Mère et pigiste, forces et batailles depuis 2020

Mar 4, 2022 en Etre freelance
Une femme essaie de travailler, bébé est là

Avec la crise sanitaire, la gestion familiale et logistique des foyers est retombée sur les femmes, plus que sur leurs conjoints. Plus flexibles dans leur horaires de travail, comment les pigistes ont-elles traversé cette crise ?

C’est comme un angle mort. La partie immergée de l’iceberg des inégalités de genre. La Fondation des Femmes affirme que la prise en charge des enfants sans école a très majoritairement incombé aux femmes, qui sont 40 % à leur avoir consacré plus de 4 heures par jour. Le double des hommes. Et 21 % se sont arrêtées de travailler pendant le premier confinement, le double des hommes.

Fermetures de crèche, pertes d'heures allouables au travail journalistique

Alors comment quantifier les conséquences économiques pour les femmes pigistes quand ce travail domestique et lié à la maternité grignote le temps de travail rémunéré des femmes ? Autrement dit, quand le COVID-19 fait exploser le nombre d’heures à s’occuper des enfants, comment évaluer la perte d’heures allouables au travail journalistique ? “J’ai voulu un enfant, donc je choisis de passer du temps avec elle, je consacre du temps à faire l’école à la place de la maîtresse et j’imagine des activités ludiques, c’est important”, tempère Julie, pigiste dans le sud de la France. 

Le temps de travail est de fait, réduit. Mais aucune étude ne peut raconter ce que beaucoup de mères vivent en silence.

“Je travaille la nuit, le soir, quand mon fils dort, une à deux fois par semaine, quand j’ai un rendu le lendemain”, résume une consœur, qui préfère rester anonyme elle aussi.

Depuis Paris, elle raconte qu’étant pigiste, et son conjoint en CDI, c’est toujours elle que la crèche appelle quand il faut venir chercher le petit, né en 2019. “Avec la pandémie, n’importe quelle hausse de température les met en alerte et je sais que j’en ai pour une semaine sans crèche”, raconte la jeune maman.

En entreprise, son conjoint a fini par poser des jours de congé pour enfant malade. Depuis la rentrée de septembre, il en a pris 3. La jeune maman évalue à environ 40 le nombre de jours ouvrables consacrés aux soins de son enfant l’année dernière. Des jours non travaillés et donc non rémunérés.

Une compensation en France

En France, le ministère de la Culture a indemnisé fin décembre 2021 les pertes de revenus des journalistes pigistes liées à la pandémie. La jeune-femme a reçu fin 2021 une compensation d’environ 2 000 euros. Cette compensation (qui n’est pas un salaire, donc sans droits à la retraite ou au chômage notamment) basée sur la perte de revenus entre 2019 et 2020 permet en filigrane de calculer une partie de la perte de salaire subie par cette professionnelle à cause de la pandémie, et à son nouveau statut de maman.

Pour Julie, dont le salaire avait chuté de 50 %, ces 5 000 euros touchés fin 2021 sont aussi venus compenser une perte de revenus brutale. Pour elle, ce n’est pas lié au fait d’avoir dû s’occuper d’un enfant sans école, mais aux choix des rédactions de moins solliciter les pigistes au début de la crise. 

Pour les 3/4 des femmes journalistes, le stress a augmenté avec la pandémie

Dès 2020, la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) se penche sur l'impact de la pandémie sur les femmes journalistes et recueille les doléances de 558 journalistes dans 52 pays. Le constat est clair : les femmes journalistes sont plus touchées par le stress et l'anxiété liées à la pandémie de COVID-19 que leurs homologues masculins. Pour les 3/4 d’entre elles, le stress a augmenté depuis le début de la pandémie. La majorité dénonce les conséquences dévastatrices sur la conciliation du travail et de la vie privée (62 %), sur leurs responsabilités professionnelles (46 %) et sur leurs salaires (27 %).

“Il y a aussi la peur de tomber malade, de travailler sans matériel adéquat, de perdre son emploi, les causes du stress ressenti par les femmes sont multiples”, explique Pamela Morinière, responsable communication de la FIJ et experte des questions de genre.

“On n’observe pas de baisse significative des salaires des femmes, mais c’est parce qu’ils sont déjà, on le sait, inférieurs à ceux des hommes”, tempère Pamela Morinière jointe par téléphone en Belgique. 

Pour beaucoup de pigistes, c’est aussi la solitude qui pèse, en plus de la précarité et de l'instabilité des revenus. “On fait des sessions de pitch collectives, on s’entraide, on mutualise les informations sur notre métier, notamment toute la partie administrative qu’on doit gérer aussi”, se réjouit Julie, membre d’un collectif de pigiste féministes depuis l’été 2020. Syndicats, collectifs, groupes de soutien, tout ce qui permet de mettre en commun ses connaissances et de mutualiser ses luttes a permis a beaucoup de pigistes de traverser cette crise, et de continuer à exercer le métier qu’elles ont choisi.


Photo : Charles de Luvio, via Unsplash, sous licence CC