Ce média veut combler le manque de couverture de l’urgence climatique en Tunisie

Apr 22, 2022 en Reportage environnemental
Vieille ville de Sousse, en Tunisie

"J'’ai compris qu’il y avait un vide à remplir dans le paysage médiatique. Il fallait un média de sensibilisation, qui vulgarise l'information sur le climat, de la façon la plus simple possible”. Mayssa Sandli est la créatrice de Blue TN, média digital basé à Tunis.

Il est consacré aux questions environnementales. Il faut dire que les traces du changement climatique se voient, comme ailleurs. Une réalité inquiétante que Mayssa Sandli a pu particulièrement constater en 2017, lors d’un tour du Sud Tunisien à vélo, avec une amie.

“Nous avons vu le manque de pluie, la sécheresse, la pollution chimique dans la région du Golfe de Gabès, c’est catastrophique”, explique la trentenaire multi-diplômée, par ailleurs consultante en management de la qualité et en responsabilité sociétale et environnementale.

WWF rappelle qu'avec "1 148 km de côte, la Tunisie est aussi fortement menacée par l’augmentation du niveau des mers". Par ailleurs, une canicule avait eu lieu à l'été 2021 dans le pays. Le dernier rapport des experts du GIEC consacre un chapitre à la région du pourtour méditerranéen. "[...] des vagues de chaleur toucheront de plus en plus souvent les pays méditerranéens et notamment ceux du Maghreb et du Moyen-Orient (estimation de +0,9 à +5,6 °C à la fin du XXIe siècle)", explique Yves Tramblay, hydro-climatologue, dans cette interview disponible sur le site de l'Institut de Recherche pour le Développement. Il est l’un des auteurs du chapitre "Région méditerranéenne" du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

De ce changement climatique “vu et vécu”, a donc germé l’idée de Blue TN, lancé en avril 2021. 

Photo du périple de Mayssa Sandli dans le Sud Tunisien
Photo fournie par Mayssa Sandli

Un public rencontré sur les réseaux sociaux

Il a d’abord vu le jour sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, il fédère une communauté de plus de 31 000 abonnés, “sans publicité sponsorisée”, précise la fondatrice. Un site internet, magazine digital, a été lancé en décembre dernier.

Environ un article est publié sur les réseaux sociaux chaque semaine, deux articles par mois sur le magazine digital. Là encore, la qualité prévaut sur la quantité. “La vulgarisation scientifique prend du temps”, lance Mayssa Sandli. En plus de la partie écrite, une chaîne Youtube est en train d’être lancée, avec un journal TV, sensibilisant à des questions environnementales, au rythme d' une fois par mois, “nous abordons une thématique différente à chaque rendez-vous”. Le premier traite de la pollution plastique. 

Disponible en arabe tunisien, anglais et français

Dans l’objectif de rendre accessible ses articles et vidéos au plus grand nombre en Tunisie, la rédaction travaille dans les trois langues.

“Les citoyens tunisiens ne sont pas assez sensibilisés au changement climatique, malgré le fait qu’ils le vivent dans leur quotidien”, explique Mayssa Sandli.

Un récent article d’IJNet nous rappelait que dans un rapport de 2019 d'Afrobarometer, quatre Africains sur dix ont déclaré ne pas connaître le concept de changement climatique. La vulgarisation scientifique en arabe tunisien est un défi particulièrement ardu, note la rédactrice en chef, diplômée d’une licence en biotechnologie et d’un master en management. L’objectif d’audience (médias sociaux compris) est de toucher 5 millions de personnes, magazine digital inclus, contre 2,5 millions en 2021, indique-t-elle. 

 

Blue TN est réalisé par une équipe de cinq personnes, majoritairement des freelance, dont un créateur de contenu en langue anglaise, un conseiller éditorial et un community manager. Une rédaction qui travaille entièrement à distance, avec quelques réunions en physique. Des experts tunisiens viennent apporter leur connaissance dans leur domaine de prédilection.

"C'est précisément la force de notre média, un mélange de personnes de la société civile, de la communauté scientifique et de journalistes”, indique la rédactrice en chef. 

Une éthique dans le choix des annonceurs

Comme beaucoup de médias axés sur les questions environnementales, il lutte pour mettre en place un modèle économique viable. Avec cette éthique dans le choix des annonceurs : pas d’industries polluantes, ni d’entreprises ne respectant pas les valeurs environnementales du média. “Cela réduit fortement notre cible”, reconnaît la journaliste. “Nous essayons par ailleurs d’éduquer les annonceurs à notre éthique”. Pour compléter les revenus issus des annonceurs, le média peut compter sur des partenariats avec des ONG, comme Tunisie Recyclage, qui promeut le tri sélectif.

Avenir

Les choix d’angles et de sujets de Blue TN semblent inspirer les médias grands publics du pays. Et cela est loin de contrarier la fondatrice du média tunisien : “c’est un de nos objectifs, influencer les médias dominants pour qu’ils parlent des questions environnementales à leur tour”.

Récemment d’ailleurs, la radio Mosaïque FM (1 million de suiveurs sur Twitter), a repris l’idée d’un sujet sur les chiffonniers, qui collectent des déchets, suite à la lecture d'un article de Blue TN.

Mettre à jour des scandales environnementaux, inspirer une forme nouvelle de consommation, tels sont les objectifs de ce média. À terme, Blue TN se verrait bien être décliné dans d’autres pays du continent africain. 


Vieille ville de Sousse, en Tunisie, photo sous licence CC via Unsplash, Amal Bourkhis