Qui n’a pas reçu un message d’un parent, ami ou collègue certifiant que le nouveau coronavirus a été créé en laboratoire, que la 5G contribue à le propager ou que la consommation d’huile de sésame permettait de s’en prémunir ? Depuis le début de l’épidémie de COVID-19, les "infox", plus communément connues sous leur nom anglophone de fake news, se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Pour y faire face, certains médias ont renforcé leur arsenal de lutte contre la désinformation, d’autres ont mis en place de nouveaux outils... Retour sur quelques initiatives adoptées aux quatre coins des pays francophones.
"La lutte contre la prolifération, en particulier sur les réseaux sociaux, des fake news liées à la pandémie a mobilisé l’ensemble de nos rédactions à l’heure où, plus que jamais, une information fiable et vérifiée peut sauver des vies", s’est félicité le DG7, ce consortium de réseaux radio-télédiffusés publics occidentaux dont font partie France Médias Monde et CBC/Radio-Canada. Les présidents de ces sept groupes de presse ont signé le 26 mai un document rappelant l’importance de leur rôle dans la chasse aux infox à l’ère du coronavirus. Ils assurent avoir redoublé d’efforts pour contenir la propagation des fausses informations liées à la pandémie.
Des services de fact-checking consolidés
La chaîne France 24 et la radio RFI ont ainsi traduit dans plus de 20 langues les messages des autorités sanitaires et augmenté leur diffusion en ondes courtes dans certaines régions du monde, pour atteindre les zones les plus reculées. En parallèle, le service de fact-checking de la chaîne, "Les Observateurs", tout en poursuivant sa mission de décorticage des informations douteuses dénichées sur le web, a mis en ligne un guide pour apprendre à décrypter les fausses infos liées au COVID-19. Outre-Atlantique, la radio publique canadienne a suivi une logique similaire, dans sa pastille "Les décrypteurs", en indiquant un ensemble d’étapes à suivre avant de partager une information liée au virus.
Face à l’abondance et la viralité des fake news circulant sur le net, la majorité des rédactions a renforcé son expertise en matière de fact-checking. L’Agence France Presse a par exemple conclu un nouveau partenariat avec Facebook, en publiant sur la page France du réseau social des vidéos explicatives visant à aider les internautes à identifier leurs sources. France Info, dont le site abrite déjà tous les contenus de l’audiovisuel public consacrés aux fake news sous l’onglet "vrai ou fake", s’est initiée aux lives sur les réseaux sociaux afin de répondre directement et instantanément aux préoccupations de leur audience. "Les Décodeurs" du journal Le Monde, en parallèle de leur Décodex – qui vérifie la fiabilité d’un lien URL, ont proposé des pages d’actualité dédiées au Coronavirus. Et les rubriques télévisées de vérification de l’information, telles que "Faux et usage de Faux" et "Factuel" pour ne citer que ces deux rendez-vous traditionnels des 20h de
France 2 et TF1, ont concentré leurs efforts sur le démenti de rumeurs, d’exagérations et de déformations (de plus en plus nombreuses) liées à la crise sanitaire. Pour le seul mois d’avril, Facebook a annoncé avoir identifié 50 millions d’infox concernant le COVID-19.
Des initiatives bénévoles et solidaires en renfort
Face à l’"infodémie" en cours – dénoncée dès le mois de février par l’Organisation mondiale de la santé, les initiatives bénévoles ont fleuri à travers le globe. En France, le collectif "Les journalistes solidaires" a vu le jour début mars sous l’impulsion de Julien Cazenave. Il réunit une soixantaine de journalistes, développeurs, traducteurs, étudiants, correcteurs et motion designers autour d’une volonté de traquer et débunker les fake news. "Les enfants vont-ils être dépistés massivement dans les écoles ?", "La commune de Forest a-t-elle profité de la crise sanitaire pour augmenter ses frais d’inhumation ?"… À la mi-mai, 69 enquêtes avaient été menées et 186 sujets vérifiés sur leur plateforme, d’après le Meta-Media. Leur démarche est 100 % collaborative : la rédaction virtuelle fonctionne en open newsroom, comme précisé sur leur site internet, "offrant la possibilité aux internautes de visualiser l’avancée d’une enquête et d’y participer à travers un formulaire".
Mais la démarche du journaliste français n’est cependant pas isolée. En Côte d’Ivoire, le fondateur de l’Institut africain des médias Israël Guébo a, lui, lancé une web radio sur Whatsapp et Facebook en mars, pour tordre le coup aux infox liées à la pandémie. Dans "60 secondes DeFox", il décortique ainsi quotidiennement une idée-reçue, le plus souvent liée aux remèdes présumés contre le virus. "Les feuilles de neems ont des vertus anti-COVID-19. Non ! Vous risquez des maladies rénales. La seule vérité de cette histoire, c’est que de nombreux arbres ont été décimés", avertit le journaliste dans une de ses vidéos. "Boire du détergent élimine la maladie à coronavirus. C’est faux, il se trompe, tu vas mourir empoisonné" prévient-il dans une autre, en réponse aux déclarations polémiques de Donald Trump sur le désinfectant. D’après la radio internationale Deutsche Welle (DW), le journaliste ivoirien travaille d’orès et déjà avec plus de 500 correspondants bénévoles à travers le monde et serait écouté, tous les jours, par plus de 1 000 personnes.
De très nombreuses plateformes de fact-checking ont vu le jour ces dernières années sur le continent africain. Elles portent généralement le nom du pays associé au mot "check" comme CongoCheck, lancée en République démocratique du Congo en 2018, ou encore TogoCheck, fondée en avril 2019. Remèdes douteux, faux conseils de médecins, théories du complot, vidéos détournées… Toutes ont concentré leurs efforts dans la traque et la déconstruction des campagnes de désinformation liées à l’épidémie. À Lomé, l’équipe formée sous l’impulsion de Sylvio Combey, Noël Kokou Tadegnon, Fafa Folly, et Florent Tiassou, a continué de démêler le vrai du faux en répondant à chaque intox par une note vocale explicative partagée sur les réseaux, en français et dans les principaux dialectes du pays. "Les scarifications permettent-elles de guérir du COVID-19 ?", "Le virus a été importé sur le continent par des soldats américains"… "Les audiogrammes permettent d’attirer plus l’attention, souligne Fafa Folly, un des cofondateurs dans une interview donnée à la DW. Cela donne plus de visibilité à notre message."
Vers un recours de plus en plus systématique à l’intelligence artificielle ?
À l’échelle internationale, Africa Check est, elle, allée encore plus loin, dans l’échange avec ses abonnés, en mettant à leur disposition un numéro de téléphone pour renseigner en temps réel sur la maladie du coronavirus. "Savez-vous que Kweli, notre robot de fact-checking, ne vérifie pas uniquement les informations que vous lui envoyez ! Vous pouvez également lui poser vos questions sur les dernières évolutions de l’épidémie, les chiffres, les symptômes et les traitements... », a publié l’ONG sur sa page Facebook. Basée à Dakar, l’organisation indépendante a fait le pari de l’intelligence artificielle pour améliorer la lutte contre la désinformation internationale. Récompensée l’an dernier par le Google impact challenge, elle travaille aujourd’hui au développement de nouveaux outils visant à automatiser la vérification de l’information.
À l’heure de ce que l’OMS appelle l’"infodémie", l’IA apparaît comme un rempart séduisant. Mais aucun outil pour le moment n’a démontré son efficacité dans le tri et le contrôle des informations circulant sur le net. L’humain reste la clef de voûte face au challenge des fake news.
Photo : Priscilla Du Preez sur Unsplash