Les stratégies pour atteindre les publics vulnérables à la désinformation

2 avr 2024 dans Lutte contre la désinformation
Personne lisant un journal

Dans la lutte contre la montée alarmante de la désinformation, les journalistes occupent une position centrale. L'un des secrets pour contrer ce fléau réside dans l'identification et l'engagement des publics les plus vulnérables. Comment procéder efficacement ? 

Des réponses concrètes ont été fournies lors du deuxième webinaire du sommet mondial Empowering the Truth 2024, qui s'est tenu le 13 mars. Piloté par le Forum francophone Pamela Howard du Centre international pour les journalistes (ICFJ) sur le reportage des crises mondiales, ce sommet vise à combattre la désinformation et renforcer la diffusion d'informations fiables.

Pour cette session, Eric Nahon, ancien directeur adjoint de l'Institut pratique du journalisme (IPJ) de l'université Dauphine et ancien président de l'Association européenne de formation en journalisme (EJTA), a partagé les clés permettant de comprendre les principes de la désinformation, d'analyser ses mécanismes et d'identifier et atteindre les publics inatteignables ou vulnérables à la désinformation.

Dès l’entame du webinaire, Eric Nahon, également spécialiste en stratégie éditoriale de l’information a souligné la nécessité de cerner quelques notions importantes.

  • L’information est différente de l’opinion

« Une information n’est pas une anecdote, ni une impression, parce que l’information doit être fiable, sourcée et recoupée. Il s’agit en réalité d’un fait. Alors qu’une opinion représente une façon de penser d’une personne, c’est une perception subjective qui peut varier d’une personne et donc elle est discutable », rappelle l’ex-directeur de l’IPJ. 

  • Cerner les nuances entre désinformation, mésinformation et malinformation 

La désinformation implique un mensonge délibéré dans le but de tromper, tandis que la mésinformation est une erreur innocente. La malinformation, quant à elle, peut prendre diverses formes telles que les fuites d'informations, le harcèlement ou les discours haineux, contribuant à une surcharge médiatique et à une confusion qui éloigne le lecteur ou l'auditeur de la vérité. Pour le public, tous ces phénomènes se confondent souvent sous le terme de "fake news", indique Eric Nahon.

  • Les fakes news et ses acteurs

Les fausses nouvelles sont des messages qui prennent la forme d’informations fausses ou truquées relayées sur les réseaux sociaux, et par certains médias. Les acteurs de la désinformation sont multiples, comprenant des entreprises, des États, des particuliers, ainsi que toute personne impliquée dans la production de fausses informations. Ils le font pour diverses raisons. Certains sont motivés par l'appât du gain financier, d'autres par des convictions idéologiques. Enfin, il y a ceux qui considèrent la désinformation comme un jeu, sans réfléchir aux conséquences.

Comment identifier la désinformation ?

L’ex-directeur de l’IPJ propose une grille de lecture en quatre points : l'aspect extraordinaire de l'information, son absence de reprise par d'autres sources, la prédominance de l'émotion sur les faits, et sa vraisemblance excessive. Si trois critères sur quatre sont valides, il souligne « qu'une alarme devrait se déclencher, signifiant qu'il est nécessaire d'être prudent. Cette étape marque le passage au fact-checking ».

  • Le fact checking

Initialement une méthode de vérification de la parole politique, il a évolué vers une pratique omniprésente à l'ère de la viralité. Cette évolution implique la vérification systématique de tous les faits et la démystification (debunking) des informations trompeuses.

Selon l’intervenant, « le fact-checking est souvent considéré comme la réponse exclusive à la désinformation, généralement par le biais des médias ». Cependant, un problème se pose :

« Bien que de nombreux médias proposent des rubriques de fact-checking, celles-ci n'atteignent qu'une partie restreinte des personnes exposées à la désinformation ». Cette réalité soulève des questions fondamentales.

Comment identifier les publics vulnérables ?

L’ancien président de l’EJTA propose des stratégies : 

« Il est crucial de prendre en compte les adultes et les personnes âgées, qui sont souvent moins familiers avec les nouvelles technologies et plus enclins à relayer des informations sans discernement, sans réaliser que les plateformes en ligne comme Twitter sont des espaces publics ».

De plus, il est essentiel d'identifier les facteurs qui rendent ces publics vulnérables à la désinformation. « Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le niveau d'éducation n'est pas nécessairement un facteur déterminant. Des facteurs tels que la religion, la morale, les complexes personnels ou l'appartenance à des groupes radicaux peuvent jouer un rôle significatif dans la propagation de la désinformation », précise-t-il.

Comment atteindre les audiences vulnérables ?

Il faut s'adapter aux préférences du public, conseille le formateur. Les médias produisent désormais davantage de contenus vidéo ou audio, répondant ainsi à la demande croissante des consommateurs. Belle initiative, remarque M. Nahon. Il souligne l'importance de partager les méthodes journalistiques afin de renforcer la confiance du public.

Autre astuce proposée : l’utilisation d’un langage simple et des illustrations, tout en présentant différents points de vue et en mettant en avant les faits. Les articles de fact-checking, plus accessibles, sont souvent structurés de manière concise pour faciliter la compréhension rapide. L’expert encourage de ne pas craindre la simplicité dans l'écriture, car elle favorise l'accès rapide à l'information pour le public. Il est également recommandé de diversifier les formats et les médias afin d'atteindre un public plus large.

« Bien que complexe, cette démarche interactive est essentielle pour maintenir une relation constructive avec le public », martèle M. Nahon.

L’intervenant a clos la session de formation en invitant les journalistes à s’inspirer de ces trois cas concrets : la méthode Learn to check ; Julien Pain, l’animateur de l'émission "Vrai ou Faux" sur France Info TV, engagé activement dans la lutte contre la désinformation ; et le Journalism Trust Initiative de Reporters sans frontières.

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