Journaliste du mois : Sabin Muzaffar

7 juin 2022 dans Journaliste du mois
Sabin Mazaffar

Il y a plusieurs décennies, le duc d'Édimbourg, le défunt mari de la reine Elizabeth II, visite une école au Pakistan. Le même jour, un concours de poésie est organisé pour les élèves. Le duc est touché par le poème d'une enfant ; il lui offre un stylo. Cette enfant est Sabin Muzaffar, journaliste et fondatrice d'Ananke.

Issue d'une famille d'écrivains, Sabin Muzaffar sait dès son plus jeune âge qu'elle veut être journaliste. Son grand-père était reporter en Inde avant la partition de 1947, et son père était reporter pour le Daily Jang au Pakistan. Après le lycée, Mme Muzaffar commence à travailler pour l'un des principaux quotidiens du Pakistan, le News International. Elle va à l'université le matin et au journal le soir.

Après des années de reportage au Pakistan, Mme Muzaffar s’installe à Dubaï où elle continue à travailler en tant que pigiste. Elle remarque qu'il manque d'espaces numériques qui reconnaissent et célèbrent les réalisations des femmes, alors elle lance Ananke en 2014. Ananke est "un média numérique et une plateforme de développement qui donne du pouvoir aux femmes par la sensibilisation, le plaidoyer et l'éducation", explique-t-elle.

Grâce à ses reportages et à son travail de plaidoyer, Mme Muzaffar met non seulement en lumière d'importantes questions de société autour du genre, mais elle augmente la capacité d’agir de toute une génération de femmes par le biais de stages numériques et d'initiatives de mentorat pour les filles du monde entier.

Quels obstacles avez-vous surmontés en tant que journaliste ?

Lorsque j'ai commencé [à faire des reportages], l'obstacle était cette même vieille misogynie. Je ne dis pas que c’est une bonne chose, mais je pense que lorsque vous vous endurcissez et que vous vous exprimez très clairement à ce sujet, alors vous êtes capable d’affronter ce problème.

Un autre défi, c'est lorsque j'ai lancé Ananke. Tout le monde disait que les gens ne liraient pas d’articles longs. Beaucoup de personnes expérimentées m'ont dit : "Pourquoi tu fais ça, tu perds ton temps". Il y avait des opposants mais j'ai dit : “Non, je vais faire mon truc. C'est quelque chose que j'aime faire et je pense qu'il est vraiment important de montrer des modèles féminins.”

Quel a été votre projet préféré et pourquoi ?

Je me suis rendue compte que documenter les réalisations des femmes ne suffisait pas. Il faut aussi passer de la parole aux actes. C'est pourquoi que j'ai lancé Empower, un programme de mentorat et de renforcement des capacités.

Nous avons abordé des sujets tels que le plaidoyer en ligne, la cybersécurité, le journalisme de communication et le journalisme numérique. Nous, Ananke, avons encadré et formé plus de 80 filles du monde entier : de Somalie, du Malawi, du Kenya, du Nigeria, du Ghana, d'Australie, des Bahamas, du Belarus, d'Inde, du Pakistan, du Bangladesh et du Maroc.

Ce qui est formidable dans ce programme à distance, c'est que nous nous réunissons toutes et travaillons ensemble. L'âge n'est pas une barrière. L'anglais n'est pas une barrière. Nos filles sont devenues d'étonnantes instigatrices du changement. Elles sont devenues lauréates de programmes comme le Rhodes Fellowship. L'une d'entre elles a été sélectionnée pour le programme Solver du MIT. Je m'en vante tout le temps parce que j'en suis très fière.

Comment vous protégez-vous, ainsi que vos sources ?

J'ai été assez privilégiée, je pense, de ne pas avoir été confrontée à un tel examen. Peut-être que j'ai une carapace trop dure. Si vous avez une voix forte, alors vous êtes capable d'y faire face. Je ne dis pas que c'est facile. Je pense simplement que je fais partie des chanceux.ses.

En ce qui concerne la protection de mes sources, il y a eu ce projet pour lequel nous avons fait une édition spéciale intitulée Faces of Resilience. Il est issu d'une formation que j'ai suivie par l'intermédiaire de l'ICFJ, Stemming the Tide of Intolerance. C'était un excellent programme. Il m'a donné l'idée de créer une édition spéciale [d’Ananke], où nous pourrions parler de la façon dont l'intolérance, en cette période de pandémie, affecte les communautés marginalisées, ainsi que les femmes. J'ai parlé aux membres de la communauté ahmadie et de la communauté chiite au Pakistan, car ils sont les plus touchés par la haine et souffrent beaucoup. En Inde, j'ai parlé à la communauté musulmane. J'ai simplement changé les noms [de mes sources] et l'édition spéciale a été bien accueillie.

Comment les annonces d’IJNet vous ont-elles aidées à devenir une meilleure journaliste ?

J'ai participé à de nombreux webinaires. Chaque tweet et chaque webinaire vous aident à apprendre et à grandir. Les mentors qui nous ont été assignés [dans le cadre de "Stemming the Tide of Intolerance"] ont été extraordinaires et nous ont donné de grandes idées.

Lors de l'une des réunions de l'ICFJ, nous avons discuté du fait que les petites rédactions comme la nôtre ont plus que jamais besoin d'une formation en cybersécurité, car tout se fait à distance ou de manière hybride. Nous devons avoir une meilleure vision du numérique et être mieux équipés dans cette ère du vitriol et du dark web. Il existe une série de webinaires sur la sécurité numérique [via l'ICFJ] en cours qui m'intéresse beaucoup.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

L'un des projets les plus passionnants sur lequel je travaille est le Women in Literature Festival d'Ananke. Lorsque nous avons commencé à planifier la deuxième édition en 2022, nous l'avons fait à la fin du mois de mars pour célébrer la Journée internationale des droits des femmes. Il s'agit d'un collectif axé sur le moi global, les femmes, le genre et l'écrit, comme les livres et la poésie.

Notre conseil d'administration est composé d'une équipe de femmes, dont Archana Sharma, du Royaume-Uni, fondatrice de Neem Tree Press. Nous avons la fondatrice de Yoda Press, Arpita Das d'Inde, et Dr. Amna Yaqin, professeure associée à l’Université d’Exeter. Il y a aussi Ameena Hussein du Sri Lanka, fondatrice de la maison d'édition Perera Hussein. Il n'y a pas de hiérarchie ; c'est un collectif car l'objectif est de démocratiser l'édition.

Quels conseils donneriez-vous aux autres journalistes freelances ?

N'ayez pas peur. Soyez humble. Gardez l'esprit ouvert, car l'apprentissage est un voyage de toute une vie, et faites preuve d'empathie. Si vous avez de l'empathie et que vous êtes humble, vous ouvrirez instantanément les portes de l'apprentissage, car c'est ainsi que tout commence. Il est très important de ne pas avoir peur, mais bien sûr, il faut aussi prendre du temps pour soi et ne pas en faire trop. C'est bien d'être précautionneux et de faire une pause.

Oui, la résilience est importante et on nous apprend toujours à avoir les épaules larges, mais il n'y a pas de mal à ressentir de la peur, car cela montre de la vulnérabilité. Si vous êtes vulnérable, vous pouvez également avoir un impact. Tout est donc lié.


Cet interview a été édité pour plus de clarté.