disposent les journalistes pour améliorer les conditions de travail et rendre le métier plus vivable, insiste-t-elle : "[Nous] pouvons nous battre pour des salaires plus justes, de meilleurs avantages sociaux et d'autres choses qui nous permettent de continuer à faire ce travail sans nous épuiser."
Tirez profit de votre localisation
"Pour réussir en tant que freelance en dehors d'une grande ville, je pense que la clef est de faire en sorte que votre lieu de résidence joue en votre faveur, et non contre vous", poursuit Mme Popek. Par exemple, lorsque vous acceptez des commandes, un coût de la vie moins élevé peut vous donner plus de flexibilité pour ne pas vous limiter aux emplois les mieux rémunérés.
"Par ailleurs, pensez aux sujets que vous pouvez proposer, aux personnes et aux lieux auxquels vous avez accès, aux points de vue que vous connaissez que vos rédacteurs en chef des grandes villes ne connaissent peut-être pas. Cela peut être un véritable atout pour vous en tant que freelance si vous parvenez à l'intégrer dans votre couverture", conclut-elle.
Photo de Monica Bourgeau sur Unsplash.