Complexes, parfois même sensibles, les migrations sont à la confluence des questions politiques, géopolitiques, sociales, économiques, culturelles, démographiques, etc. Les migrations suscitent de nombreux débats depuis de longues années. Toutefois, dans les médias, les couvertures et les débats sur le phénomène portent très souvent sur les drames des mouvements migratoires, les migrations sud-nord, parfois la fuite des cerveaux.
Pourtant, le sujet ne manque pas d’angles originaux et pertinents. Mais comment détecter le bon sujet sur les questions de migrations ? Où et comment aller collecter la bonne information ? Où la publier ?
Autant de questions sur lesquelles la journaliste algérienne, Faten Hayed, a partagé son expérience. C'était lors du 83e webinaire du Forum Pamela Howard du Centre international pour les journalistes (ICFJ) sur le reportage des crises mondiales.
Faten Hayed, consultante et formatrice, travaille avec de nombreuses rédactions algériennes depuis 2006. Elle s’intéresse à des sujets variés tels que les conflits armés dans le Sahel, la paix et la sécurité, le djihadisme, la radicalisation, les enfants soldats, la guerre au Mali, les migrations et les réfugiés.
De l’importance de parler des migrations
Les questions de migrations sont faiblement couvertes par les médias, voire couvertes de façon quasi-inexistante dans certains pays. Faten Hayed trouve que les publications sur le sujet souffrent souvent de manque de qualité car il y a une réelle difficulté d’accès à l’information.
Dès lors, Faten Hayed explique que s’intéresser à ces sujets peut être très valorisant pour un journaliste. Parce que cela l’invite à aller au fond des choses, à s’engager dans l’investigation, le reportage et les enquêtes. Des genres rédactionnels qui poussent obligatoirement le journaliste à aller vers des experts, des chercheurs, des populations, les vrais acteurs de chaque question traitée.
Par ailleurs, la journaliste formatrice estime que traiter ces questions permet aussi de contribuer à planter les graines du civisme dans les régions qui ont connu des violences, des atrocités par rapport aux migrants, de sensibiliser les religieux qui ont souvent tendance à suivre les politiques sur ces questions.
Aller vers la bonne information
La bonne information est le baromètre essentiel pour jauger la qualité de la production journalistique. Pour l’obtenir, Faten Hayed ne voit pas mille chemins : il faut de l’organisation et aller sur le terrain, au contact des populations migrantes. Voici ses conseils :
- Créer un lien de confiance avec les associations (Association italienne de sauvetage, par exemple) et organisations non gouvernementales (ONG) qui travaillent sur la question (HCR, OIM, PNUD, Amnesty International, …),
- Se rapprocher du corps médical, des universitaires, chercheurs, avocats qui soutiennent les migrants, les institutions diplomatiques, etc.
- Être en contact avec des personnes leaders au sein des communautés pour avoir des informations sur les personnes en temps réel dans les pays d’accueil ou de transit,
- Suivre sur les réseaux sociaux des journalistes spécialisés sur la question.
Quelle attitude avoir pour couvrir les migrations ?
Le journaliste doit aborder ces questions sous l’angle des droits des migrants, en tant qu’humains, à une meilleure éducation, à une meilleure santé, à la sécurité et à des conditions de vie décentes. Se départir de tous les préjugés défavorables aux migrants et ne jamais perdre de vue que ces personnes ne pas sont là par gaieté de cœur.
En plus de ces considérations, la journaliste consultante conseille à ses confrères et consœurs d’adopter une attitude responsable par rapport à leur propre sécurité. Elle leur conseille de se munir d’un ordre de mission, de prévenir leur rédaction, leurs contacts sur leur déplacement sans entrer dans les détails du reportage et de l’enquête et peut-être même d'avoir le numéro d’un avocat.
De même, il est important de comprendre que les migrants peuvent être très méfiants, car dans les pays d’accueil ou sein de leurs propres communautés, des gens profitent souvent de leur situation. Ce sont des interlocuteurs qu’il faut mettre en confiance, en s’appuyant sur des intermédiaires (personnes-contact, ONG et associations).
Comment parler aux populations migrantes ?
Ces personnes ont vécu des atrocités et vivent dans des conditions difficiles. De son expérience, Faten Hayed retient qu’il faut éviter des questions dont les réponses obligent à raconter les drames, leur parcours. Elle conseille par exemple de se faire accompagner par une femme pour parler aux femmes migrantes. Ces dernières sont au cœur même des déplacements.
Convaincre sa rédaction de travailler sur les migrations
En dehors de leurs aspects dramatiques, les sujets sur les migrations ne sont pas souvent "vendables" dans les médias. Alors comment convaincre sa rédaction à vous laisser travailler sur ces questions ? Faten Hayed prodigue quelques conseils :
- Profiter des périodes où l’actualité est moins fournie,
- Proposer des angles originaux ; par exemple parler de ce que font les femmes migrantes dans les pays d’accueil ou de transit, leur apport à l’économie,
- Créer du contenu, même dans des formats magazines, pour parler de ces questions sensibles, délicates mais de manière positive.
Photo Jacob Campbell via Unsplash, sous licence CC