Manifestations violentes : comment assurer sa sécurité en tant que journaliste

par Peterson Chery
18 juin 2021 dans Sécurité physique et numérique
Manifestation des gilets jaunes, en France

Haïti a connu des moments de tumultes et de crise sans précédent durant ces 10 dernières années. La colère populaire gronde alors que le président haïtien Jovenel Moïse refuse obstinément de quitter le pouvoir. Les manifestations quotidiennes sont de plus en plus violentes, les journalistes, gardiens de l’information, ne sont pas à l’abri des gaz lacrymogènes, des agressions et des tirs d’armes automatiques.

Quel kit doit porter un journaliste en couverture de manifestation violente ? Quel comportement doit-il adopter pour mieux se protéger ? Comment rester en vie pour rapporter les faits ? Un article qui vous plonge au cœur de la pratique de terrain.

La liste de journalistes blessés en marge de mobilisations s’allonge. Ces journalistes sont souvent victimes de coups de pierre, de balles en caoutchouc ou d'autres agressions physique de la part des manifestants. À ce jour, ces abus restent encore non sanctionnés par la direction de la police ou par la justice haïtienne. 

"Le droit à l’information est garanti par la Constitution et l’exercice de notre profession aussi, explique Roberson Alphonse, journaliste au quotidien Le Nouvelliste et pour Magik9, alors qu’il participait à une manifestation organisée par des journalistes à Port-au-Prince, capitale d’Haïti. Les autorités, police, justice ou exécutif, doivent se rappeler de ce principe-là. On ne peut pas gazer à tout-va un journaliste, tirer sur lui après l’avoir sciemment identifié. Les journalistes font un métier, ils l’exercent dans le cadre de la loi et la Constitution, ils méritent la protection, ils ne doivent pas être agressés, c’est aussi simple que cela."

[Lire aussi : Haïti : photojournaliste, un métier précaire]

 

"Le risque d’être victime lors d’une manifestation est extrêmement élevé en Haïti, le journaliste couvre la mobilisation sans protection, nous avons compté plusieurs victimes dans nos rangs à plusieurs reprises", se lamente Dimitri Charles, journaliste à Juno 7.

Celui qui a assuré la couverture de nombreuses manifestations violentes de l’opposition exhorte les médias à fournir un minimum de ressources et de logistique aux reporters. Parce que le journaliste a la responsabilité de capter une image, il est à la fois les yeux et les oreilles de la population, les travailleurs de presse ont la responsabilité de se protéger à tout prix de l’avis de Dimitri Charles, qui appelle ses confrères et les aspirants journalistes à maîtriser toutes les facettes de la sociologie d’une foule violente. 

Kit indispensable du journaliste en couverture de manifestations violentes

L’on ne sait ni les minutes ou les secondes au cours desquelles les dérapages vont être déclenchés. Le journaliste doit jouer sur plusieurs tableaux. Il doit toujours rester au cœur de l’événement mais aussi il a intérêt à protéger sa vie car il doit rapporter la nouvelle. Pour cela, il doit diminuer les risques : 

  •  Carte de presse

L’un des agents protecteurs du journaliste est sa carte de presse, qui a la fois permet de l’identifier comme professionnel mais aussi pour quel média il travaille.

  • Casque de sécurité

Pour se protéger contre des jets de pierres, de tessons de bouteilles, et d’autres matériels capables de provoquer des blessures. Le port d’un casque est obligatoire. 

  • Gilet par balle

Le gilet peut protéger le thorax, l’abdomen et le dos du journaliste contre les projectiles. Les tirs ne sont pas souvent l’œuvre des forces de l’ordre. 

  • Masque à gaz

Pour calmer la colère des manifestants, les agents anti-émeute font usage de gaz lacrymogène pour disperser la foule. Le journaliste comme acteur est souvent au cœur de la manifestation. L’usage du masque peut aider le journaliste à continuer son travail et se protéger. 

  • Le téléphone portable

Son téléphone bien rechargé, connecté à internet se révèle fondamental. Le téléphone peut être un recours incontournable pour entrer en contact avec sa rédaction, des proches et des centres ambulanciers en cas d’urgence. 

Victime d’agression sur le terrain, que faire ?

  1. La meilleure stratégie à adopter : ne soyez jamais intimidé ni provoqué par les propos des manifestants, soyez concentré, prenez votre temps de réaliser votre travail professionnel.
  2. Ne leur répondez jamais. Toutefois donnez-leur la parole, écoutez-les. Cette position vous évitera les altercations qui pourraient être fatales. 
  3. Portez plainte : "depuis huit ans j’exerce ce métier, j’ai été à plusieurs reprises victime d’agressions verbales de la part des manifestants, arguant disent-ils que mon média ne jouit pas d’une bonne grâce de l’opinion pour sa ligne éditoriale... En tous cas, j’encourage à tout bout de champ les journalistes victimes d’agression physique de porter plainte par devant les instances judiciaires compétentes" affirme le journaliste de Radio Caraïbes, Marc Guerson Philistin

Priorisez le dialogue

Il est fortement conseillé au journaliste de respecter les périmètres de sécurité établis par les forces de l’ordre. Le journaliste doit toujours écouter la voix des agents qui sont déployés à la couverture de la manifestation. Si les forces de l’ordre vous lancent de quitter l’espace faites-le immédiatement et ceci sans réplique. La sagesse joue souvent pour les journalistes.

Si la position ou l’angle est vraiment important pour vous comme journaliste, priorisez le dialogue et montrez les biens fondés de votre choix. 

"La carte de presse ne vous donne pas le libre accès de franchir toutes les limites, comme journaliste vous n’avez nullement la prérogative de vous positionner au beau milieu d’une foule en colère et compacte, un comportement qui pourrait à la fois compliquer le travail des agents anti-émeute mais aussi mettre la vie du journaliste en péril", conseille Marc Guerson Philistin.

"Les agents de l'ordre ont le devoir de protéger le travail du journaliste"

"Le journaliste doit obligatoirement obtempérer aux forces de l’ordre en toutes circonstances. Le travailleur de presse à la responsabilité de rester attaché à l’éthique et la déontologie du métier. Toutefois les agents de l’ordre ont tout aussi le devoir de protéger et de respecter le travail du journaliste", affirme Dimitri Charles.

En 2019, en Haïti, pas moins de 50 journalistes ont été victimes d’actes de violences, d’assassinats et de menaces de mort selon une enquête réalisée par la Fédération de la Presse Haïtienne. Le cas le plus emblématique est le journaliste Néhémie Joseph qui aurait été assassiné à cause de ses prises de positions contre l’exécutif, selon des organisations de presse.

Ces assassins courent encore les rues, la justice deux ans après peine encore à appréhender les coupables. Dans l’intervalle, en un an Haïti a perdu 21 places au classement mondial de la liberté de la presse. Le pays est aujourd’hui au 83 rang sur 180 pays listés. 


Peterson Chery est un journaliste haïtien. Il est lauréat du prix Philippe Chaffanjon. 

Photo d'illustration (issue d'une manifestation des "gilets jaunes", en France). Photo sous licence CC via Unsplash, par EV.