Anisa Shaheed, porte-parole du peuple afghan

26 oct 2022 dans Liberté de la presse
Anisa Shaheed

Sous le régime taliban en Afghanistan de 1996 à 2001, les femmes étaient confinées chez elles, n'avaient pas le droit d'aller à l'école ou de travailler. Elles avaient un accès limité à la santé et n'étaient pas autorisées à se rendre dans les espaces publics sans être accompagnées d’un homme, entre autres entraves à leurs libertés.

Enfant de la vallée du Panjshir, dans le nord-est de l'Afghanistan, Anisa Shaheed a vu de ses yeux la répression des talibans contre les femmes. "En tant que jeune fille, il était très difficile d'étudier et de travailler dans un pays en guerre", raconte-t-elle.

Mme Shaheed s’est consacrée au journalisme malgré cette oppression. Sa motivation a connu un nouveau souffle à la reconquête du pays par le groupe extrémiste en 2021. "Le peuple afghan, en particulier les femmes, vit dans l'ombre des talibans, sous la coupe d'un groupe qui s’attaque aux droits de la population", affirme Mme Shaheed, qui était basée à Kaboul avant de quitter le pays l'année dernière.

En reconnaissance du journalisme utile et acéré qu'elle a produit au cours de sa carrière, Mme Shaheed est l'une des lauréates du Prix international de journalisme Knight remis par l'ICFJ cette année. "Je voulais être là où il y avait un problème et faire entendre ces voix et ces informations aux monde", dit-elle à propos de ses reportages. "C'était mon souhait, et je l'ai fait".

 

Anisa Shaheed

Les débuts d’Anisa Shaheed

Après la chute des talibans à la suite de l'invasion de l'Afghanistan par les États-Unis en 2001, Mme Shaheed a pu obtenir un diplôme de journalisme à l'Université de Kaboul. Elle a décroché son premier emploi sur le terrain en tant que reporter pour le Cheragh Daily Newspaper avant de passer à la chaîne de télévision indépendante TOLOnews en 2009.

Mme Shaheed s'est imposée comme l'une des journalistes de télévision les plus remarquables d'Afghanistan au cours des années qui ont suivi. Elle a notamment mis en évidence les défis auxquels sont confrontées les femmes vivant en Afghanistan, en dénonçant les injustices et en demandant des comptes aux personnes au pouvoir.

En 2016, Mme Shaheed a interviewé un haut fonctionnaire afghan, Ahmad Ishchi, après qu'il eut affirmé avoir été enlevé et abusé sexuellement sur ordre du vice-président du pays, le général Abdul Rashid Dostum. Ces accusations ont suscité un tollé général et des poursuites ont été engagées contre M. Dostum, qui vit aujourd’hui en exil.

Les menaces à sa sécurité

Mme Shaheed a contribué à redéfinir ce que signifie être une femme journaliste en Afghanistan, malgré les risques importants pour sa sécurité et son bien-être. “Les gens me disent : ‘Comment fais-tu pour retourner travailler ? Tu vas encore sortir ?’", explique-t-elle dans une interview pour l’émission PBS NewsHour. "On ne sait pas, quand on sort dans la rue, même si on ne fait rien de particulier, de quelle direction quelqu'un pourrait venir et vous tuer."

Les talibans ont tué sept collègues de Mme Shaheed dans un attentat à la bombe il y a plusieurs années, se souvient-elle dans ce même interview. "J'ai travaillé en Afghanistan pendant plus de 10 ans, dans un pays qui était en guerre. Ces dernières années, l'Afghanistan a été déclaré le pays le plus meurtrier pour les journalistes", précise Mme Shaheed. "Il est difficile de travailler dans un pays en guerre. En particulier pour les femmes, [les] problèmes de sécurité, les problèmes sociaux et les problèmes familiaux [rendent] la situation très difficile pour elles."

 

Anisa Shaheed on the job

 

L'engagement de Mme Shaheed pour le travail de reportage n'a pas flanché lorsque le COVID-19 a balayé le monde au début de l’année 2020. Alors que d'autres étaient en quarantaine chez eux, elle s'est rendue dans les hôpitaux pour en savoir plus sur la maladie et partager des informations de santé publique avec sa communauté.

Sa couverture de la crise a aidé les citoyens afghans à mieux comprendre les menaces posées par ce nouveau coronavirus, tout en demandant aux responsables gouvernementaux de rendre compte de la manière dont ils dépensaient les fonds d’urgence.

"Lorsque je me suis rendue à l'hôpital, j'ai passé des heures à parler aux patients, aux membres de leur famille et aux médecins. J'ai écouté les histoires de chacun et, ce faisant, j'ai voulu faire comprendre aux gens qu'ils ne devaient pas [paniquer à cause du COVID-19]", explique-t-elle.

La prise de l’Afghanistan des Taliban

Les conditions de vie des journalistes et des femmes en Afghanistan se sont considérablement détériorées depuis que les talibans ont repris le contrôle du pays en 2021, après le retrait militaire américain. Craignant pour sa sécurité, Mme Shaheed a pu trouver refuge aux États-Unis.

Aujourd'hui, à plus de 11 000 kilomètres de là, elle continue à couvrir son pays natal en tant qu’indépendante. Sa volonté de créer un sillon pour les autres femmes afghanes, et en particulier pour les femmes journalistes, n'a jamais faibli. "Je voulais dire aux gens que les femmes peuvent tout faire en Afghanistan. Les femmes peuvent tout faire, les femmes peuvent être journalistes", répète Mme Shaheed. "Alors que beaucoup croyaient qu’en Afghanistan les femmes ne pouvaient pas travailler comme les hommes, les femmes l'ont fait."

Plaidant aujourd’hui depuis l'étranger pour un meilleur traitement des citoyens afghans, Mme Shaheed espère que les circonstances s’amélioreront bientôt.

"Je souhaite qu'un jour les filles d'Afghanistan aient le droit à l'éducation, que les femmes aient le droit de travailler, qu'elles aient le droit de vivre et que le peuple afghan puisse aller en paix sur les routes du pays", conclut Mme Shaheed.


Assistez à la cérémonie d’hommage aux journalistes de l’ICFJ le 10 novembre, en personne ou en ligne, pour célébrer Anisa Shaheed et d’autres reporters au courage exemplaire à travers le monde.

Photos fournies par Anisa Shaheed.