En Haïti, le travail des fixeurs dans un environnement sensible

Aug 19, 2022 en Sécurité physique et numérique
Deux silhouettes

Exercer le métier de fixeur dans un contexte d’instabilité socio-politique comporte des risques et dangers, à côté du fait qu’il constitue une excellente possibilité occasionnelle d’apprendre de l’autre et de diversifier ses sources de revenus dans un contexte socio-économique moribond et précaire, où le métier ne nourrit pas son homme/sa femme.

Angeline Alfred*, journaliste dans la trentaine, a un parcours de fixeuse qui commence de manière plutôt inattendue. Elle n’a jamais rêvé de faire ce métier et ne savait même pas qu’il existait. Elle y a débuté à la faveur du séisme dévastateur de 2010 qui a frappé Haïti. "Je ne savais pas que ce travail que je prenais pour un boulot banal allait déboucher sur des contrats juteux pouvant aller jusqu’à 250 dollars par jour", confie-t-elle. De 2010 à date, elle  a déjà eu des clients issus de divers pays dont l’Allemagne, le Brésil, le Chili et la Colombie.  

Le travail de fixeur marche de pair avec un grand travail de liaison, car une fois que le client dit ce qu’il veut faire, il faut qu’elle contacte les institutions et/ou personnes qui maîtrisent le domaine et qui seraient prêtes à accorder des interviews. Il arrive souvent d’avoir des clients qui appellent, une fois arrivés au pays et qui veulent commencer à travailler le même jour. "Dans ce cas, trouver les contacts nécessaires peut paraître une mission impossible, mais quand on sait que si l’on n’y arrive pas, on risque de perdre entre 100 et 250 $ en une journée, et sa réputation de fixeur, on fait toujours de son mieux pour y parvenir", raconte-t-elle. 

Les trois moments-clefs 

Tout cela sous-tend qu’il existe trois moments-clefs dans le travail du fixeur. L’avant, le pendant et l’après sont donc des moments fondamentaux qu’il importe de prendre en compte dans la planification. Il ne faut pas attendre le dernier moment pour chercher une autorisation sans laquelle il est impossible d’accéder à des espaces que votre client veut à tout prix explorer. On sait que par exemple que pour avoir accès à certaines zones d’Haïti en proie aux conflits armés, il est obligatoire de demander l’accès à des chefs de gangs qui le contrôlent, des jours avant. 

L’avant consiste en la préparation du terrain et des prérequis inhérents au fixeur devant être quelqu’un qui maîtrise le terrain sur le bout des doigts, mais aussi détenteur d’une masse de données et d’informations sur des domaines-clefs susceptibles d’intéresser le client. Certains journalistes qui arrivent sur le terrain connaissent très peu de la réalité qu’ils veulent couvrir. Ils attendent du fixeur tous les éléments de contexte pouvant les orienter. Certains médias internationaux veulent voir tout planifié avant leur arrivée. Car, sans cet agenda, les journalistes ne seront pas autorisés à voyager, surtout dans des environnements hostiles comme celui d’Haïti ou certains pays d’Afrique. 

Le pendant, c’est tout ce qui se passe au cours de la mission. Le terrain, les appels d’urgence à effectuer, les pressions et le stress suscités par le client et les acteurs sur le terrain dans un environnement sensible. Les entrevues à remplacer pour les rendez-vous non tenus. Sur le terrain, il faut parfois négocier. En raison de la précarité, des droits de passage sont exigés. L’après peut-être compliqué. Parce qu’on est appelé à vivre avec ces sources et toute mauvaise compréhension et appréhension du reportage publié peut causer des représailles. 

Les conditions sine qua non 

"Un bon fixeur est à la fois un coordinateur de terrain, un officier de liaison, un officier de ressources humaines et si possible un interprète réunis dans la même personne. Il faut qu’il propose des idées sur le travail de terrain que le client veut effectuer. Il faut qu’il coordonne le travail de terrain, tout en évaluant les risques de sécurité, qu’il planifie les rencontres et/ou entrevues, prévoit les moyens de déplacement, s’assure que tout le monde se comprend lors de rencontres et que tout se déroule bien en termes de sécurité", explique Angeline Alfred, jeune fixeuse haïtienne depuis plus d’une décennie. 

Elle ajoute qu’il est important que le fixeur soit attentif aux moindres signaux et dérapages – mais aussi qu’il observe et contrôle bien son environnement de travail, et "qu'il sache dire au client quand il faut partir. Un bon fixeur sait dire non à son client quand celui-ci, qui ne connaît pas bien le pays, veut faire quelque chose qui pourrait mettre sa vie en danger". Dans un pays comme Haïti, autant qu’en raison de l’instabilité politique ou de l’aggravation de la situation sécuritaire, il importe de faire preuve d’une certaine maîtrise de la réalité afin de pouvoir donner un minimum d’assurance à son client. 

Maîtriser une langue étrangère – anglais ou espagnol, avoir un bon carnet d’adresses, posséder une bonne culture générale du pays et faire preuve de dynamisme sont autant de qualités dont doit faire preuve le fixeur. 


* Nom d’emprunt, pour des raisons de sécurité.  

Photo Anne Nygard, via Unsplash, licence CC