Ce collectif de reporters brésiliens milite pour un journalisme antiraciste

16 févr 2022 dans Diversité et inclusion
L'équipe du collectif, avant la pandémie

Comment construire un paysage médiatique antiraciste qui donne leur place aux voix des personnes noires ? C'est l'une des questions qui ont déclenché la création en 2019 du Collectif Lena Santos de journalistes noirs, à Belo Horizonte, au Brésil.

Du nom de Lena Santos, l'une des premières femmes noires présentatrices de journaux télévisés au Brésil – elle présentait un journal quotidien l'après-midi sur TV Globo – le but du collectif est de lutter contre le racisme et de dénoncer les attaques contre les journalistes. Il met régulièrement en avant ses membres et les initiatives visant à rendre le secteur des médias plus démocratique. Il s'efforce également de susciter un débat sur les conditions de travail des journalistes noirs, en remettant en question le manque de représentation dans les rédactions brésiliennes.

Tout a commencé lorsque les journalistes Márcia Maria Cruz et Edilene Lopes ont écrit un chapitre pour le livre “Vozes Negras em Comunicação: Mídia, racismos, resistências” (Voix noires en communication : médias, racismes et résistances). "J'ai proposé d’écrire un article sur la façon dont la présence d’un journaliste noir dans une rédaction peut influencer, changer et avoir un impact sur le reportage", raconte Mme Cruz. Elle et Mme Lopes ont créé un groupe WhatsApp afin de pouvoir interviewer des journalistes pour l'article et connaître leurs expériences personnelles. Le groupe compte aujourd'hui plus de 80 membres, issus de plusieurs organes de presse.

Le collectif s'est réuni à distance pendant la pandémie, restant en contact quotidiennement par le biais de ce groupe WhatsApp. Selon la membre Ethel Corrêa, ils réfléchissent ensemble à des idées d'articles qui sont ensuite présentées à leurs rédacteurs en chef ou transformées en contenu pour les réseaux sociaux. "En tant que collectif, nous discutons, rédigeons des articles à plusieurs mains, prenons des décisions et agissons", dit-elle.

Une couverture antiraciste

Le journaliste Bruno Torquato, un autre membre du collectif, explique qu'il y a encore trop de défis à relever en ce qui concerne le racisme dans la couverture de l’actualité.

"Je travaillais sur l’histoire d'un homme noir agressé devant un magasin d'alcool. La police militaire a prétendu qu'il avait insulté le policier, et l'article a été publiée avec le titre : ‘Homme noir agressé’", raconte M. Torquato. “Après la publication, la police m'a appelé pour me demander de supprimer le mot ‘noir’, affirmant que cela n'était pas pertinent. Nous avons réfléchi avec les rédacteurs en chef et avons décidé de le garder. Après tout, la personne qui a été agressée était noire et cela avait du sens dans ce contexte."

Il ajoute : "Nous ne devons pas avoir peur de ces mots ou de ces concepts. Il faut dire 'noir', 'racisme', 'raciste', toujours quand on se bat pour l'antiracisme."

Le manque de journalistes noirs aux postes de direction

En plus de produire une couverture non discriminante à l'égard de la communauté noire, Mme Cruz veut également faire la lumière sur le manque de reporters noirs dans les médias brésiliens. "Le collectif a pour but de réfléchir à la situation actuelle et à celle que nous pouvons atteindre à l’avenir. La première chose que nous avons identifiée est que les journalistes noirs sont encore une minorité dans les rédactions au Brésil, et qu’ils sont aussi encore une minorité aux postes de direction", affirme-t-elle.

Une étude de 2021 sur les questions raciales dans la presse brésilienne le confirme. Le rapport a interrogé 1 952 travailleurs des médias et interviewé des journalistes noirs pour mieux comprendre les problèmes raciaux dans le secteur. D'après les résultats, seuls 20 % des journalistes s'identifient comme noirs ou métis. Par ailleurs, les journalistes blancs sont mieux payés et sont dominants aux postes de direction, qu’ils occupent à 60 %. Les professionnels noirs occupent les 40 % restants.

La réalité change peu à peu. Une étude réalisée en 2021 par l'Université fédérale de Santa Catarina sur le profil des journalistes brésiliens a révélé que le nombre de professionnels noirs travaillant dans les rédactions est passé de 23 % en 2012 à 30 % en 2021. Les chercheurs attribuent cette augmentation aux progrès réalisés dans la lutte contre le racisme au cours de la dernière décennie, aux stratégies de promotion de la diversité sur le marché du travail et aux quotas établis par les politiques de discrimination positive.

Il reste toutefois encore beaucoup à faire pour que le nombre de journalistes noirs dans les médias augmente, notamment par le biais de programmes de formation, de plans de développement de carrière et postes dédiés à la promotion de la diversité, selon Mme Cruz. Les initiatives axées sur le recrutement de professionnels noirs restent controversées. Par exemple, lorsque la scénariste Déia Freitas, fondatrice du podcast Não Inviabilize, a publié une annonce pour un poste d'assistant scénariste réservé aux femmes noires, métisses et indigènes, elle a reçu des plaintes pour "racisme inversé". Mme Freitas a écrit sur son compte Twitter : "J'ai reçu des candidatures très bien rédigées de femmes transgenres noires et indigènes qui sont actuellement des travailleuses du sexe parce qu'elles n'avaient pas d'autre option ; de femmes noires titulaires d'un master qui travaillent comme femmes de ménage ; de femmes noires avec un corpus d'écrits extraordinaire qui n'ont jamais trouvé de travail."

La journaliste et membre du collectif Etiene Martins soutient les politiques de quotas et les initiatives de ce type. Elle pense que le vitriol que cette offre d'emploi a généré peut être attribué au salaire proposé. "Un salaire juste versé à une femme noire dérange les personnes racistes", souligne Mme Martins. "Il est intéressant de noter qu'il n'y a pas de tel retour de bâton lorsque des données gouvernementales officielles montrent que les femmes noires représentent la majorité de la population au chômage. Ni lorsque ces mêmes données prouvent qu'une femme noire gagne moins d'argent qu'un homme blanc, alors qu'elle est plus qualifiée et occupe le même poste que lui."

La force du collectif

En mai 2021, le collectif Lena Santos a organisé la première Conférence nationale des journalistes noirs au Brésil, à laquelle ont participé des journalistes noirs de renom comme Maju Coutinho. La conférence a permis d'échanger des expériences professionnelles, dans l'espoir d'amplifier "ce petit espace que nous occupons dans les médias brésiliens", dit Názia Pereira, journaliste et membre du collectif.

Au cours de la conférence, les participants ont discuté de questions telles que le fait que les chaînes de télévision sont les organisations médiatiques qui embauchent le moins de professionnels noirs. "La radio, la presse écrite et les réseaux sociaux offrent un peu plus d'opportunités. C'est peut-être parce que dans ces médias, le professionnel n'a pas besoin de montrer la couleur de sa peau", dit-elle.

"Les Noirs représentent la majorité de la population brésilienne. Ils ont besoin et veulent être vus et reflétés. En employant davantage de Noirs, les médias attireront également un public plus large", affirme Ethel Corrêa, ajoutant que l'embauche de professionnels noirs entraîne également une croissance des audiences et des annonceurs. "Ils ne nous donnent rien, mais ils nous ouvrent les yeux sur le marché".


Photo fournie par le Lena Santos Collective sur Instagram.

Cet article a d’abord été publié sur IJNet en portugais.