Femmes journalistes au Togo : "Sortons de l’ombre et affirmons-nous"

10 nov 2021 dans Diversité et inclusion
Des femmes travaillent sur leur ordinateur

Au Togo, le monde médiatique se féminise au fil des années. Quasiment inexistantes dans les années 1980, les femmes journalistes représentent désormais presque le tiers des effectifs, selon l'Observatoire Togolais de l’Image de la Femme dans les Médias (OTIFM). Malgré cette sous-représentation, elles marquent aujourd’hui de leur empreinte le journalisme togolais. Directrice de publication, présidente d’organisation de journalistes, spécialiste en changement climatique, environnement, sport, rédactrice en chef, journaliste reporter d’images (JRI) … le paysage médiatique togolais se féminise progressivement. 

Leaders et premières à se spécialiser 

"Dans les années 2012, la presse privée togolaise ne comptait que très peu de femmes journalistes allant sur le terrain. Les quelques femmes provenaient surtout des radios. Les lieux de reportage étaient dominés par les hommes, qui n’hésitaient pas à nous bousculer par moment, notamment lors des grands événements", témoignage d'Ambroisine Mêmèdé, journaliste co-fondatrice et directrice de l’agence de presse Savoir News. Elle présente ainsi une image des femmes dans les médias au Togo que repeint progressivement aujourd’hui une génération. 

Média créés et dirigés par des femmes, l’on n'en compte au Togo qu’une dizaine sur plus d’une centaine que l’on recense. Pourtant, cette faible proportion fait tâche d’huile. Egnoname Eugenie Gadedjisso Tossou, est la directrice générale d'Afrikelles Médias, un média spécialisé dans la promotion de la femme.  

"À la différence des confrères et consœurs, nous avons voulu donner une autre image à la femme et AfrikElles.com s’est engagé à contribuer à l’atteinte de l’Objectif 5 de l’agenda des Objectifs de Développement Durable l'ONU qui est de parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et filles", confie Eugenie, rencontrée dans les couloirs de Pyramide FM, une radio basée à Lomé.

[Lire aussi : Ce collectif de femmes journalistes africaines traite les sujets trop peu couverts]

 

Comme Eugénie, Rolande Azakia travaille sur les thématiques du changement climatique et de protection de l’environnement. Elle est patronne de Ecoconscience.Tv et reste pionnière de la web télévision dans le paysage médiatique togolais. 

Fifadji Assogbavi, la directrice de publication de Togofoot.tg, émerge quant à elle avec nombreuses de ses consœurs dans le monde des médias traitant de l’information sportive au Togo.

"Dans le domaine du sport, une femme et de surcroît mariée est mal vue. Tout laisse à croire que le traitement et la diffusion de l’information sportive est réservé aux hommes. J’ai pu me frayer un chemin et m’imposer au fil du temps, et j’ai lancé en 2013 togofoot.tg", témoigne-t-elle. 

L’émergence des femmes dans le journalisme au Togo est aussi caractérisée par leur leadership. Jusqu’à un passé récent, elles étaient absentes dans les organisations de presse ou de défense des droits des journalistes. Ce cliché se présente autrement ces dernières années avec le leadership de ces femmes journalistes, à l'image d'Hélène Doubidji

Dans la trentaine, fondatrice et directrice de Publication du web magazine Togotopnews, elle préside depuis 2019, l’Association Togolaise des Organes de Presse Privée en Ligne (ATOPPEL). 

Dirigeant ainsi la plus grande organisation de presse en ligne de son pays, Hélène Doubidji représente à elle seule l’image du professionnalisme et de l’excellence de la presse togolaise. Elle a été primée et nominée à neuf reprises entre 2015 et 2021 pour la qualité de son travail.

Ce flambeau du leadership des femmes est aussi porté par Patricia Adjisseku, première femme à avoir dirigé pendant environ six années entre 2014 et 2020, l’Union des Journalistes Indépendants du Togo (UJIT), la plus vieille organisation de presse au Togo. Elle est à la tête, depuis des années, de la rédaction de Kanal Fm, l’une des radios privées les plus écoutées au Togo. 

Des défis à surmonter

L’émergence des femmes dans le journalisme au Togo ne s’opère pas par une formule magique. De fait, elles ont dû et continuent de faire face à plusieurs difficultés. L’un des défis auxquels sont confrontés ces femmes dans leur émergence reste les préjugés. 

"On catégorise rapidement les femmes dans le milieu du journalisme. On pense qu’elles sont perverses et qu’elles doivent leur réussite aux hommes", martèle Fifadji Assogbavi. 

Au-delà, de ces préjugés, les femmes journalistes font aussi face tout comme les médias tenus par les hommes à des difficultés financières. 

"Nous faisons face à un manque de moyens financiers. La presse en ligne n’a pas encore tellement la côte chez nous ici au Togo. Les partenaires sont rares et difficilement accessibles", indique la directrice Togo Foot. 

La directrice de l’agence de presse Savoir News fait le même constat. "Le grand défi reste le financement. Le nombre d’abonnés ne cesse de diminuer, les insertions se font de plus en plus rares, surtout dans le contexte sanitaire actuel". 

[Lire aussi : Au Togo, Ambroisine Memede, journaliste engagée dans la lutte contre le COVID-19]

Au nom de la passion

La passion est le premier secret de ces femmes qui émergent dans le journalisme. "Mon émergence dans le journalisme s’explique par ma passion pour le métier. Je suis très passionnée par l’écriture", raconte Hélène Doubidi.

Au-delà de la passion, l’abnégation au travail est l’une de leurs clefs de réussite. D’autres parmi ses femmes à l’exemple de la patronne d’Afrik’elles y ajoute "planification et discipline". 

Andréa Magnim, directrice de publication de Togoonair.com et correspondante de Reporters Sans Frontières (RSF) pour sa part s’efforce d’avancer en s’adaptant aux difficultés.

Des conseils pour la jeune génération

Pour la jeune génération de femmes s’aventurant dans le journalisme, elle doit au-delà de la passion y ajouter selon la directrice de Togo Foot, "le travail, l’abnégation et la foi". 

Les femmes faisant leur premier pas dans le journalisme devraient aussi renforcer leurs capacités. 

À ses jeunes consœurs, la présidente de l’ATOPPEL invite à briser tout complexe pour émerger. "Nous sommes des personnes, nous avons du potentiel. Nous pouvons réussir au même titre que les hommes. Sortons de l’ombre et affirmons-nous !", lance Hélène Doubidji.


Charles Kolou est journaliste togolais spécialiste de l’environnement/climat et de l’agriculture. Passionné de la recherche scientifique et des thématiques relatives à l’économie, il a aussi un intérêt pour la santé. Il a été lauréat des Lauriers du journalisme d’impact 2020 du Togo et des ACCER Awards 2020.