Cet article fait partie de notre série dédiée au travail de reportage sur le COVID-19. Pour accéder à d'autres ressources, cliquez ici.
S'il fallait trouver un côté positif à la pandémie de COVID-19, c'est qu'elle a rappelé aux Tunisiens les difficultés que rencontrent les réfugiés et demandeurs d'asile dans leur pays.
La majeure partie des réfugiés et demandeurs d'asiles en Tunisie viennent d'Afrique subsaharienne, de Syrie et de Libye. Beaucoup sont en chemin vers l'Europe et fuient les conflits armés en cours dans leur pays d'origine. Leurs histoires sont peu rapportées dans les médias.
Suite à l'arrivée de la pandémie en Tunisie début mars, leur souffrance a enfin fait la une. Cette couverture médiatique était critique au début de la crise puis s'est transformée en éloges du gouvernement et des initiatives de la société civile.
Alors que le chaos régnait durant les premières semaines de la pandémie, certains médias ont critiqué la réaction tardive des pouvoirs publics face aux nombreux réfugiés et demandeurs d'asile, principalement des étudiants, en besoin urgent de nourriture et de médicaments.
Selon l'Organisation internationale pour les migrations, 53 % des migrants actifs en Tunisie ont perdu leur emploi durant le confinement. Durant cette période, plus de 7 000 migrants ont reçu une aide sociale.
Aujourd'hui, plusieurs grandes tendances se distinguent dans la couverture médiatique tunisienne sur le sujet de la migration :
- Une couverture d'actualité factuelle, composée notamment de rapports de migrations empêchées (perçues comme les "success stories" de la police) et d'articles sur des incidents malheureux comme des naufrages ou des vies perdues.
- Des reportages superficiels, aux informations insuffisantes, qui visent à mettre la faute de la crise migratoire sur le dos du gouvernement tunisien ou d'autres pays méditerranéens.
- Les analyses des racines de la migration et son histoire. Celles-ci comportent souvent des critiques des politiques de développement menées par la Tunisie et des politiques européennes sur la migration clandestine et l'intégration.
- Du journalisme d'investigation, souvent limité, qui s'intéresse principalement aux Tunisiens portés disparus lors de leur périple vers l'Europe.
Ce que les médias tunisiens réussissent particulièrement bien
Des angles originaux
Les journalistes en Tunisie se servent de plusieurs approches innovantes pour traiter la migration comme le storytelling, les profils et les articles, centrés autour d'un personnage. Ces approches permettent d'éclairer les facteurs socio-économiques derrière ce phénomène.
Un phénomène international
Les médias tunisiens ont reconnu le fait que la migration soit un phénomène international, non spécifique à la Tunisie. Avec différents niveaux d'efficacité, les médias tunisiens traitent donc des sujets sensibles comme les réseaux internationaux de traite humaine et les liens entre migration et terrorisme.
Les limites de leurs reportages
L'usage de la bonne terminologie
Les journalistes tunisiens ont du mal à s'approprier la terminologie de la migration. Alors que de nombreux titres internationaux aujourd'hui préfèrent le terme "migration irrégulière" plutôt que "migration illégale", par exemple, de nombreux reporters en Tunisie continuent de se servir de vocabulaire et de concepts obsolètes.
Par exemple, il est commun de lire des phrases comme celle-ci : “un groupe de réfugiés a atteint le port de Zarzis après une opération de sauvetage de leur bateau menée par les garde-côtes.” Cependant, selon la terminologie internationale, approuvée par l'ONU, le terme “réfugié” est réservé aux personnes ayant reçu ce statut de manière officielle. Des formations proposées par l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ont aidé à améliorer la situation.
Une information unilatérale
Les médias tunisiens n'arrivent pas encore à donner une vision complète des problématiques qui poussent les populations à demander l'asile dans d'autres pays. Dans de nombreux cas, les journalistes s'appuient trop sur les rapports de police et leurs témoins, par exemple. Cette approche donne lieu à une image injustement négative des réfugiés et des demandeurs d'asile qui, en réalité, souffrent de pauvreté, subissent chômage et injustice. Les réfugiés et demandeurs d'asile peuvent aussi vouloir partager leur histoire de manière anonyme pour éviter qu'on ne les identifie.
Des risques romancés
Les journalistes tunisiens ont tendance à romancer les risques que prennent les jeunes migrants pour gagner l'Europe au lieu de recentrer le récit sur les dangers de la traversée de la Méditerranée ou de la détention une fois en Europe. Ils désignent parfois les réfugiés et demandeurs d'asile comme des "héros" surpassant des obstacles pour obtenir une vie meilleure. Ils le font sans donner l'analyse complète des dangers potentiels qui les attendent en Europe s'ils y arrivent. Les journaux tunisiens sont remplis d'articles racontant l'histoire de personnes ayant tenté de traverser la Méditerranée à plusieurs reprises, par exemple.
Lois sur l'asile et la migration
Les médias tunisiens n'informent pas assez leurs lecteurs des lois internationales et nationales sur la migration et l'asile et des activités illicites qui les minent. Que cela vienne d'inquiétudes pour leur propre sécurité ou d'un manque de volonté de leurs rédactions de publier ces informations, les journalistes du pays font peu d'efforts pour produire des reportages sur les groupes qui profitent du marché de la migration, par exemple.
Conseils
Quelles que soient les crises, comme celle liée au COVID-19 aujourd'hui par exemple, les organes de presse en Tunisie doivent faire leur possible pour rendre leur couverture des problématiques liées aux réfugiés et demandeurs d'asile plus fiable et plus régulière.
Récits rendus invisibles
Une attention particulière doit être donnée aux récits qu'on n'entend peu ou pas. Les médias tunisiens devraient informer les lecteurs à travers des histoires concrètes de réfugiés et demandeurs d'asile vivant sur place. Encore trop souvent aujourd'hui, cette approche reste l'apanage des médias internationaux couvrant ces sujets en Tunisie.
Couverture constante
Les reportages sur les migrants, réfugiés et demandeurs d'asile devraient avoir une place régulière dans le paysage médiatique tunisien. Ceci préviendra les reportages sporadiques produits uniquement en réaction à des incidents individuels comme on le voit encore aujourd'hui.
*NB : Le Premier ministre tunisien Elyes Fakhfakh a annoncé que le pays rouvrirait ses frontières le samedi 27 juin 2020.
Image principale sous licence CC par Unsplash via Adrian Dascal.