Journaliste du mois : Hadil Arja

9 nov 2022 dans Journaliste du mois
Hadil Arja

Née en Syrie, Hadil Arja connaît parfaitement les défis auxquels les journalistes sont confrontés au Moyen-Orient. Les reporters et écrivains de la région doivent faire face à la désinformation et à la censure, en plus des risques liés aux conflits, au terrorisme et à l'oppression gouvernementale. Dans ce contexte, Mme Arja a consacré sa carrière de reporter à faciliter l’accès et la compréhension des actualités locales aux téléspectateurs.

Actuellement basée en Turquie, Mme Arja a cofondé deux médias indépendants, Tiny Hand et Frontline in Focus. Les deux organisations s'engagent respectivement à utiliser la narration visuelle pour rendre compte des problématiques qui concernent les enfants dans les zones de crise et à proposer des récits personnels des conflits. Tiny Hand et Frontline in Focus utilisent un large éventail de technologies pour rendre ces reportages interactifs, avec l'intention d'engager les lecteurs dans l’actualité sur les crises et les conflits.

Mme Arja, une participante de l’édition de 2020-2021 du Centre de mentorat d'IJNet en arabe, défend un nouveau point de vue dans la région : les nouvelles ne sont pas seulement importantes à connaître, elles peuvent aussi être attrayantes et intéressantes.

Qu’est-ce qui vous a intéressée dans le journalisme ?

J'ai étudié le journalisme à Damas et j'ai obtenu mon diplôme en 2006. À l'époque, la situation était stable en Syrie et il n'y avait pas de guerre.

Lorsque la révolution [syrienne] a commencé, je me suis rendue au Qatar où j'ai été rédactrice-en-chef d'un magazine lifestyle. A l'époque, je me disais que j'étais journaliste, mais au mauvais endroit. J'avais besoin d'être plus proche des événements. Alors [mon mari et moi] avons quitté le Qatar, même si le salaire était élevé, et nous sommes venus en Turquie. J'ai fini par trouver un emploi qui m'a vraiment aidée à améliorer mes compétences numériques et à connaître les médias en ligne. Cela m'a vraiment aidée à mieux comprendre le journalisme numérique et son importance. A ce moment-là, j'avais oublié l'importance des journalistes, car ils sont en première ligne et donnent des informations. Je voulais être sûre de pouvoir transmettre ces informations au public, et c'est devenu une chose essentielle à mon travail.

Pourquoi avez-vous lancé Tiny Hand?

C'est juste venu du fait de faire partie d'une rédaction. Ce sont des actualités, et ce sont des nouvelles importantes, nous allons les couvrir. Mais parfois les gens, même dans la rédaction, ne sont pas du même avis. Ce sont des infos ordinaires pour eux, qui n’ont pas d’importance.

Mais pour moi, nous avons ce genre d’histoires parce qu'il y a des enfants en première ligne. C'est notre mission de les diffuser d'une manière qui oblige les gens à les lire. J'ai donc quitté [mon emploi] et j'ai créé Tiny Hand pour produire des reportages sur les enfants et réfléchir à une nouvelle façon de les diffuser. Comme nous vivons à une époque où il existe des outils numériques, les gens ont commencé à utiliser la réalité augmentée, la réalité virtuelle et des techniques interactives [dans leurs reportages].
 

hadil in protective gear

Comment IJNet vous a-t-il aidée ?

Le lancement de ce nouveau projet n'a pas été facile. Au début de mon parcours, j'ai rejoint le Centre de mentorat d'IJNet. J'étais très enthousiaste à l'idée de rejoindre un programme qui me soutiendrait et me dynamiserait. J'avais besoin de sentir que je n'étais pas seule dans cette aventure, surtout au début, lorsque je me demandais si j'étais sur la bonne voie ou pas. Est-ce que je passais à côté d'autres opportunités en travaillant sur ce projet ? Allais-je réussir ?

Mais après avoir rejoint [le centre de mentorat], j'ai eu toutes les réponses à ces questions.

Quel a été votre moment le plus déstabilisant ou votre moment d’épiphanie depuis que vous travaillez en tant que journaliste ?

Les gens n'aiment pas lire des articles, vous savez, et tout le monde sait quand il y a un conflit. Au bout du compte, ils ne veulent pas lire ces nouvelles graves. [Ils] veulent quelque chose de léger.

C'est un défi pour nous. Par exemple, mon neveu n'a que 13 ans. Quand il a vu un casque de réalité virtuelle dans l'un de nos articles, il a dit : "Peux-tu me l'envoyer ?" [Le reportage porte] sur un refuge pour chats au Moyen-Orient et sur l'impact qu'il subit alors qu'il se trouve à proximité des lignes de front. C'est l’histoire étonnante d’un homme qui collectionne les chats et les garde à cause de la guerre. J'ai été heureuse qu'elle attire son attention, car en utilisant cette technologie, j'ai pu amener les gens à interagir avec cette histoire. Et je sais qu'il est difficile de continuer à convaincre les gens du Moyen-Orient de faire attention à ce genre de récits.

Je suis très heureuse que les gens, par exemple en Europe et aux États-Unis, sachent combien cette technologie est importante. Vous pouvez l’utiliser de cette manière pour couvrir les communautés. Et je pense que ce sera une chance énorme pour nous de montrer aux gens ce que nous faisons vraiment sur les lignes de front.

Est-ce plus difficile de faire des reportages sur les enfants ?

C'est très, très difficile quand on couvre les problématiques liées aux enfants. Si vous consultez le site de Tiny Hand, vous ne trouverez jamais de récit où chaque enfant pleure, parce que je n'aime pas publier ces choses. Cela peut nous apporter plus de trafic, mais pour moi, c'est contraire à l'éthique. Pour chaque reportage, nous nous réunissons et nous discutons de la manière de la couvrir, en particulier pour les sujets sensibles.

Récemment, nous avons travaillé sur un papier concernant un garçon qui avait été agressé sexuellement dans le nord de la Syrie. C'était notre premier reportage d'investigation à ce sujet. C'était difficile, car il nous a fallu un an pour terminer ce reportage. C'était un sujet sensible, mais nous faisons preuve de prudence lorsque nous couvrons des histoires de ce genre. Nous gardons à l'esprit les directives éthiques officielles, car lorsque vous couvrez des histoires d'enfants, ce n'est pas la même chose qu’avec des adultes. Vous ne devez pas mentionner les noms, vous ne devez pas mentionner les lieux. Et vous devez vous arrêter lorsque cela devient très sensible pour eux et que cela mettrait cet enfant en danger.

Quand trouvez-vous du temps pour vous reposer ?

En fait, vous savez, je ne sais pas. J'adore ce travail. C'est comme une passion. L'autre chose c'est que mon mari est aussi journaliste et photographe. Il est toujours avec moi. Ce n'est pas mon hobby, c'est tout pour moi. C'est ma décision de faire quelque chose de différent ici au Moyen-Orient. C'est ma priorité.


Photos fournies par Hadil Arja.

Cet interview a été édité pour plus de clarté et de concision.