Au Maroc, des journalistes sur la piste des changements climatiques

13 déc 2021 dans Reportage environnemental
Le ciel se dessine, à Fès

Au Maroc, comme dans le reste de l’Afrique du Nord, il y a une urgence climatique. Cette région fait face au stress hydrique, à la désertification et à la multiplication de phénomènes naturels extrêmes (inondations, feux de forêt, canicules, etc). Un collectif de journalistes et d'universitaires marocains, dont l’auteur de cet article, a décidé de lancer l’alerte. 

Notre collectif a publié, en septembre 2021, l’ouvrage Maroc : Justice climatique et urgences sociales, édité chez En Toutes lettres. Le même concept a été réalisé sur la thématique des migrations, en 2019. Cet ouvrage de 214 pages est un voyage écologique au Maroc. Il a été réalisé avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll Rabat

Pour réaliser leurs 12 longs formats (enquêtes, reportages et entretiens), les auteurs ont sillonné les plaines, le littoral, les montagnes et les oasis sur les traces d’une nature en péril.  Zoom sur la démarche de ce collectif qui veut remettre les questions climatiques et écologiques au centre du débat public. 

Du global au local 

Kenza Sefrioui est journaliste et co-fondatrice de la maison d’édition indépendante En Toutes lettres. Elle nous rappelle l’ADN de sa démarche d’éditrice : "Notre collection ENQUETES est dédié au journalisme d’investigation et à l’écoute de la société. Notre démarche ne réduit pas les enjeux climatiques aux chiffres mais privilégie le terrain pour aller à la rencontre de celles et ceux dont la voix peine à se faire entendre", insiste-t-elle. 

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À cet esprit du terrain, s’ajoute une dimension collaborative. "À travers notre projet Open Chabab, nous accompagnons les jeunes pour réaliser des formats journalistiques innovants. Parmi eux, plusieurs collaborent à nos ouvrages collectifs. Ils sont soutenus par le mentorship des journalistes seniors. L’objectif est de lancer une dynamique collaborative peu existante entre les rédactions au Maroc". 

Ghita Zine, journaliste au sein du média digital Yabiladi, fait partie des contributeurs de cet ouvrage. Cette spécialiste des questions environnementales a réalisé un reportage sur les pratiques agroécologiques au Maroc. Elle recommande d’adopter une approche "glocal" pour mieux appréhender la thématique. "L’une des entrées pour travailler sur ces questions, c’est de partir des enjeux globaux qui impactent le niveau local", suggère-t-elle.  

La deuxième entrée que recommande Ghita Zine, c’est de se rapprocher des réseaux associatifs et des universitaires travaillant sur ces questions. "La société civile ou les chercheurs donnent des alertes sur des situations peu connues. Elles peuvent être le point de départ d’enquêtes", recommande-t-elle. 

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Combiner journalisme et recherches universitaires 

La troisième entrée selon cette journaliste, est de sensibiliser en premier lieu les rédactions à l’importance du sujet : "Le rôle des rédactions est primordial pour prioriser les questions écologiques. Hélas, beaucoup de grands médias au Maroc et ailleurs accordent peu d’intérêt à la thématique, pourtant l’urgence elle, est là. Ces questions ne sont plus secondaires", martèle Ghita Zine.

Mohamed Sammouni, fondateur du média Mupress, combine la démarche à la fois du journaliste et du chercheur universitaire pour approcher ces sujets : "Là où il y a bien commun, il doit y avoir un intérêt public", rappelle-t-il. Avec son collègue Amine Belghazi, ils ont enquêté sur le trafic du cèdres au Moyen-Atlas. Il nous résume sa démarche d’investigation : "On se doit de questionner les politiques publiques environnementales. Le journaliste apporte sa capacité d’observation, d’investigation et l’universitaire ses outils d’analyse d’enjeux qui peuvent paraître, à première vue, complexes". C’est d’ailleurs une des ambitions de cet ouvrage : vulgariser des enjeux écologiques qui paraissent à la fois lointains et complexes à saisir.  

Du livre au manifeste 

Trois mois après sa parution, cet ouvrage journalistique a permis d’enclencher un débat citoyen autour du climat, de l'écologie et la justice sociale. L’ouvrage a été présenté à 11 reprises au sein de centres culturels, de cafés littéraires ou des lycées. Kenza Sefrioui nous livre son feed-back à partir de ces rencontres : "Le public se dit stupéfait par les constats qu’apportent le livre. Il regrette que les médias publics ne traitent pas assez ces sujets. Ces rencontres s’accordent sur l’urgence climatique et sociale", rapporte l’éditrice. 

Pour prolonger ce débat citoyen, les auteurs du livre ont publié dans la foulée le manifeste Pas de justice sociale sans justice climatique. K. Sefrioui nous explique le sens de ce texte citoyen : "L’environnement n’est pas un luxe. Les prises de conscience ici comme partout dans le monde imposent de le prendre en compte à court terme". L’ouvrage et le manifeste se veulent une synthèse entre une démarche journalistique de qualité et un acte citoyen pour alerter sur l'urgence climatique.  


5 conseils pratiques pour travailler sur les questions écologiques : 
  • Lire pour préparer le terrain : multiplier les lectures, regarder les documentaires et formats innovants permet d’outiller le journaliste avant de se rendre sur le terrain. 
  • Être global et local : porter un regard local sur les enjeux internationaux. C’est aussi une prise de recul qui permet de mesurer l’intérêt d’un sujet local. 
  • Faire du terrain : le retour sur le terrain est essentiel pour couvrir ces sujets.
  • Se rapprocher des sources : être en contact avec les organisations de la société civile, mouvements sociaux et universitaires.
  • Privilégier la collaboration : dans des terrains difficiles ou sur des thématiques complexes, il est nécessaire d’adopter une approche de collaboration entre journalistes ou des binômes journaliste-chercheur. 

Photo prise à Fès, au Maroc en 2016, par Tyler Hendy. Image sous licence CC via Unsplash.