Lorsqu'elle était étudiante de premier cycle en médias à l'université de Katmandou, Binita Dahal s'est rendue dans le village de Thawang, dans le district de Rolpa, le cœur de l'insurrection maoïste qui a duré une décennie au Népal. Après trois jours de voyage, elle a rencontré un garçon de 12 ans qui, dans l'espoir de rejoindre l'Armée populaire de libération, portait chaque jour des objets pour aider les rebelles maoïstes.
Surprise par la détermination du jeune garçon à rejoindre les maoïstes au lieu d'aller à l'école, et après avoir vu des enfants dessiner des armes et des slogans maoïstes, elle a senti l’envie irrépressible d'écrire un article. C’est à travers cet article qu'elle a su pour la première fois que sa vocation était d'être journaliste.
Mme Dahal a ensuite effectué un stage pour Nagarik News, un journal de langue népalaise à Katmandou. Les articles de fond qu'elle a rédigés ont impressionné son rédacteur en chef, qui lui a recommandé d'essayer de faire des reportages sur le système judiciaire et les questions juridiques. La journaliste a relevé le défi et s'est inscrite à la faculté de droit du Népal, où elle a obtenu son diplôme de droit et sa licence d'avocate afin de mieux comprendre la terminologie et les procédures juridiques pour ses reportages.
Il y a 10 ans, elle a rejoint le service népalais de la BBC en tant que reporter indépendante et a gravi les échelons jusqu'à devenir journaliste radio et télévision. Aujourd'hui, elle produit des contenus audio et web et travaille également comme présentatrice de programmes pour la BBC. Elle a aussi écrit sur le système de justice transitionnelle, ainsi que sur les disparités de genre et d'autres problèmes rencontrés par les femmes dans les zones rurales du Népal.
À quoi ressemble la vie d’une femme journaliste au Népal ?
Au Népal, ces dernières années, le nombre de femmes journalistes dans les rédactions a augmenté, mais pas autant que celui des hommes. Dans toutes les rédactions, le nombre de femmes augmente progressivement, mais dans les médias grand public, il est difficile de trouver un équilibre entre les hommes et les femmes journalistes qui signent des papiers à la une, qui travaillent à la télévision ou à la radio, ou qui couvrent des domaines tels que la politique, la justice, le sport et l’économie. Les femmes couvrent surtout des sujets sociaux ou de divertissement. Je suis l'une des rares femmes journalistes à couvrir la politique, le judiciaire et la bonne gouvernance.
Vous étiez d’abord intéressée par le journalisme juridique, mais vous êtes aujourd’hui spécialiste des sujets sociaux ou liés aux femmes. Pourquoi couvrez-vous ces questions ?
Lorsque je travaillais pour Nagarik, j'ai régulièrement fait des reportages sur le système de justice transitionnelle, le rôle du système judiciaire dans le renforcement de la démocratie et l'État de droit. Lorsque je travaillais pour le journal en ligne népalais Setopati, j'ai écrit des articles de fond sur des questions sociales qui ont été largement lus et partagés.
Lorsque je me rends dans les zones rurales du Népal, je suis très frappée par la condition épouvantable des femmes et des enfants. Si l'on me propose un sujet politique, percutant ou dans lequel des femmes ou des enfants souffrent, j’ai envie de le couvrir, même si je n'ai pas connu ce genre de problèmes [moi-même].
Après Setopati, à la BBC, certaines de mes enquêtes majeures ont porté sur la reconstruction et la relance après le tremblement de terre, la justice transitionnelle et sociale, et la réponse à la pandémie de COVID-19.
Mon travail s'est étendu au-delà du journalisme juridique, [mais] pendant trois ans, j'ai également continué à écrire une rubrique hebdomadaire sur les questions liées aux droits intitulée Legalese pour le Nepali Times.
Comment êtes-vous passée de la presse papier à l’audiovisuel ?
Je suis passée de la presse écrite à l’audiovisuel en raison des perspectives d'emploi. Lorsqu'on m'a proposé un poste à la BBC, je me suis remise en question car je ne connaissais pas les médias audiovisuels à l'époque. Au Népal, la plupart des habitants des zones rurales dépendent encore de la radio pour écouter les nouvelles quotidiennes. En plus des reportages radio, il m'arrive de produire des vidéos. Je pense que les journalistes devraient avoir des compétences multimédia, car les habitudes de consommation des médias ont radicalement changé ces dernières années.
Au début, c'était très difficile parce qu'avant d'arriver à la BBC, j'écrivais surtout des textes longs, donc mon principal défi après mon arrivée à la BBC en tant que reporter radio était de rendre mon écriture concise, compréhensible et adaptée à la radio. [À la BBC], je ne pouvais écrire que 200 ou 300 mots, alors qu'avant cela, j'écrivais 2 000 mots [par] reportage. C'était donc un véritable défi pour moi d’adapter mon écriture à la radio. C'est ce qui m'a posé problème au début. Mais après avoir travaillé avec la merveilleuse équipe de la BBC, je m'y suis habituée, et maintenant je suis à l'aise pour faire des articles à la fois pour la radio et le web.
Comment IJNet vous a-t-il aidée dans votre carrière ?
J'ai participé à certains programmes d’accompagnement dans des pays étrangers et j'ai entendu parler de ces bourses sur IJNet, que je suis sur Facebook, Instagram et Twitter. J'ai appris qu'il existait des opportunités dans le monde entier et en 2017, j'ai postulé au programme Alfred Friendly aux États-Unis. Ensuite, en 2018, je suis allée en Corée du Sud pour participer à un programme du GIJN, dont j'ai également entendu parler grâce à IJNet.
Récemment, en 2023, j'ai obtenu la bourse Kiplinger et je suis allée à l'université de l'Ohio en mars. J'ai également appris l'existence de cette bourse grâce à IJNet. IJNet est l'un des principaux outils qui me permettent de connaître les opportunités, les conseils et les formations liés au journalisme.
Quel avenir envisagez-vous pour les femmes journalistes au Népal ?
Malgré l'augmentation du nombre de femmes journalistes au Népal, les femmes se voient rarement confier des rôles importants. Lorsqu'une femme occupe un poste important, les autres femmes se sentent pousser des ailes. Les femmes journalistes en devenir doivent se concentrer sur l'apprentissage de nouveaux outils pour devenir des reporters multimédia.
Étant l'une des rares femmes journalistes à couvrir la politique et le judiciaire dans les médias grand public, j'ai pu constater que lorsque l'on travaille dur et que l'on suit sa passion, il est possible de se créer une place reconnue au sein du secteur. Toutefois, les médias devraient être plus inclusifs et embaucher davantage de femmes à des postes de direction. J'ai entendu parler de femmes journalistes qui luttent pour garder leur emploi parce qu'elles sont victimes de harcèlement et d'intimidation sur leur lieu de travail.
Photos de Binita Dahal.