Les médias s'intéressent de plus en plus au changement climatique sous l'angle des solutions. Il ne s'agit pas de raconter des histoires positives sur l'environnement. Ce modèle utilise des techniques d'investigation et des données qui reposent sur un reportage scrupuleux, afin d'identifier les politiques et les pratiques permettant d'atténuer la crise.
"Les reportages sur les solutions recherchent les réponses qui fonctionnent et mettent en lumière les endroits où l'on peut vérifier que les choses se passent bien", déclare Matthew Kauffman, responsable de projets sur les données pour le Solutions Journalism Network (SJN). Il note dans un blog du SJN : "Lorsque les organes d'information posent la question : "Qui fait mieux ?" et y répondent, ils aident leur public à voir et à explorer les possibilités de changement".
Comment ce concept se traduit-il aujourd’hui dans les rédactions ?
Un tournant
Les Nations unies décrivent la crise climatique comme "la plus grande menace à laquelle l'homme moderne ait jamais été confronté". Les archives montrent que la dernière décennie a été la plus chaude de l'histoire de l'humanité ; les incendies de forêt, les inondations et les sécheresses sont devenus la nouvelle norme. Cette situation pose un problème aux journalistes.
"Nous devons combler l'écart important entre ce que le public pourrait attendre de la couverture du changement climatique s'il s'engageait davantage dans ce domaine et ce que les fournisseurs d'informations couvrent", note un rapport de World Association of News Publishers (l'Association mondiale des éditeurs de médias d'information). Ce rapport pose la question suivante : "Les journalistes pourraient-ils, par inadvertance, contribuer à l'inaction en matière de climat ?
Au cours des 20 dernières années, Maxwell Boykoff, universitaire de renom, a étudié la manière dont les médias couvrent le changement climatique. Il a pu constater que le public se désintéressait de la question.
"J'ai déjà écrit sur la façon dont les chercheurs ont constaté que les reportages alarmistes sensibilisent les gens, mais qu'ils pouvaient aussi les paralyser et les empêcher de passer à l'action. Cela peut être accablant", déclare M. Boykoff, qui dirige le Media and Climate Change Observatory (l'Observatoire des médias et du changement climatique) à l'université du Colorado.
L'observatoire surveille 131 sources de journaux, de radio et de télévision dans 59 pays de sept régions du monde pour mesurer les tendances de la couverture du changement climatique.
Solutions et données font équipe
M. Kauffman, du SJN, a décrit trois approches sur la façon dont les données interagissent avec le journalisme de solutions, avec des liens vers des articles sur le climat qui sortent du moule des reportages catastrophistes. Ses trois approches :
- Les données comme preuves empiriques. "Community Ownership Might Be the Best Way to Fight Deforestation" (La propriété communautaire pourrait être le meilleur moyen de lutter contre la déforestation), publié par Reasons to be Cheerful, un site lancé par David Byrne des Talking Heads. Les données montrent que le fait de confier la gestion des forêts à des résidents pourrait entraîner une baisse des taux de déforestation.
- Des données en guise de piste pour un éventuel article sur les solutions. "How Bangladesh is beating the odds on climate disaster deaths" (Comment le Bangladesh déjoue les pronostics en matière de décès dus aux catastrophes climatiques), publié par The New Humanitarian. Les journalistes ont identifié les pays vulnérables qui ont fait des progrès dans la protection de leurs habitants contre les catastrophes naturelles. À partir des données de l'indice Risk INFORM et de l'indice Global Climate Risk, ils ont constaté que le Bangladesh était une exception. Un rédacteur a étudié les politiques et les pratiques qui ont permis de sauver des vies dans ce pays.
- Les données, une ressource pour les solutions communautaires. Le rapport "Tribes Use Western and Indigenous Science to Prepare for Climate Change" (Les tribus utilisent la science occidentale et autochtone pour se préparer au changement climatique) met en lumière un outil de données développé à l'université de Washington qui prévoit comment les événements climatiques affecteront l'agriculture et la pêche, permettant ainsi aux communautés autochtones d'anticiper les changements et de s'y adapter.
Poser les bonnes questions est un élément important de l'équation. Le réseau Earth Journalism Network (EJN) suggère de commencer par un exemple local d'action sur le changement climatique et de le relier à une tendance ou à un problème plus large.
Parmi les questions clés, l’EJN suggère :
- D'où vient cette idée ?
- Quelles sont les preuves de l'efficacité des solutions ?
- Que disent les chercheurs ?
- Que montrent les chiffres ?
- Qui sont les détracteurs et que disent-ils ?
- Quels sont les paramètres à prendre en compte pour mesurer le succès ?
- Ce qui se passe dans un endroit avec des solutions est-il un modèle pour un autre endroit ?
D’autres exemples de journalisme sur les solutions climatiques :
- La section "Climate Solution" du Washington Post "raconte des histoires d'innovateurs et d'innovations à travers toutes les formes de journalisme que nous connaissons, des récits riches aux images saisissantes". En voici un exemple : “Why companies are racing to build the world’s biggest bug farms.” (Pourquoi les entreprises se lancent dans la course à la construction des plus grandes fermes d'insectes du monde)
- Le rapport spécial de The Guardian, intitulé Reasons to be hopeful: The climate solutions available now” (Raisons d’espérer : Les solutions climatiques disponibles aujourd'hui), présente les mesures prises par des secteurs clés, tels que la déforestation, l'agriculture et l'industrie manufacturière, pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Ce reportage fait partie de “Covering Climate Now”, une collaboration mondiale sur la couverture du climat.
- En octobre, NPR a organisé la "Semaine des solutions climatiques", mettant en lumière des histoires et des conversations sur la recherche de réponses. Un article intitulé “Individual actions you can take to address climate change.” (Les actions individuelles que vous pouvez entreprendre pour lutter contre le changement climatique) figurait parmi les sujets abordés.
De tels articles peuvent faire la différence. Une étude de l'université du Maryland a montré que les consommateurs d'informations exposés à des solutions se sentaient mieux à même d'influencer la politique en matière de changement climatique et de soutenir les actions visant à y remédier. Le fait de se concentrer uniquement sur les aspects négatifs du changement climatique donne la fausse impression qu'il n'y a rien à faire pour y remédier, selon le rapport.
Autres ressources
- Covering Climate Now : Climate Solutions Reporting Guide (Guide pour les reportages sur les solutions climatiques) énumère des catégories d'histoires à couvrir et des questions pour lancer des entretiens sur une variété de sujets. Il s'agit d'un excellent outil pour l'apprentissage autonome ou le développement du personnel.
- Solutions Journalism Network : Des exemples, des conseils, des lignes directrices et un outil de suivi pour les reportages sur les solutions. Ces ressources peuvent aider les journalistes à développer de nouvelles compétences en matière de reportage sur les solutions.
- Oxford Climate Journalism Network : Programme de l'Institut Reuters pour l'étude du journalisme, le réseau comprend une base de données sur le climat dans le Sud mondial, composée d'experts d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et du Pacifique.
- Project Drawdown : Il met l'accent sur des solutions et des stratégies fondées sur la science, en passant du "catastrophisme" à "la possibilité et l'opportunité". Il donne également des conseils sur la manière de donner la parole aux "héros climatiques sous-représentés" par le biais de la narration.
- Earth Journalism Network : Sa ressource, "Reporting on climate change through a solutions lens" (Couvrir le changement climatique sous l'angle des solutions), présente les choses à faire et à ne pas faire pour les journalistes spécialisés dans le climat. En voici un échantillon : Utilisez des données ! Il ne faut pas promouvoir les solutions miracles ou les solutions toutes faites et éviter les faux équilibres.
Cet article a été adapté d'un article publié à l'origine sur DataJournalism.com. Il a été édité et republié sur IJNet avec l'autorisation de l'auteur.
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