Neuf conseils pour cultiver l'équilibre avant une année de reportages et de fact-checking

31 déc 2024 dans Sujets spécialisés
Un cairn face à la plage

L'intensité exceptionnelle de la couverture médiatique mondiale ces dernières années a donné à de nombreux journalistes l'impression de se retrouver à bord d'un avion secoué par de violentes turbulences.

Aux États-Unis, suite à la réélection de Donald Trump, les journalistes se préparent à des années d'incertitude, marquées par une vérification incessante des faits concernant ses déclarations, souvent erronées ou non étayées. En effet, le président a su dominer la couverture médiatique comme aucun autre homme politique, a violemment attaqué les journalistes et menacé de s’en prendre aux critiques. 

L'anxiété vécue par les journalistes aujourd'hui ne se limite pas aux États-Unis. Alors que les démocraties se fragilisent à l’échelle mondiale, que les guerres se multiplient, que les revenus diminuent, que la pauvreté mondiale ne recule plus, que les réseaux de haine se renforcent et que la crise climatique s’intensifie, comment les journalistes peuvent-ils retrouver un semblant d'équilibre dans leur vie, alors qu'ils suivent un agenda toujours plus chargé tout en travaillant avec des ressources de plus en plus limitées ?

Pour le savoir, je me suis tourné vers quatre experts en psychologie, en yoga, en pleine conscience et en spiritualité, qui cumulent plus de 75 ans d’expérience pour aider les professionnels à être plus résilients. 

Voici leurs conseils aux journalistes confrontés à l’incertitude, à l’épuisement professionnel et plus encore :

(1)  Cherchez un sens à l’adversité, car c’est dans les moments d’obscurité que nous grandissons le plus

Le premier conseil, qui m'a évoqué le puissant récit de Viktor Frankl sur la quête de sens dans la souffrance, Découvrir un sens à sa vie, est venu de la psychothérapeute londonienne Lois Pimentel et du chercheur en pleine conscience et équanimité, Joey Weber, professeur adjoint à l'Université de Bolton. Ils nous ont encouragés à trouver un sens à nos défis, soulignant que l'adversité peut conduire à la croissance humaine.

“Nous apprenons souvent seulement à travers l’adversité. Quand les choses vont mal, nous continuons à avancer sans nous rendre compte de rien,” déclare M. Pimentel. “Nous apprenons bien plus de la douleur que du plaisir,” observe M. Weber. 

Les journalistes peuvent tirer profit de cette façon de penser en adaptant leur état d’esprit pour aborder les années à venir non seulement comme une période de fortes turbulences, mais aussi comme une opportunité de développement. En attendant, les organisations journalistiques devraient envisager d’investir davantage dans des programmes de santé mentale et de résilience pour soutenir les journalistes dans les périodes difficiles et de croissance.

(2)  Reconnaissez et acceptez vos émotions difficiles comme la colère, l’anxiété et l’inquiétude

Silvia Paparello, docteure en sciences cognitives et professeure de yoga italienne ayant 25 ans d’expérience, estime que pour survivre aux temps difficiles, il est impératif d’accepter d’abord la nature pernicieuse de nombreuses émotions qui ravagent notre corps. “L’incertitude, la peur et la colère ont des conséquences physiques sur notre corps et notre système nerveux,” explique-t-elle.

D'après mon expérience personnelle et celle de mon entourage, je sais que ne pas reconnaître nos émotions – une tendance malheureusement prédominante dans les sociétés modernes, et particulièrement dans le journalisme – peut mener à l'épuisement professionnel, à une anxiété presque paralysante, voire à la dépression.

Pour accepter leurs émotions difficiles comme la colère, la rage ou l’anxiété, les journalistes devraient envisager d’essayer une thérapie somatique qui nous aide à nous connecter et à accepter différentes émotions et sensations en nous accordant au corps, plutôt qu’au seul esprit.

(3)  Développez une approche axée sur le corps pour relaxer votre esprit et calmer votre système nerveux

S'appuyant sur ses connaissances en neurosciences et son expérience en tant que professeur de yoga, Mme Paparello a recommandé l'exercice physique comme moyen de gérer le stress, expliquant que bouger notre corps aide à apaiser notre esprit. En effet, selon elle, le système nerveux humain a évolué pour nous protéger du danger en ordonnant à notre corps de fuir ou de se cacher des prédateurs plus grands. 

"Nous ne pouvons plus nous cacher ni fuir les dangers modernes, mais notre corps conserve cette impulsion. Une simple marche rapide peut faire des merveilles pour libérer une partie de ce signal de danger. Lorsque l’esprit est embrouillé et craintif, laissez la sagesse de votre corps vous guider," affirme-t-elle.

4)   Ancrez-vous grâce à la méditation et à la connexion avec la nature

Pour atténuer le stress et l’anxiété qui accompagnent un travail très exigeant comme le journalisme, Melissa Coton, professeure de méditation et de yoga expérimentée basée au Guatemala, recommande de s’ancrer dans le moment présent par la méditation quotidienne ou une pratique similaire. Cela peut nous aider à mettre un terme à notre tendance à ruminer l’anxiété.

Elle a souligné l'effet apaisant et réconfortant de la nature dans les moments difficiles, l'importance de nourrir notre corps avec des aliments sains et l'importance de créer une harmonie dans l'espace qui nous entoure. M. Weber souligne également les qualités curatives de la nature, nous conseillant de “nous exposer chaque jour à la lumière du soleil.”

(5)  Formez des communautés de soutien au sein du journalisme et de votre contexte local

Selon M. Pimentel, la situation mondiale de plus en plus sombre offre des opportunités de renforcement des liens humains, si l’on crée ou rejoint des communautés d’intérêts dédiées à la promotion de l’unité et de l’amour. Ces communautés, croit-il, se répandront comme un antidote à la prolifération de la haine et de l’isolationnisme dans le monde. “Mon instinct me dit que nous allons créer et multiplier des communautés, car si nous gérons cette situation de manière isolée, nous nous effondrerons,” déclare-t-il. “Nous devons être en communauté pour résister aux attaques.” 

“L’anxiété se développe dans l’isolement,” note M. Weber, notamment pour les journalistes qui évoluent souvent dans un environnement agité, anxiogène, individualiste et compétitif. Il nous encourage à prendre le temps de chercher des liens plus profonds avec notre entourage. “Commencez petit : établissez des liens avec votre communauté, faites du bénévolat ou ayez simplement des conversations enrichissantes.”

(6)  Recherchez la joie comme une résistance à la haine

Ces dernières années, j’ai souvent réprimé ma joie, la considérant comme une indulgence alors que des milliards de personnes souffrent dans le monde. Mme Coton a remis en question cette attitude, affirmant que se permettre de ressentir de la joie est une forme importante de résistance à l’obscurité (et de protection contre l’épuisement professionnel, ajouterais-je). Dans son livre, Happiness by Design, Paul Dolan soutient également que pour se sentir heureux, nous devons trouver un équilibre entre le plaisir et le sens. Si le sens l’emporte sur la joie, on risque de s’épuiser. 

MmeCoton a cité la réflexion de l'aîné Hopi White Eagle selon laquelle chaque crise a une dimension à la fois spirituelle et sociale. “Il y a une demande sociale dans cette crise, mais il y a aussi une demande spirituelle. Les deux vont de pair. Sans la dimension sociale, nous tombons dans le fanatisme. Mais sans la dimension spirituelle, nous tombons dans le pessimisme et le manque de sens,” a-t-il observé.  

Mme Coton a ensuite expliqué que la meilleure résistance à l'agression est d'éprouver de la joie et de célébrer la vie, citant à nouveau White Eagle : “Ne vous sentez pas coupable d'être heureux pendant cette période difficile [...] Restez présent et rappelez-vous : c'est par la joie que l'on résiste [...].”

(7)   Prenez du répit en vous concentrant sur les autres grâce au bénévolat

Mme Coton, Mme Paparello et M. Weber ont tous témoigné de l’effet stimulant, équilibrant et enrichissant que crée le service aux autres. Ils ont fait valoir qu’en période de contraction mondiale, déplacer l’attention de soi vers les autres par le biais du bénévolat est un remède pour la santé mentale non seulement pour ceux qui ont besoin d’aide, mais aussi pour ceux qui en proposent. Le bénévolat peut également servir de rappel à nous-mêmes et aux autres que l’espoir et la capacité d’agir existent toujours. 

Par exemple, si un journaliste s’inquiète de la pauvreté alimentaire, il peut se porter volontaire pour participer à une soupe populaire. Si elle s’inquiète du manque de pensée critique aux États-Unis, elle peut se porter volontaire pour des programmes qui proposent des livres aux enfants.  

(8)   Se connecter à l’humanité fondamentale des autres, en particulier ceux qui ont des opinions opposées

Ayant vécu la douleur, la colère et la déception de voir un être cher de l'autre côté d'un fossé politique, j’ai cherché des conseils sur la manière de rétablir la paix alors que le gouffre entre nous semblait insurmontable. Consciente de la difficulté de la situation, Mme Coton me suggère doucement que cette rupture pourrait offrir une opportunité de renouer avec l'humanité fondamentale de l'autre, en mettant l'accent sur les similitudes plutôt que sur les différences. 

De son côté, M. Weber nous conseille de préserver nos liens avec nos proches en nous concentrant sur nos intérêts communs essentiels, comme la santé ou l’amour de la nourriture, plutôt que sur la politique ou nos divergences concernant les événements mondiaux.

(9)  Adopter une vision à long terme du progrès humain

Pour raviver un certain optimisme, Mme Coton nous encourage à adopter une vision historique à long terme du progrès humain, rappelant que même si l'histoire de l'humanité a été marquée par la violence, notre espèce a survécu, progressé et même parfois prospéré. M. Weber, quant à lui, propose un point de vue plus large, affirmant que les périodes de contraction sont toujours suivies de périodes d'embellie. 

Si tout le reste échoue, notre foi dans le fait qu’une période de turbulences violentes sera suivie d’une période de tranquillité peut nous permettre de continuer à avancer.

 


Photo de Jeremy Thomas sur Unsplash.