Ce journaliste a enquêté sur Wagner en Afrique

1 sept 2023 dans Reportage de crise
Des impacts de balles dans un murs

La mort du dirigeant du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, dans un accident d'avion entre Moscou et Saint-Pétersbourg, en Russie, mercredi, n'est que le dernier rebondissement de l'histoire récente du groupe de mercenaires, qui a fait les gros titres au début de l'année lors d'une rébellion armée en Russie.

Wagner, une société militaire privée russe, est fortement impliquée en Ukraine depuis l'invasion du pays par la Russie en 2014. Elle s'est également engagée dans des conflits en Afrique et au Moyen-Orient, où elle a été accusée d'avoir perpétré des atteintes aux droits humains au Mali et d'avoir pris part à des trafics d'or illicites au Mali et en République centrafricaine, entre autres pays. Au début de l'année, le groupe de mercenaires a été la force motrice du siège brutal de la ville de Bakhmout, dans l'est de l'Ukraine.

 

 

Après la mort de M. Prigojine, l'avenir de Wagner reste incertain. Le président russe Vladimir Poutine a ordonné aux soldats de Wagner de prêter un serment d'allégeance à l'État russe, ce qui, selon les observateurs, est le signe d'une [tentative] de placer le groupe sous un plus grand contrôle du Kremlin. Toutefois, même si le groupe est officiellement dissous ou incorporé dans l'armée russe, les experts estiment que ses activités en Afrique sont susceptibles de se poursuivre.

Le journaliste nigérian Philip Obaji Jr., un lauréat du programme de reportage Jim Hoge de l’ICFJ, a fait de nombreux reportages sur les activités du Groupe Wagner en Afrique au cours des deux dernières années. Lors d'un récent webinaire du Forum de reportage sur les crises mondiales, M. Obaji Jr. a partagé ce qu’il a appris au cours de ses reportages, suggéré des angles d'attaque pour les journalistes et discuté des risques liés à la couverture du groupe de mercenaires.

Voici ce qu'il avait à dire :

Le groupe Wagner en Afrique

Le groupe Wagner est actif en Afrique depuis au moins 2017. Le groupe s'est notamment engagé au Soudan en 2018, à un moment où le président Omar al-Bashir perdait le pouvoir. "Wagner est donc arrivé pour aider al-Bashir à reprendre le contrôle tout en exploitant les ressources en or du pays", explique M. Obaji Jr.

En avril 2023, le groupe s'est à nouveau impliqué au Soudan en fournissant des armes aux forces paramilitaires qui combattent le gouvernement. "Nous sommes au courant de l'étroite collaboration entre le groupe Wagner et Mohamed Hamdan Dagalo, le commandant des Forces de soutien rapide, [qui] se disputent le pouvoir au Soudan", raconte-t-il.

L'influence de Wagner s'étend également. M. Obaji Jr. a conseillé aux journalistes de suivre le déploiement du groupe en Afrique et d'enquêter sur ses répercussions à l’international. "Nous ne savons pas grand-chose sur la croissance du groupe, en particulier ces derniers mois. Nous sommes certains que le groupe Wagner était actif au Mozambique, au Mali, en Libye,” dit-il.

Les journalistes peuvent aider à déterminer où le groupe opère et dans quelle mesure il s'est implanté dans d'autres pays. "Nous ne savons pas dans quelle mesure le groupe Wagner est impliqué au Burkina Faso. Nous ne savons pas s'il a tenté de s'immiscer dans le gouvernement de la République du Niger, et si oui, dans quelle mesure. Nous ne savons pas combien d’atteintes aux droits humains le groupe Wagner a perpétrées en Afrique de l'Ouest", explique M. Obaji Jr.

"Nous savons beaucoup de choses sur la République centrafricaine ; nous savons que le groupe Wagner y est présent depuis 2018. Nous savons également que de nombreux mercenaires, de nombreux combattants actifs en Ukraine, ont été appelés depuis la République centrafricaine", ajoute-t-il. "Mais nous ne savons pas grand-chose sur les opérations du groupe Wagner au-delà de la République centrafricaine, et cela devrait faire l'objet d'une enquête journalistique."

Désinformation et sécurité

Les journalistes doivent être conscients des campagnes de désinformation en faveur de Wagner qui circulent actuellement dans de nombreux pays africains, souligne M. Obaji Jr. "De nombreuses campagnes de désinformation à très grande échelle se déroulent actuellement en Afrique et se développent beaucoup plus rapidement que beaucoup de gens ne peuvent l'imaginer. Nous ne connaissons pas l'ampleur de cette expansion. Nous ne savons pas qui est impliqué," affirme-t-il.

Les journalistes doivent d’abord assurer leur sécurité lorsqu'ils enquêtent sur le groupe Wagner. Le maintien de la cybersécurité est primordial, car les trolls sur Internet peuvent essayer de ternir le nom des reporters qui parlent de leurs activités.

"Les attaques les plus fréquentes que j'ai subies liées au groupe Wagner provenaient des réseaux sociaux et d'un certain nombre de trolls sur Internet. Je vois beaucoup de messages en ligne disant que je suis un agent de l’Occident utilisé pour dépeindre la Russie et [le fondateur de Wagner] Evgeny Prigojine sous un jour très défavorable. Ces comptes ne sont pas seulement faux, ils sont intentionnellement malveillants", précise-t-il.

M. Obaji Jr. a raconté comment les mercenaires de Wagner l'avaient informé qu'il était une cible en République centrafricaine. S'il était trouvé là-bas, il serait détenu ou tué, lui ont-ils dit.

"En ce moment, aller en République centrafricaine représente un risque énorme parce que je suis pris pour cible là-bas. Je ne me rendrais pas dans ce pays en sachant que je suis surveillé par le groupe Wagner", indique-t-il.

La collaboration entre journalistes

Grâce à des initiatives telles que la bourse de reportage Jim Hoge, M. Obaji Jr. a rencontré des organisations et des chercheurs qui étudient le groupe Wagner.

"La collaboration est essentielle dans le journalisme, en particulier lorsqu'il s'agit de faire des recherches sur un sujet comme celui-ci. Il faut des gens qui connaissent les origines du groupe Wagner et des gens qui savent comment les entreprises privées fonctionnent en Russie," explique-t-il.

Pour M. Obaji Jr, couvrir le groupe Wagner est important non seulement pour analyser les impacts géopolitiques du groupe, mais aussi pour savoir comment ses activités affectent les populations à travers l'Afrique. "Si j'ai décidé de faire la lumière sur le groupe Wagner, ce n'est pas pour gagner de l'argent", dit-il. "J'ai vu tant de choses sur ce groupe et j'ai entendu tant d'histoires de la part des victimes elles-mêmes. C'est ce qui me pousse à aller plus loin. Je veux aller au fond des choses.”


Photo de Pavel Neznanov sur Unsplash.