Les journalistes d’Afghan Fact expliquent comment ils luttent contre la désinformation

26 avr 2024 dans Lutte contre la désinformation
Capture d'écran du site Afghan Fact

Fin 2022, un journaliste afghan a envoyé à ses collègues un article d’IJNet en persan sur le fact-checking et la vérification. L’article était accompagné d’une recommandation : qu’ils lancent un site Web axé sur la vérification des faits en Afghanistan.

Cet e-mail a conduit directement à la création en février 2023 d’Afghan Fact, un site Web de vérification des faits né dans un contexte de grave pénurie de ressources journalistiques pour les journalistes afghans suite à l'effondrement des médias afghans indépendants après 2021. 

Selon Reporters sans frontières, quelque 43 % des rédactions qui fonctionnaient en 2020, avant la prise de contrôle de l'Afghanistan par les talibans, ont depuis quitté le pays. En décembre 2023, BBC en persan a cité l'Organisation de soutien aux journalistes afghans qui rapportait que les deux tiers des 12 000 journalistes afghans actifs avant le retour au pouvoir des talibans en 2021 ne travaillent plus en Afghanistan. Un grand nombre de journalistes ont quitté le pays tandis que certains ne peuvent plus travailler en raison des diverses restrictions imposées par le régime, comme celles que subissent les femmes journalistes.

J'ai parlé avec les journalistes qui ont créé Afghan Fact de leur travail, du fonctionnement d'Afghan Fact et de l'état actuel des médias en Afghanistan. Pour cette interview, ils ont souhaité rester anonymes par souci pour leur sécurité dans un contexte d'emprisonnement et de violences visant les journalistes sous le régime taliban.

Combien de personnes travaillent sur Afghan Fact ?

Actuellement, nous disposons d'une équipe de 11 journalistes, deux administrateurs et deux techniciens. Nous travaillons tous à temps plein.

Comment financez-vous votre site web?

Nous n'avons pas vraiment beaucoup de ressources financières. Certains d'entre nous travaillent comme bénévoles et d'autres sont payés [en tant qu'employés]. Heureusement, une grande partie de nos dépenses sont payées par nos collègues, notamment un certain nombre de journalistes afghans exilés. 

Tous ceux qui travaillent ou aident au sein de l'équipe s'efforcent sérieusement de faire progresser la culture médiatique de la société afghane, ce qui implique notamment de comprendre le processus d'enquête et de vérification des faits.

Vous réunissez-vous dans un espace de bureau physique pour travailler ?

Pas encore, malheureusement, même si nous avions [auparavant] prévu d’ouvrir officiellement un bureau à Kaboul. Cependant, nous avons réussi à nous réunir régulièrement – partout où nous le pouvons – et à travailler ensemble, même si un certain nombre de nos collègues sont basés en dehors de l’Afghanistan. 

Notre travail a été interrompu le 13 janvier 2024 en raison de problèmes de sécurité et nous avons temporairement arrêté certains de nos travaux. Nous nous efforçons de reprendre notre travail dans un environnement plus sûr.

Comment fonctionne votre équipe ?

Notre centre d’intérêt est l’Afghanistan. Nous sélectionnons certains reportages ou citations [de responsables ou de reportages] sur lesquels travailler. 

[Dans notre équipe], trois journalistes travaillent sur les faits recueillis, chacun vérifiant et révisant le travail fait par une autre personne. Les faits collectés sont ensuite examinés par un éditeur, qui attribue une note au reportage ou à la citation. 

L'évaluation est basée sur la véracité du reportage et est étiquetée comme suit : précis, semi-exact, inexact, pas entièrement crédible, exagéré ou totalement faux.

Selon vous, quel est le défi le plus important auquel les journalistes sont confrontés aujourd’hui en Afghanistan ?

Depuis la chute de la République [pré-Taliban], les obstacles économiques comptent parmi les plus grands défis pour la poursuite de l’activité des médias afghans.

Un autre problème réside dans le fait que les journalistes afghans sont confrontés à un manque de sources fiables et d’informations précises. L'émigration et le changement des systèmes gouvernementaux ont amené les journalistes à faire face à une pénurie de sources d'information, car les médias d'État ne reflètent que les points de vue des talibans et sont gérés selon les ordres de ces derniers.

Comment IJNet vous a-t-il aidé à comprendre les détails importants de la vérification des faits, et comment est-il devenu une ressource pour les journalistes afghans ?

Notre source principale et la plus importante pour comprendre le processus de vérification et d’établissement des faits est IJNet en persan. Nous avons réussi à préparer notre charte en deux mois et avons lancé notre site en février dernier [2023].

Malheureusement, le gouvernement taliban n'a pas encore délivré de permis pour notre activité, mais nous avons pu enregistrer notre réseau en tant qu'organisation apolitique à but non lucratif aux États-Unis. Nous attendons actuellement notre licence  de l’International Fact-Checking Network (Réseau international de vérification des faits) également.

Comment avez-vous bénéficié d’IJNet au cours de votre carrière journalistique ?

IJNet, plus précisément IJNet en persan, est un site Web de journalisme unique, géré de manière très créative et adaptée aux besoins des journalistes. Les articles qui paraissent sur ce site sont d'une aide inestimable pour nous et pour tous les journalistes de langue persane. Nous suivons de près IJNet en persan, car il n’existe aucun site Web similaire. 

Nous lisons tout le contenu et en tirons des leçons – c'est comme avoir votre tuteur personnel en journalisme.

Quel conseil donneriez-vous aux journalistes d’investigation nouveaux ou en herbe ?

Notre conviction est que les journalistes d’investigation doivent constamment mettre à jour leurs connaissances et leurs compétences. À mesure que la technologie progresse et facilite l’accès des citoyens à la communication et à l’information, la désinformation et les fausses nouvelles se propagent également. Plus les journalistes d’investigation se familiarisent avec les nouvelles tendances et renforcent leurs compétences journalistiques, mieux ils sont équipés pour distinguer les faits des informations inexactes ou des fausses nouvelles. 

Outre IJNet, la chaîne YouTube de l'ICFJ est également très informative pour les journalistes.

Comment avez-vous bénéficié du programme “Désarmer la désinformation” de l'ICFJ et de ses master classes organisées ces deux dernières années ?

Les master classes nous ont été très utiles et nous ont familiarisés avec des outils et des logiciels qui nous aident grandement dans le fact-checking et la vérification. Le sujet le plus important pour nous était de nous familiariser avec les sites Web et les plug-ins utiles à des fins de vérification.

D'autres parties éducatives de ces cours incluaient les meilleures méthodes de vérification des photographies et les meilleures façons d'utiliser le contenu open source à des fins d'enquête. 

Notre autre point important à retenir des cours était des connaissances utiles pour la collecte de fonds et la monétisation du journalisme professionnel.

 


L’image principale est une capture d’écran du site web d'Afghan Fact.