Lorsque la commission électorale nigériane annonce en février que Bola Ahmed Tinibu, du parti au pouvoir All Progressive Congress, a remporté l'élection présidentielle, Wale Adekola, qui vote alors pour la première fois, pense que l'annonce est erronée. Il est convaincu que le décompte final a été manipulé, car il ne correspond pas aux résultats partagés par des personnalités populaires qu'il suit sur les réseaux sociaux.
M. Adekola est sûr que son candidat préféré, Peter Obi, l'outsider surprise de nombreux sondages pré-scrutin, a remporté l'élection. "Plusieurs vidéos ont été diffusées sur les réseaux sociaux. J'ai vu un grand nombre de photos de bulletins de vote remplis qui indiquaient que le parti travailliste [ndlr: le parti de M. Obi] était le vainqueur de l'élection présidentielle", raconte-t-il.
Bien que la méfiance à l'égard des résultats officiels des élections ne soit pas une tendance nouvelle dans la vie politique nigériane, nombreux sont ceux qui, comme M. Adekola, pensent que les dernières élections manquaient de crédibilité. Ces convictions ont été alimentées à la fois par des rapports fiables sur des irrégularités électorales pendant le processus de vote, et par la désinformation qui s'est répandue pendant l'élection.
Prenons par exemple les allégations de fraude électorale massive que les équipes de campagne présidentielle ont utilisées pour semer le doute sur les résultats. En janvier, un rapport de la BBC a révélé que des acteurs politiques avaient secrètement payé des influenceurs jusqu'à 20 millions de nairas (43 000 dollars US) pour faire circuler des informations erronées sur la fraude pendant les élections.
"Nous avons recensé une série de fausses nouvelles destinées à influencer le vote des électeurs dans tout le pays [pendant les élections présidentielles]", rapporte FactCheck Elections.
Dans une lettre ouverte publiée l'année dernière, la Coalition des vérificateurs de faits nigérians a exhorté les hommes politiques à ne pas diffuser de fausses informations avant les élections. Malgré cet avertissement, la désinformation entourant le scrutin n’a cessé jusqu'au jour de l'élection.
"Les pourvoyeurs de fake news sont sans relâche dans leurs efforts malveillants pour présenter la Commission [électorale] sous un mauvais jour", déclare Olusegun Agbaje, le commissaire résident de la Commission électorale nationale indépendante, lors d'une conférence de presse à Lagos avant le jour du scrutin.
De nouveaux schémas
Selon le rapport de FactCheck Elections, des personnalités populaires ont également colporté de fausses informations pendant les élections.
Par exemple, Rinu Oduala, une activiste nigériane connue, a partagé une vidéo sur Twitter pendant le dépouillement des résultats des élections, disant que "les résultats sont manipulés au centre d'Apapa Lagos". L'équipe de FactCheck Elections a analysé la vidéo et a déterminé que ces accusations étaient fausses.
"Par rapport à 2019, nous avons constaté une augmentation de [la diffusion de] fausses informations, en particulier sur les réseaux sociaux pendant les élections présidentielles", indique Kemi Busari, rédacteur en chef de Dubawa, une organisation de vérification des faits. Par ailleurs, il a noté que de fausses affirmations circulaient en ligne, notamment sur le retrait des candidats, ou via des photos et des vidéos d'élections passées.
Ce problème n'est pas propre au Nigeria. La désinformation a contribué à l'insurrection du 6 janvier qui a suivi les élections présidentielles américaines de 2020, et au Brésil, les fausses informations concernant les élections ont proliféré, en particulier sur WhatsApp, et ont influencé une tentative de coup d'État au début de cette année. En Inde, la diffusion de mensonges a conduit à des violences contre les Indiens musulmans.
Lutter contre la désinformation
En vertu de la loi sur la cybercriminalité de 2015 du Nigeria, la diffusion de fausses informations est un délit passible d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans et d'une amende d'environ sept millions de nairas (15 000 dollars US), voire des deux.
Bien que des experts tels que Olasupo Abideen, le directeur des opérations de FactCheck Elections, soulignent l’importance de cette loi, ils ne sont pas convaincus que le gouvernement soit réellement intéressé par la lutte contre la diffusion de la désinformation. Après tout, les fonctionnaires eux-mêmes ont été accusés de diffuser de fausses informations.
"Il n'y a pas eu de véritable punition pour les diffuseurs [de désinformation]", explique M. Abideen. "Il est même parfois regrettable que les responsables des pages gouvernementales sur les réseaux sociaux diffusent également des fausses nouvelles. Avec leurs petits moyens, ils essaient, mais ils pourraient faire mieux en punissant les contrevenants.”
FactCheck Elections prépare donc des infographies montrant les personnalités qui ont colporté de fausses informations pendant les élections.
"Il s'agit généralement d'un sentiment d'impunité. [Les personnes] qui diffusent de la désinformation s'en moquent. Ils savent qu'ils peuvent partager ces fausses informations, les utiliser pour influencer les décisions électorales et cela sans conséquences", explique M. Abideen. "C'est un grand défi pour nous en tant que fact-checkeurs. Notre action se limite à vérifier les faits pour fournir aux gens des informations exactes. Nous n'avons pas le pouvoir d'intenter des poursuites.”
M. Busari souhaite que les réseaux sociaux, en particulier les applications populaires telles que WhatsApp et Facebook, s’engagent davantage pour contrôler la diffusion de fausses informations. "Ils doivent être plus stricts avec leurs plateformes. Certaines personnes préconisent également que le gouvernement en fasse plus en termes de poursuite des colporteurs de fausses nouvelles, même si cela peut mener à une sorte de suppression du droit à la liberté d'expression", dit-il.
Par ailleurs, le projet de vérification des faits Dubawa a récemment lancé un service communautaire de vérification et de vérification des faits avec l'International Fact-Checking Network et Meta. Le projet vise à "assurer un écosystème d'information sain, à sauvegarder la démocratie et à promouvoir la responsabilité des citoyens", selon le communiqué de presse.
Le projet devrait également s'attaquer au problème central de l'accessibilité des rapports de vérification des faits, en particulier au sein des communautés non anglophones d'Afrique de l'Ouest, du Nigéria, du Ghana et de la Sierra Leone. Il est prévu d'utiliser WhatsApp pour diffuser des traductions de fact-checks en anglais dans des langues locales telles que le haoussa, l'igbo, le twi et le krio.
Photo de Glen Carrie sur Unsplash.