Campagne présidentielle française : l’écologie, grande absente des médias

23 mars 2022 dans Reportage environnemental
Quimiac, Mesquer, France

Moins de 3 %. C’est la place que les médias ont accordée aux enjeux climatiques dans la campagne présidentielle selon le baromètre climat lancé par différentes ONG environnementales en février. Un chiffre qui a diminué pour atteindre 1,5 % début mars, c’est-à-dire la semaine qui a suivi la publication du dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce rapport alerte pourtant sur les impacts  –parfois irréversibles– du réchauffement climatique. "Il y a une difficulté à percer le mur du son", regrette Abdoulaye Diarra, membre de notre Affaire à tous, une association qui œuvre depuis 2015 à l’instauration d’une justice climatique. 

"Aucun auteur du GIEC n’a été invité dans les JT"

En 2020 déjà, l’ONG de journalistes Reporters d’Espoirs publiait une étude sur le traitement médiatique du changement climatique. Si elle observait une augmentation au cours des 10 dernières années de "la part dédiée à l’environnement dans les segments d’information les plus visibles de grands médias", l’étude précise néanmoins que "la part des sujets qui évoquent le climat sur le périmètre étudié est de moins de 1 % en moyenne". 

Pour Paloma Moritz, journaliste responsable du pôle écologie pour le média indépendant Blast, "tout n’est pas blanc ou noir". Certains grands médias parlent effectivement du climat mais dans le même temps aucun auteur du GIEC n’a été invité dans les JT, déplore la journaliste. Selon elle, l’économie actuelle des médias ne permet pas aux journalistes de prendre le temps de traiter en profondeur de ces sujets parfois un peu complexes : "Lire le rapport du GIEC, ça prend du temps", explique-t-elle en effet.

L’urgence climatique VS la guerre en Ukraine

"On est vraiment dans un mauvais remake de Don’t Look up", s’indigne pour sa part Hélène Seingier, journaliste et co-autrice de Plastique, le grand emballement (éditions Stock) en référence à la comédie dramatique de Netflix. "C’est effarant que quelque chose comme le rapport du GIEC soit aussi peu relayé dans les médias, certes la Russie est une menace importante mais la menace climatique mériterait au moins autant d’attention", affirme-t-elle. D’autant plus, que "la guerre en Ukraine peut aussi être l’occasion de parler de dérèglement climatique, de dépendance énergétique et de transition écologique en Europe", ajoute Paloma Moritz.

Pour Chaymaa Deb rédactrice en chef de Natura Sciences, "le traitement de l’information court-termiste" est une des raisons pour laquelle les médias ne s’emparent pas assez des sujets en lien avec l’écologie : "En écologie, en quelques jours, semaines ou heures on ne voit pas grand chose changer, on ne voit pas l’urgence",  explique-t-elle. L’urgence climatique ne ferait donc pas le poids à côté de la guerre. Le problème c’est qu’"avant l’Ukraine non plus on n’en parlait pas", estime néanmoins Abdoulaye Diarra.

Former des journalistes sur la question climatique

Certains journalistes pointent également le manque de formation de la profession sur les questions climatiques. "Ce sont des questions scientifiques et les journalistes dans les médias généralistes n’y sont pas formés. En école de journalisme il n’y a pas de cours spécifiques pour apprendre à vulgariser une information scientifique. Il y a seulement certains cursus dédiés au journalisme scientifique", explique Chaymaa Deb. "Ce sont des questions complexes et on pense en silo. Or, il faut changer de logiciel et appréhender la question écologique de façon systémique", affirme ainsi Paloma Moritz.

Des propos que rejoint également la rédactrice en chef de Natura Sciences : "Les médias généralistes ont plein de sujets à traiter, donc l’écologie devient une thématique parmi d’autres, alors qu’elle devrait être transversale", explique-t-elle. Selon elle, pour palier les problématiques actuelles, il faudrait établir "une collaboration entre les médias indépendants plus experts sur ces thèmes-là et les médias généralistes qui n’ont pas le temps pour traiter ensemble de ces sujets".

Le climat, peu vendeur ? 

Pour Abdoulaye Diarra, si la question climatique est absente des débats présidentiels, c’est non seulement parce que les candidats n’en parlent pas, mais aussi parce que les journalistes n’interrogent pas les candidats sur ces sujets. Selon lui, les médias ne considèrent pas l’écologie comme un sujet vendeur parce que c’est un sujet anxiogène et compliqué. Pourtant, explique-t-il, tous les citoyens sont concernés et cela a des impacts sur leurs conditions de vie au quotidien. D’ailleurs, selon une étude Ipsos pour Le Parisien, "le dérèglement climatique est un enjeu capital pour 94 % des Français". 

Alors, pour montrer que les citoyens s’intéressent bel et bien aux enjeux climatiques et pour remettre le climat au cœur du débat de la campagne présidentielle, les ONG environnementales ont organisé dimanche 13 mars, le débat du siècle, sur la plateforme Twitch. Un débat 100 % climat où cinq des candidats aux présidentielles ont répondu aux questions des deux animateurs – la journaliste de Blast, Paloma Moritz et le streamer politique Jean Massiet – "Les grands médias (télévisés, ndlr) ont refusé d’organiser le débat du siècle. Ce sont des ONG qui l’ont organisé. Il y avait une vraie production, les conditions de sécurité étaient assurées pour les candidats, le budget était important mais pas autant que si les grands médias avaient participé", explique Paloma Moritz.

Outre l’idée de remettre l’écologie au cœur de la campagne présidentielle, les organisateurs de ce débat espèrent également montrer aux médias l’intérêt de la population pour les enjeux climatiques et les responsabiliser : "Dimanche, il y avait entre 20 et 30 000 personnes en live sur le débat et une semaine après le débat, nous avons dépassé le million en replay sur toutes les plateformes. Nous avons également reçu énormément de messages nous remerciant d’avoir organisé ce débat", affirme Paloma Moritz.

Des initiatives pour médiatiser les enjeux climatiques

En plus du débat du siècle, trois associations de journalistes  – l’Association des journalistes de l’environnement, l’association des journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie et l’association des journalistes scientifiques de la presse d’information – ont écrit une tribune dans Reporterre pour : "secouer nos rédactions en chef et les journalistes politiques qui alimentent le débat public".

L’appel du siècle, signé par près de 70 000 personnes, vise également à pousser les candidats et les médias à intégrer le climat dans les débats de l’élection présidentielle. "Je ne pense pas que le fait de mettre sa signature en bout d’un papier ou en ligne permette du jour au lendemain de changer quoi que ce soit", reconnaît Chaymaa Deb, signataire de l’appel, "mais c’est une lame de fond qui fait émerger des choses. C’est aussi pour dire qu’aujourd’hui en tant que journaliste, je suis consciente de la situation et, lorsqu’on viendra nous reprocher de ne rien avoir fait avant, on pourra dire qu’il y avait des petits médias qui ont essayé d’informer sur ces sujets-là", affirme-t-elle. Ainsi, ces diverses initiatives et l’organisation de marches pour le climat comme celle du 12 mars dernier, ont toutes pour objectif de médiatiser les enjeux climatiques afin qu’ils touchent un maximum de personnes et pour qu’à terme toute la population se sente concernée par ces enjeux climatiques. 


Photo prise à Quimiac, Mesquer, France, par Etienne Lehuédé via Unsplash, licence CC.