L’éthique de la protection des sources vulnérables

14 juin 2024 dans Sécurité physique et numérique
Dessin d'une femme devant des fleurs et d'une personne qui écrit sur un bloc notes

Dans une chronique sur la manière d'interviewer des sources vulnérables sans les exploiter, l'éthicienne des médias Kelly McBride rappelle : “Les journalistes ont une obligation éthique supplémentaire lorsqu'ils travaillent avec des personnes qui ne donnent pas systématiquement des interviews.”

Ces propos sonnent particulièrement vrai dans les pays où ceux qui s’expriment publiquement sur certaines questions risquent d’être attaqués pour leurs opinions. En Asie du Sud, la religion est un sujet susceptible de déclencher une tempête de réactions négatives.

Les journalistes spécialisés dans le secteur religieux sont confrontés à des choix difficiles. Donner la parole à ceux qui disposent de moins de tribunes donne vie à leurs reportages. Sans ces témoignages personnels et ces témoignages oculaires, le public – et les décideurs politiques – seraient tenus dans l’ignorance des atteintes aux droits humains, de l’oppression des minorités vulnérables, et bien plus encore.

Pourtant, citer des sources dans un article sur les violences contre les musulmans en Inde, par exemple, ou sur les attaques contre les hindous au Pakistan, pourrait mettre des vies en danger. Quelles garanties existent pour ceux qui risquent des représailles en s’exprimant ?

Accorder l'anonymat est une solution, déclare Mme McBride, responsable éditoriale de la National Public Radio (NPR) et vice-présidente principale du Poynter Institute. “Mais pour que cela fonctionne, il faut que cela soit bien fait”, note-t-elle, citant les lignes directrices suivantes concernant l'utilisation de sources anonymes :

  • Dans un souci de transparence, décrivez dans l’article comment vous savez que la source dit la vérité.
  • Expliquez pourquoi vous avez accordé l'anonymat et les risques auxquels la source est confrontée si elle est identifiée.
  • Faites attention à ne pas révéler par inadvertance l'identité de la source en mentionnant le lieu où l'entretien a eu lieu.
  • Si une photo masquée accompagne l'histoire, supprimez les métadonnées pour éviter de révéler le lieu ou d'autres informations, telles que l'heure et la date.
  • Lorsque vous accordez l’anonymat, soyez intentionnel dans chaque décision que vous prenez. La sécurité de la source peut en dépendre.

Mme McBride aimerait voir la profession journalistique établir des lignes directrices plus formelles pour protéger les sources vulnérables. Elle a créé une boîte à outils de bonnes pratiques pour les journalistes travaillant avec ceux qui ont besoin de protection. Parmi eux:

  • La prise de contact : “Commencez par une conversation informelle et confidentielle. Décrivez l'histoire, combien de temps cela pourrait prendre pour la couvrir et quel type de questions vous êtes susceptible de poser, [...] présentez tous les endroits où le papier apparaîtra, notamment si elle vivra pour toujours sur le site web de votre média.”
  • L’identification : “Travaillez avec votre responsable éditorial pour offrir aux particuliers une gamme d'options quant à la manière dont ils seront identifiés. Pensez aux initiales, aux deuxièmes prénoms ou à d’autres moyens de garantir à la source un niveau de confidentialité.”
  • La participation continue :   “Lorsqu'une source révèle des informations susceptibles de causer un préjudice personnel ou un embarras, donnez-lui la possibilité de reformuler ou de recadrer l'information si elle est pertinente pour l'histoire.” 
  • Avant la publication : "Assurez-vous que la source est informée de la date prévue de publication de l'article et du lieu où il sera publié. Expliquez-lui comment l'histoire sera probablement présentée sur diverses plateformes sociales."
  • Après publication :   “Dès que l'histoire sera accessible au public, faites-lui savoir comment elle peut la voir ou l'entendre.”

Chez NPR, explique Mme McBride, les responsables éditoriaux doivent approuver l'utilisation de sources anonymes pour garantir que cette pratique “soit réservée à ceux qui risquent réellement de subir un préjudice.” 

Le Poynter Institute fournit des conseils et des lignes directrices en matière d'éthique dans la rubrique “Éthique et leadership” de son site web. 

Gagner la confiance et l’accès

Media Matters for Democracy (MMD) à Islamabad propose une formation sur la manière éthique de couvrir les communautés marginalisées.

Un message du site Internet : “Les journalistes doivent faire preuve d'humilité pour entendre les récits des plus défavorisés. Il n’y a pas d’autre alternative que de passer du temps avec ceux dont vous souhaitez parler, de leur faire connaître vos intentions et d’écouter leur conversation.”

MMD propose les conseils suivants pour instaurer la confiance et accéder aux populations vulnérables :

  • Utiliser vos relations existantes. Renseignez-vous auprès de vos sources actuelles sur les liens avec les communautés marginalisées et utilisez leur aide pour vous familiariser avec de nouvelles sources au sein de ces groupes.
  • Expliquez votre processus. Les journalistes peuvent gagner la confiance de leurs interlocuteurs en expliquant pour qui ils travaillent, sur quel reportage ils travaillent, pourquoi ils ont besoin de parler avec les membres du groupe et en quoi cela bénéficiera à leur reportage. Si nécessaire, les risques doivent faire partie de la conversation.
  • Gardez le contact. Si vous trouvez une source issue d’une minorité religieuse qui fournit de bonnes informations, recontactez-la régulièrement mais en toute sécurité. S'il y a quelqu'un dont vous n'avez pas entendu parler depuis un certain temps, appelez-le.

MMD utilise également une méthode appelée “Analyse morale systématique” pour promouvoir une prise de décision éthique. Les journalistes abordent des questions telles que :

  • L’article remplit-il une responsabilité journalistique ?
  • Agit-il dans l’intérêt public ? 
  • Favorise-t-il un rôle de surveillance ?
  • Sera-t-il au service des valeurs traditionnelles de l’information ?
  • Causera-t-il un préjudice physique, financier ou à la réputation ? Si oui, le fait de causer un préjudice est-il justifié ?
  • L’action favorise-t-elle le bien général de la société ?

Une dernière réflexion : lorsqu’ils couvrent les minorités religieuses – ou d’autres groupes vulnérables – les journalistes doivent mettre en balance l’intérêt public et les préjudices potentiels, et faire preuve de compassion, surtout si leurs sources sont persécutées. Réfléchissez toujours : quelle est ma mission journalistique ? Quelles sont les alternatives dont je dispose ? Quelles sont les conséquences prévisibles ? Puis-je défendre mes actions auprès du public, de mes patrons et de moi-même ? 

Autres ressources

 


Photo d'en-tête par Gabrielle Rocha Rios.

Cette ressource a été initialement publiée dans le cadre de notre boîte à outils sur les reportages sur la religion, produite dans le cadre du programme de l'ICFJ, Endiguer la marée de l'intolérance : un réseau de journalistes sud-asiatiques pour promouvoir la liberté religieuse.