Shehata el-Sayed a entamé sa carrière de journaliste en Libye après avoir quitté son pays natal, l'Égypte, en raison de la crise politique qui s'est étendue de 2011 à 2014.
Dès sa sortie du lycée, il a travaillé pour un journal numérique local libyen appelé El-Youm el-Jadeed, qui a ultérieurement cessé de paraître. Confronté à des difficultés financières pendant ses deux années au sein de la rédaction, il a choisi de réorienter sa carrière journalistique en se penchant sur les technologies émergentes, telles que l'intelligence artificielle (IA) et les enquêtes basées sur des sources ouvertes.
En 2016, M. El-Sayed a réalisé sa première enquête en utilisant des sources ouvertes. Trois ans plus tard, il a fondé l'Open Source Handbook (OSH), une initiative qu'il a développée en 2021 et 2022 en participant au Centre de mentorat pour les start-ups médias d’IJNet en arabe.
Plus récemment, en 2022, M. El-Sayed s'est distingué en remportant le Google Innovation Challenge, lui permettant de recevoir des fonds pour concevoir un assistant d'IA destiné aux journalistes.
J'ai eu l'occasion d'interroger M. El-Sayed sur son expérience en tant que journaliste et sur la manière dont il a intégré la technologie pour améliorer ses reportages :
Pouvez-vous nous parler un peu de votre formation ?
En 2016, j'ai pris la décision de m'initier à la programmation et à la création d'outils. J'ai obtenu un diplôme de licence en Égypte, puis me suis spécialisé en journalisme santé à l'Université américaine du Caire, en plus d'obtenir une licence en ingénierie logicielle au Maroc en 2020.
En Égypte, les rémunérations peu élevées offertes par les institutions journalistiques contraignent les journalistes à cumuler d'autres emplois pour se garantir un revenu décent répondant à leurs besoins personnels. Face à cette situation, j'ai choisi de compter sur mes propres compétences et de poursuivre mon apprentissage avec l'espoir de provoquer un changement significatif pour les journalistes et le domaine du journalisme arabophone en général.
Au cours des dernières années, j'ai réussi à former plus de 6 000 journalistes arabophones et à mettre à leur disposition gratuitement des outils qui facilitent leur travail et améliorent la précision de leurs informations, contribuant ainsi à l'amélioration de leurs performances.
Comment avez-vous adapté vos reportages et vos récits aux changements technologiques importants survenus dans le journalisme ces dernières années ?
C'est un défi majeur auquel les journalistes et les institutions arabes sont confrontés. Sur un plan personnel, j'ai contribué à l'intégration de technologies avancées dans le journalisme avant de rejoindre une entreprise spécialisée dans la création de technologies, OSH.
Parmi les technologies que nous avons développées chez OSH, nous avons conçu un assistant d'intelligence artificielle après avoir remporté le Google Innovation Challenge. Cet assistant est capable de rédiger des articles d’actualités, des rapports, des enquêtes et des articles dans un style journalistique, dans plusieurs langues, avec l'arabe en tête. De plus, il peut réaliser des traductions précises et effectuer des transcriptions d'interviews, une première dans la région arabe.
En outre, nous avons apporté des innovations à notre site web, notamment une fonction de vérification automatisée des faits et de détection de contenu trompeur dans les images, les vidéos et l'audio. Nous avons également intégré des outils intelligents pour la recherche sur les plateformes de réseaux sociaux et l'exploration des archives. Tout cela sera bientôt mis à la disposition des journalistes et des institutions médiatiques arabes.
Pourriez-vous citer un exemple où votre travail de reportage a conduit à un changement réel ou a eu un impact profond sur vos publics ou votre communauté ?
Un article que j'ai rédigé et qui a eu un impact significatif portait sur les agressions sexuelles perpétrées contre des réfugié·es en Égypte. Ce projet a bénéficié du soutien du Centre international pour les journalistes (ICFJ). Après la publication de l'article en arabe et en anglais, la Commission des réfugié·es en Égypte a pris des mesures importantes, notamment la mise en place de bureaux juridiques pour recueillir les plaintes liées aux agressions sexuelles commises contre les réfugié·es en Égypte.
Une autre enquête que j'ai menée visait à retracer les fonds de la succursale de la Banque agricole du gouvernement égyptien située dans le centre d'El-Badari, dans le gouvernorat d'Assiout. J'ai pu démontrer que les employés de la banque manipulaient et falsifiaient les prêts octroyés aux agriculteurs. À la suite de la publication de cette enquête, le gouvernement a pris des mesures significatives, notamment la fermeture définitive de la succursale de la banque et l'annulation des prêts pour les agriculteurs dont nous avions prouvé qu'ils avaient été falsifiés dans le cadre de notre enquête.
Comment IJNet vous a-t-il aidé dans votre carrière ?
À mon retour en Égypte en 2016, j'ai intégré les formations d’IJNet, qui ont grandement contribué à l'amélioration de mes compétences. Plus précisément, IJNet, via son Centre de mentorat pour les médias en arabe, a été un facteur déterminant dans la transformation réussie de ma start-up en une entreprise prospère, ainsi que dans ma victoire au Google Innovation Challenge régional.
Cela a été une expérience très enrichissante, car grâce à IJNet, j'ai eu l'opportunité de former des milliers de journalistes au Moyen-Orient et en Afrique dans des domaines tels que la recherche, l'intelligence artificielle et le journalisme de données. Cela inclut la formation sur des outils gratuits pour l'édition visuelle, la vidéo et l'audio, ainsi que des applications de brainstorming, de stockage sécurisé dans le cloud et de sécurité numérique. IJNet a joué un rôle fondamental en m'aidant à atteindre mes objectifs et à avoir un impact plus vaste dans le domaine du journalisme.
Quels sont, s’il y en a, les défis à relever en tant que journaliste du Sud ?
Le principal défi auquel font face les journalistes des pays du Sud est d'ordre financier, en raison des maigres salaires qui leur sont octroyés pour leur travail.
De plus, ils se heurtent à des difficultés pour trouver des opportunités d'emploi ou de collaboration avec des institutions internationales, souvent contraints de passer par des intermédiaires plutôt que d'interagir directement avec des journalistes. Dans ce contexte, mon conseil est de maintenir un engagement constant dans le développement, l'apprentissage et la formation aux nouvelles technologies, pour les mettre au service du journalisme. Je le répète souvent : "un journaliste sans outils est comme un soldat sans armes".
Photo fournie par M. El-Sayed.
Cet article a été raccourci et édité pour plus de clarté.