Journaliste du mois : Maritza L. Félix

10 août 2021 dans Journaliste du mois
Maritza L. Félix

"Venir aux États-Unis légalement est vraiment difficile, mais en tant que journaliste, la seule chose que j'ai est la signature de mes articles et je devais la protéger", explique Mme Félix. "J'ai vraiment veillé à faire les choses comme il faut, mais c'est un processus très long, douloureux et très coûteux. Il m'a fallu plus de dix ans pour prouver que je méritais d'être ici."

Malgré les défis auxquels elle a été confrontée en cours de route, le dévouement de Mme Félix à changer la façon dont l'immigration est couverte lui a valu plusieurs récompenses, dont cinq Emmys de la meilleure journaliste d'investigation et de la meilleure productrice. "Lorsque j'essayais de m'auto-sponsoriser pour ma carte verte, je suis devenue une chasseuse de prix parce que j'avais besoin d'en avoir énormément pour prouver aux États-Unis que je méritais d'être ici. Maintenant, je ne cours plus après les récompenses. Si j'en obtiens une, c'est bien", dit-elle.

Après avoir obtenu son permis de travail, Mme Félix a rejoint La Prensa Hispana en tant que cheffe de l'information. Au cours de sa carrière, elle a également produit des contenus pour Telemundo Arizona, The Hechinger Report, The Nation, Yes Magazine et Slate. Actuellement, Mme Félix est lauréate du programme John S. Knight Community Impact à Stanford, une opportunité qu'elle a trouvée grâce à IJNet.

L'année dernière, elle a lancé Conecta Arizona, une initiative transfrontalière en espagnol visant à lutter contre la diffusion de désinformation par le biais d'applications de messagerie et à fournir des informations fiables sur la pandémie et les vaccins.

Mme Félix nous parle de Conecta Arizona, du reportage à la frontière et de ses principales réalisations professionnelles. Elle donne également des conseils à ses confrères mexicains qui souhaiteraient travailler aux États-Unis.

IJNet : Qu'est ce qui vous a poussé à créer Conecta Arizona, et pourquoi était-ce un projet important pour vous ?

Félix: Je faisais des recherche sur Google, et d'essayer de trouver plus d'études en espagnol sur la pandémie et je ne trouvais rien. J'ai donc commencé à traduire des choses sur mes réseaux sociaux et j'ai reçu un nombre considérable énorme de réponses de personnes posant des questions sur la pandémie, le coronavirus, les vaccins et les restrictions aux frontières.

Puis j'ai reçu tous ces liens Facebook et ces noms via mes groupes WhatsApp, et je me suis dit : "Oh mon Dieu, toute cette désinformation se répand par le biais de ces applications de messagerie." La nécessité d'avoir des informations vérifiées sur la pandémie en espagnol en Arizona et à Sonora au Mexique (car nous partageons une frontière avec le Mexique) a inspiré Conecta Arizona.

[Lire plus : Réussir en tant que correspondant à l'étranger : questions-réponses avec Ann M. Simmons]

Quelles sont les principales différences entre être reporter aux États-Unis et chez vous au Mexique ?

Aux États-Unis, je me sens plus en sécurité, c'est l'une des principales choses. Faire un reportage au Mexique, c'est comme faire un reportage dans une zone de guerre, c'est vraiment dangereux. J'admire mes collègues là-bas, car ils risquent leur vie tous les jours pour faire leur travail.

Même si je me bats pour obtenir plus d'opportunités en espagnol aux États-Unis, je pense que nous avons plus de privilèges de ce côté-ci de la frontière qu'au Mexique. Au Mexique, il y a tellement de talent, mais le pays manque d'opportunités et de ressources pour les journalistes.

Maritza L. Félix

Quel est le reportage qui vous a apporté le plus de satisfaction personnelle ?

Je suis des familles depuis 2014. Je fais partie de ces reporters qui trouvent une histoire et la suivent pour toujours. Je pense que l'immigration ne consiste pas seulement à faire des reportages sur le jour où ils sont arrivés aux États-Unis, ou sur le pays où ils se rendent, mais à parler réellement du jour d'après, des six prochains mois et de l'année suivante.

En mars, j'ai publié un article dans The Nation sur une famille qui a été séparée à la frontière en 2018. J'ai pris l'avion jusqu'au Tennessee pour les rencontrer et je continue à suivre leur histoire. Tout récemment, ils ont eu un bébé.

Je pense que ces histoires sur ces enfants qui viennent chercher une meilleure vie sont celles que j'aime le plus raconter. Même si j'ai eu l'occasion de couvrir Trump, Obama et la présidence mexicaine, je pense que les histoires de personnes, les histoires centrées sur l'humain, sont celles qui réchauffent mon cœur.

En quoi le reportage à la frontière se distingue-t-il du reportage dans d'autres endroits des Etats-Unis ?

La frontière est une entité à part entière. Elle est complètement différente du reste des États-Unis. Il faut connaître la frontière, et il faut la quitter pour pouvoir en parler. L'immigration est mon sujet de prédilection depuis plus de dix ans et je pense que nous devons commencer à faire évoluer les récits. Nous parlons toujours des immigrants comme de pauvres gens qui viennent aux États-Unis à la recherche du rêve américain, mais l'immigration a tellement de visages.

Nous devons cesser de résumer la frontière au mur et à la violence. Nous devons commencer à parler davantage des ponts entre les communautés et de la façon dont, indépendamment des restrictions frontalières, de la violence et de la politique, nous restons connectés et nous continuons à nous épanouir.

Quels conseils donneriez-vous aux journalistes mexicains qui souhaitent faire des reportages aux Etats-Unis ?

Ils doivent être conscients que le processus sera long, douloureux et très coûteux, mais c'est possible et j'en suis la preuve. Malgré tous les abus et toutes les choses dont j'ai souffert du fait de n'avoir qu'un visa de travail, j'ai pu m'auto-sponsoriser pour obtenir ma carte verte et cela a changé ma vie.

L'autre chose est de connaître la valeur de son travail. Parfois, nous avons ce syndrome de l'imposteur qui nous parle en permanence et nous dit "vous n'êtes pas assez bon et il y a quelqu'un d'autre qui fera un meilleur travail", et ce n'est pas le cas. Nous sommes uniques et nous avons nos propres expériences. Nous connaissons nos communautés. Nous nous sommes battus pour être là où nous sommes aujourd'hui.


Toutes les images ont été fournies par Maritza L. Félix.