Cette plateforme s’attaque aux agressions contre les journalistes en Afrique

9 févr 2022 dans Liberté de la presse
Un globe terrestre

En octobre 2020, Pelumi Onifade effectuait un reportage sur le pillage de matériel contre le COVID-19 dans un entrepôt de Lagos, au Nigeria, lorsqu'il a été abattu par une balle dans le dos ; la police serait en cause. Alors qu’il était incapable de bouger, les policiers ont emmené M. Onifade, 20 ans, dans leur fourgon. Une semaine plus tard, son corps a été retrouvé dans une morgue après que sa famille et son employeur l'ont déclaré disparu.

Le cas de M. Onifade n'est pas isolé. Les attaques contre les journalistes au Nigeria et ailleurs en Afrique sont en augmentation. Les travailleurs des médias sont de plus en plus souvent arrêtés, harcelés et tués dans l'exercice de leur métier. La pandémie de COVID-19 a exacerbé le problème, car les gouvernements ont tenté de censurer les reportages critiques. Selon le Committee to Protect Journalists, "la pandémie de COVID-19 et ‘l'infodémie’ qui l’accompagne ont aggravé bon nombre de problèmes et mis en évidence l'importance d'un journalisme indépendant et factuel, ainsi que la répression exercée par les gouvernements qui n'aiment pas les enquêtes critiques."

Les auteurs de ces attaques sont rarement poursuivis ou tenus pour responsables. Les familles des victimes cherchent donc à obtenir justice dans un système qui, souvent, encourage ces crimes.

La situation pourrait toutefois changer. L'année dernière, l'Union africaine, en partenariat avec l'UNESCO et d'autres organisations de défense de la liberté de la presse et des médias, a lancé une plateforme numérique pour répertorier les attaques contre les journalistes, aider à les protéger et demander justice contre les auteurs de ces attaques.

La Plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes en Afrique a quatre objectifs clefs : promouvoir les partenariats, la prévention, la protection et la poursuite en justice des auteurs de crimes contre les journalistes sur le continent. Selon les porteurs de l'initiative, ces objectifs seront atteints grâce à "une documentation en temps réel, des rapports et des actions de suivi de la part des détenteurs de devoirs et de droits."

"Notre marche vers la réalisation des aspirations de l’Agenda 2063, de l'Afrique que nous voulons, exige que nous entretenions et protégions des médias libres et indépendants", a déclaré le président sud-africain et président de l'Union africaine Cyril Ramaphosa lors du lancement du projet, en référence au cadre stratégique de l'Afrique visant à "transformer" le continent pour l'avenir. "[Cette initiative] exige que nous défendions vigoureusement le droit des journalistes à faire leur travail, à écrire, à publier et aussi à diffuser ce qu'ils veulent, même si nous ne sommes pas d'accord avec tout ou partie de ce qu'ils disent."

Notant le rôle important joué par les médias en Afrique, M. Ramaphosa a ajouté que la plateforme contribuera à "sensibiliser davantage à l'importance de la liberté de la presse et de la sécurité des journalistes."

"Une plateforme qui facilite la documentation formelle des attaques contre les journalistes et qui sert de moyen d'échange d'informations sur la sécurité des journalistes est très importante pour l'avancement de la liberté de la presse sur le continent", affirme Lanre Arogundade, directeur exécutif de l’International Press Council, une organisation basée au Nigeria qui défend la protection des journalistes en Afrique depuis plus de 10 ans.

M. Arogundade ajoute que la plateforme facilitera la mise en réseau des journalistes et favorisera la mise en œuvre rapide d'actions de solidarité, notamment des campagnes et des actions de plaidoyer lorsque des journalistes sont attaqués.

La plateforme permettra de créer une base de données complète des journalistes du continent, avec leurs noms et les médias auxquels ils sont affiliés, explique le défenseur de la liberté de la presse Chido Onumah.

"Si quelque chose se produit, si un journaliste est porté disparu ou ne se présente pas au travail, il sera facile de le référencer et de le suivre", dit-il. M. Onumah est également le coordinateur de l’African Centre for Media and Information Literacy.

Si la plateforme devrait arranger la situation des journalistes, M. Arogundade souligne que des améliorations structurelles doivent également être apportées. "Il sera peut-être difficile de mettre complètement fin à ces attaques contre les journalistes, mais les cas seront considérablement réduits si les auteurs sont traduits en justice. Les cadres qui protègent les journalistes doivent être renforcés", affirme-t-il.

M. Onumah ajoute que l'Union africaine devrait adopter une législation qui appuierait la plateforme. "Nous devons nous assurer qu'il existe des lois adéquates qui punissent les auteurs afin que les gens soient tenus pour responsables. Si la loi qui protège les journalistes est enfreinte et lorsque des crimes sont commis contre des journalistes, les individus impliqués ne devraient pas pouvoir s’en sortir comme ça."


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