La montée de la désinformation en Afrique a eu de nombreuses conséquences, dont les conflits et la violence et une méfiance envers les systèmes de santé.
En 2022, par exemple, un certain nombre de fausses informations ont été diffusées sur les crises des agriculteurs et des éleveurs au Nigeria. Bien que les racines de ce conflit remontent au XIXe siècle, la désinformation continue d'aggraver le problème aujourd'hui, entraînant davantage de violences.
Au Kenya, les informations fausses ou trompeuses ont influencé l'opinion des citoyens sur le processus démocratique lors de l'élection présidentielle de 2017. Une vidéo diffusée en ligne, indiquant que le président de l'époque, Uhuru Kenyatta, allait remporter les prochaines élections, a été créée pour ressembler à un extrait du programme Focus on Africa de la BBC. En Côte d'Ivoire, la désinformation a contribué aux violences post-électorales de 2020, au cours desquelles plus de 50 personnes ont été tuées.
La diffusion de fausses informations continuant d’alimenter ces crises, la lutte contre ce phénomène est devenue une priorité pour les journalistes à travers l'Afrique. Une nouvelle génération de femmes journalistes et fact-checkeuses travaille assidûment à la normalisation de la vérification des faits.
Identifier la désinformation politique
Déterminées à lutter contre la propagation de la désinformation politique, les fact-checkeuses africaines utilisent plusieurs méthodes pour vérifier les informations dans leurs pays respectifs.
Au Nigeria, Oluwapelumi Olajiga, vérificatrice de faits chez Roundcheck, se concentre sur l'identification des canulars publiés sur les réseaux sociaux. Dans un dossier, elle a enquêté sur un lien posté sur WhatsApp qui affirmait à tort que la Commission nationale sur la population (NPC) du Nigéria avait lancé un portail de recrutement avant le recensement national de 2022-2023. Il était nécessaire de vérifier cette affirmation, car le site Web a été créé pour voler des informations importantes à des personnalités publiques peu méfiantes, qui n'avaient peut-être pas mis en doute sa légitimité parce qu'elles souhaitaient travailler avec la NPC pour le recensement, explique Mme Olajiga. Avec l'aide de Scam adviser et d’outils d'information sur les sites Web, la journaliste a pu confirmer que le site Web était faux.
"Les gens sont prêts à cliquer sur des liens et des reportages en alignement avec leurs besoins et leurs préjugés", dit-elle. "Leur sécurité est importante, et c'est pourquoi je consacre mon temps à faire en sorte que les gens connaissent la véritable intention derrière ces mensonges.”
Au Kenya, Linda Ngari, fact-checkeuse pour Africa Uncensored, a consacré les trois dernières années de sa carrière à identifier les fausses informations diffusées lors de rassemblements et de discours politiques. Dans le cadre de son travail, Linda Ngari vérifie les affirmations des politiciens à l'aide de données provenant du Bureau national des statistiques au Kenya et d'outils d’open source intelligence.
En avril, Mme Ngari a vérifié les faits relatifs aux affirmations formulées par Raila Odinga, candidat à la présidence et chef du parti Orange Democratic Movement, lors d'un discours prononcé à la Chatham House. Dans l'une de ses affirmations, M. Odinga a déclaré qu'après les élections de 2008 au Kenya, le taux de croissance annuel du pays était passé de 8 % à 2 %. Mme Ngrai a constaté que le taux de croissance de 8 % cité par le candidat était très exagéré.
"Il est important de couvrir les déclarations et les rassemblements politiques, car les fausses informations diffusées lors de tels événements ou entre les discours peuvent aggraver les conflits et amener les électeurs à prendre de mauvaises décisions, ce qui peut affecter et influencer l'ensemble du processus électoral", souligne-t-elle.
Lutter contre la mésinformation en santé
Dans le sillage de la propagation accrue de maladies comme Ebola et le COVID-19, la lutte contre la désinformation en matière de santé est devenue primordiale pour les journalistes en Afrique.
Motunrayo Joel, rédacteur en chef adjoint d'Africa Check au Nigeria, s'efforce depuis cinq ans de lutter contre la propagation de différentes formes de désinformation en matière de santé. En juillet, Mme Joel a sensibilisé à la maladie à virus Marburg, causée par un virus souvent mortel proche d’Ebola.
L'objectif de Mme Joel était d'informer les gens sur le mode de transmission du virus et sur les moyens de réduire le risque de contamination. "Ce qui me motive, c'est de vérifier les faits concernant une allégation sanitaire qui pourrait coûter la vie ne serait-ce qu'à une seule personne. Il y a tellement de fake news qui circulent ici et là dans le domaine de la santé. Je ne dois pas fermer les yeux dessus", affirme-t-elle.
Au plus fort de la pandémie de COVID-19, la journaliste d'investigation libérienne Bettie Johnson-Mbayo et sa collègue, Hannah Geterminah, ont lancé The Stage MEDIA, la première institution de vérification des faits au Liberia. L'un de leurs principaux rapports a levé le voile sur la fausse déclaration de décès de l'ancienne présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf suite à une maladie, qui a été largement diffusée sur les réseaux sociaux.
"Nous espérons qu'en continuant à éduquer le public aux médias, [nous les] aiderons à comprendre l'importance de vérifier les informations avant de les diffuser. Nous publions également nos articles en pidgin afin d'atteindre les publics qui ne maîtrisent pas les médias", ajoute Mme Johnson-Mbayo.
Les défis
Si la vérification des informations fait désormais partie intégrante du travail de ces femmes, elle reste une tâche difficile à accomplir en Afrique. "La vérification des faits au Zimbabwe est un grand défi. Le manque de données et d'experts est un problème. À tout cela s'ajoute le manque de ressources pour développer le fact-checking et former davantage de vérificateurs de faits", raconte Lifaqane Nare, vérificatrice de faits chez FactCheckZW.
Outre le financement minime et l'indisponibilité de nombreux experts pour aider à la vérification des faits, le sexisme dans les médias reste un obstacle majeur pour les fact-checkeuses en Afrique. "Les donateurs s'intéressent davantage aux institutions médiatiques dirigées par des hommes qu'à celles dirigées par des femmes", déplore Mme Johnson-Mbayo. Au Liberia, par exemple, "il existe de nombreux médias, et moins de 5 % sont gérés par des femmes. Nous savions qu'il s'agissait d'un écosystème en difficulté lorsque nous y sommes entrées."
Pour faire face à ces défis, les femmes chargées de la vérification des faits encouragent la collaboration pour mieux combattre la désinformation sur le continent, explique Melody Lawal, chargée de programme de l’International Press Council. "Une coalition entre les femmes de l'audiovisuel et de la presse écrite ou en ligne pour produire des programmes et des projets [liés à la vérification des informations] permettra de diffuser le fact-checking à tout le monde, quel que soit le niveau de connaissance des médias", dit-elle.
"Tous doivent être pris en compte dans les tentatives de promotion de l'éducation aux médias en Afrique, même au niveau le plus communautaire."