Dans un Canada en crise, l’embargo médiatique de Meta entrave l’accès à l’information

par Gordon A. Gow
6 sept 2023 dans Reportage de crise
Des immenses fumées dans la nature

Suite à la crise des incendies de forêt dans les Territoires du Nord-Ouest et de l'ordre d'évacuation de Yellowknife, la capitale, le 16 août, l'indignation suscitée par l’embargo médiatique de Meta au Canada a atteint de nouveaux sommets. La question est devenue d'autant plus urgente que les personnes évacuées ont du mal à obtenir des informations essentielles.

J’étais à Paulatuk, une zone isolée des Territoires du Nord-Ouest, à près de 900 kilomètres au nord-ouest de Yellowknife, lorsque l'ordre d'évacuation a été émis.

J'étais au courant de l'embargo sur Facebook, mais j'ai également pu écouter les émissions de radio de CBC North pour me tenir à jour. CBC North a déplacé son studio de diffusion de Yellowknife à Calgary pour assurer une couverture continue de la situation.

Mon expérience personnelle récente dans la région m'a rappelé que même si les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la diffusion d'informations lors d’une crise, les radios AM et FM ont encore un rôle vital. Il faut disposer d'une diversité de sources médiatiques.

Les actualités bloquées de manière irresponsable durant une crise

À la suite de l'ordre d'évacuation de Yellowknife, de nombreuses personnes ont exprimé leur frustration face à l'interdiction de diffuser des informations et ont demandé à Meta (anciennement Facebook) de lever son embargo sur les actualités au Canada afin que les personnes évacuées puissent accéder aux informations en temps réel et les partager au cours de cette catastrophe aux évolutions rapides.

Les organes de presse ont commenté la situation en publiant une multitude d'articles avec des titres tels que Le Canada demande à Meta de lever l'interdiction ‘irresponsable’ de diffuser des informations sur les incendies et Le gouvernement demande à Meta d'annuler l'interdiction ‘irresponsable’ de diffuser des informations alors que les incendies de forêt causent des évacuations.

L'embargo de Meta sur les informations au Canada est la réponse du groupe à la loi canadienne sur les informations en ligne, adoptée en juin. La législation du gouvernement fédéral pourrait obliger les grandes plateformes de réseaux sociaux à conclure des accords de partage des revenus avec les éditeurs de presse canadiens.

Cette nouvelle loi a suscité des débats : certains la saluant comme essentielle à la préservation d'un journalisme de qualité et d'autres affirment qu'il s'agit d'une approche maladroite, préconisant une méthode alternative pour arriver au même but.

Le rôle vital des réseaux sociaux

Le blocage des actualités par Meta est important car il touche à la fois Facebook et Instagram.

Bien que Meta ait affirmé que "les utilisateurs ne viennent pas chez nous pour l’actualité", il ne fait aucun doute que les réseaux sociaux sont un outil indispensable pour de nombreuses personnes qui souhaitent rester informées des événements en cours et partager des nouvelles avec leurs amis et leur famille, en particulier en cas d'urgence.

Des études ont montré que les médias sociaux sont essentiels pour diffuser des informations cruciales au public lors de situations de crise. L’embargo médiatique en cours au Canada a compliqué ces partages.

Même si l'état d'urgence a été déclaré dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique, Meta n'a pas modifié sa politique.

Les nouvelles et les mises à jour majeures sont toujours accessibles sur les sites web des éditeurs de presse. Par exemple, le site web de Cabin Radio, basé dans les Territoires du Nord-Ouest, reste une source d'information fiable et fréquemment mise à jour pour les citoyens, même s'il est bloqué sur Facebook et Instagram.

 

People in a long lineup with luggage in a parking lot.

A Yellowknife, des personnes sans véhicule font la queue pour pouvoir embarquer sur un vol pour Calgary , le 17 août 2023.THE CANADIAN PRESS/Bill Braden

La radio en clair

D'autres citoyens ont eu recours à des captures d'écran d'articles de presse qu'ils ont ensuite partagées avec leurs réseaux sociaux sur les plateformes détenues par Meta.

Dans des cas de figure plus extrêmes, comme lorsque des incendies perturbent le fonctionnement d’infrastructures essentielles, dont les télécommunications, l'accès à Internet est compromis dans de nombreuses communautés (sauf peut-être pour celles qui disposent de services par satellite). Cela met en avant la précarité de systèmes de communication dépendant d'Internet durant des situations d'urgence.

Dans le domaine de l'ingénierie et de la préparation aux catastrophes, le terme "point de défaillance unique" décrit des situations dans lesquelles un système entier cesse de fonctionner en raison de la défaillance d'un seul composant. Le fait de se fier exclusivement aux réseaux sociaux ou à Internet nous expose à une sorte de point de défaillance unique dans notre système de communication d'urgence.

De fait, les articles sur l’embargo médiatique mis en place par Meta peuvent amener les gens à penser à tort que les réseaux sociaux sont la seule source d'information sur la situation actuelle des incendies de forêt dans les Territoires du Nord-Ouest et à Kelowna.

Ce n'est pas le cas. Nous ne devons pas négliger l'importance de la radio "en clair" dans la diffusion d'informations fiables et dignes de confiance.

 

Cranes feed on a beach in a hazy smoke.
Des fumées épaisses venant de feux de forêts environnants recouvrent le ciel alors que des grues du Canada se nourrissent face à des maisons flottantes. Yellowknife, 15 août 2023. THE CANADIAN PRESS/Angela Gzowski

La diversité des sources d’information

La radiodiffusion a tenu bon, garantissant que les informations essentielles parviennent aux citoyens.

Dans les situations d'urgence en particulier, la radio "en clair" est une source fiable et facilement accessible d'informations en direct, notamment lorsque les réseaux Internet et téléphoniques sont défaillants, que les gens sont en train d’être évacués et passent d’un centre urbain à un autre par des zones où il n'y a pas forcément Internet.

Il ne s'agit pas de choisir entre l'un ou l'autre, mais plutôt de s'assurer que nous ne sous-estimons pas la pertinence durable de la radio en clair en tant que forme de "redondance complémentaire". Ce concept souligne l'importance de s'appuyer sur un mélange de systèmes très fiables tels que la radiodiffusion, combinés à Internet et aux médias sociaux.

Les deux systèmes peuvent fonctionner main dans la main. Internet et les réseaux sociaux peuvent être un peu moins fiables pendant une crise, mais ils peuvent néanmoins être exceptionnellement efficaces pour partager une grande variété de contenus médiatiques, comme des cartes, et favoriser les échanges interactifs d'information. Cela inclut les mises à jour générées par les utilisateurs lorsqu'il n'y a pas de journalistes ou de médias locaux sur place.

Un médium très fiable

À l'avenir, nous ne devons pas laisser notre dépendance aux réseaux sociaux éclipser l'importance continue de la radio en tant que source d'information rentable et très fiable.

La radio AM, en particulier, continue de jouer un rôle important pour les agriculteurs et autres personnes vivant dans des régions reculées pour les informations sur les marchés et la météo, ainsi que pour les actualités liées aux situations d'urgence.

La décision récente de plusieurs constructeurs automobiles d'éliminer progressivement la radio AM des voitures inquiète certains législateurs aux États-Unis. En conséquence, un nouveau projet de loi bipartisan visant à garantir que la radio AM reste une fonctionnalité standard dans toutes les nouvelles voitures a été proposé.

Nous nous appuyons aujourd’hui fortement sur les réseaux sociaux comme source d'informations vitales en cas d'urgence.

Mais le maintien de l'interdiction des informations par Meta au Canada pendant les incendies de forêt dans les Territoires du Nord-Ouest et en Colombie-Britannique nous rappelle l’importance durable de la radiodiffusion, même à l'ère numérique.


Gordon A. Gow, Professeur, Département de sociologie/médias et technologie, Université d’Alberta

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original.

Photo de Malachi Brooks sur Unsplash.